Dictionnaire de l'économie 2000Éd. 2000
E

Emploi, précarité, chômage (suite)

Ce qui s'est passé ces dernières années est éclairant à ce propos. Alors qu'on comptait 287 000 intérimaires selon la photographie instantanée de l'en-quête emploi de mars 1995, on en dénombrait 447 000, selon la même méthode, en janvier 1999. Entre-temps, le secteur d'activité des agences d'intérim a connu des hausses annuelles de 20 à 30 % et, en 1998, plus de dix millions de missions ont été effectuées, pour une durée moyenne de quinze jours, qui ont fatalement concerné une population plus large que ne le laissent supposer les photographies instantanées. Depuis, et notamment au deuxième trimestre de 1999, un tassement semble se produire, comme si la poursuite de la croissance autorisait une prise de risque un peu plus forte.

Un mouvement identique s'observe à propos du travail à temps partiel, qui a connu une progression spectaculaire au début des années 1990 (pour se stabiliser quelque peu ensuite). Ce qu'on appelle le travail à temps partiel subi ou contraint, parce que les salariés qui le pratiquent auraient voulu travailler davantage et n'ont pas été en mesure de le faire, aurait en particulier marqué le pas, entraînant un léger recul du sous-emploi.

Une fois encore, la reprise économique peut justifier une telle inflexion, ainsi que la perspective des 35 heures. Il n'empêche que les exonérations de charges en faveur du temps partiel – fixées par Pierre Bérégovoy en 1992 à 50 % et maintenues, mais ramenées à 30 %, depuis, par Édouard Balladur, Alain Juppé et Lionel Jospin – ont servi de rampe de lancement. Jusqu'alors, en effet, la France se situait, sans parler du cas exceptionnel des Pays-Bas, dans le peloton de queue des pays qui utilisaient le travail à temps partiel, instrument de flexibilité s'il en est, notamment dans le secteur des services et, plus particulièrement, dans les domaines du commerce. Depuis, le retard a été largement comblé puisque 17,2 % des salariés travaillent à temps partiel, dont 31,7 % de femmes.

Contrats à durée déterminée, intérim et travail à temps partiel participent à l'évidence de la recomposition du marché du travail et à sa précarisation. Ils ne sont pas les seuls, tant et si bien que l'observation par le biais du prisme de l'emploi en équivalent temps plein – commode statistiquement –, et non celle des effectifs réellement employés pour des durées variables, ne rend plus compte des situations concrètement vécues. On peut travailler un minimum d'heures, être considéré comme un actif occupé, et pourtant disposer de revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Le cas extrême des working poors, ou travailleurs pauvres, ne se constate pas qu'aux États-Unis, et tout le débat sur les minima sociaux, en France, témoigne du développement préoccupant de cette catégorie.

Autour du noyau dur du salariat à temps plein et à durée indéterminée, selon un modèle qui a bien fonctionné entre la Libération et le début des années 1970, pendant ce que Jean Fourastié a appelé les Trente Glorieuses, se sont progressivement installées, en cercles concentriques, des formes plus ou moins dégradées d'emploi qui entretiennent une relation, distendue ou non, avec le travail. On y trouvera le travail indépendant, qui semble être le fait majoritaire des cadres ou experts en fin de carrière, mais également les statuts les plus précaires, stagiaires de la formation en alternance ou apprentis par exemple, ainsi que, au bout du bout, les bataillons secrets des travailleurs au noir.

Il est bien entendu délicat de mesurer l'étendue d'un tel bouleversement. À son propos, l'INSEE parle de l'emploi et de son « halo », que, faute de mieux, les chercheurs chiffrent entre 10 et 15 % de la population active.

Une panoplie de mesures variées pour tenter d'accompagner un mouvement irréversible

Quoi qu'il en soit, et parfois à leur corps défendant, les politiques publiques en faveur de l'emploi participent de la dynamique du mouvement en cours. Hors baisses des charges pour les bas salaires, les dépenses pour l'emploi interviennent pour 318 milliards de francs dans le budget de l'État (219 milliards de francs en 1990). En leur sein, 62 milliards ont été consacrés à l'emploi marchand aidé, ou à l'emploi non marchand aidé, correspondant à 2,26 millions de personnes en 1998.

Dans cet ensemble cohabitent la plupart des dispositifs inventés ces dernières années pour des publics ciblés, les contrats de la formation en alternance mais aussi les contrats de retour à l'emploi (CRE) ou les contrats d'initiative pour l'emploi (CIE), pour les chômeurs âgés, les contrats emploi solidarité (CES) et les contrats emploi consolidés (CEC), ainsi que les emplois de ville ou les emplois jeunes (160 000 depuis leur création). Au voisinage figurent les emplois familiaux, soutenus par une déduction fiscale attrayante et, moins perceptibles, les chômeurs qui travaillent plus de 78 heures dans le mois.

Ici, un arrêt s'impose. Parmi les actifs occupés figurent désormais, depuis une décision du Conseil d'État de 1995, des demandeurs d'emploi qui, non comptabilisés dans les statistiques du chômage, sont néanmoins inscrits régulièrement à l'ANPE. Sous double statut, plus précaires que les précaires et en nombre croissant, ils constituaient 14 % des listes de l'ANPE en 1998, contre 10 % en 1996, et, du fait de l'extrême volatilité de leur emploi, leur effectif se renouvelle d'un tiers chaque mois. En septembre 1996, ils étaient 320 000 et, en septembre 1999, 522 000…

Au total, c'est donc bien l'emploi qui a changé de nature et, sans doute, de façon durable. Si le plein-emploi doit revenir d'ici dix ans, comme l'espèrent les responsables gouvernementaux, ce ne sera pas sur les bases du passé. On comprend, dès lors, que la place de la valeur travail dans nos existences morcelées en vienne à être interrogée. L'incertitude qui en découle est d'autant plus difficile à supporter que le lien social qu'assure le travail est indispensable à nos sociétés.

A. Le.

➙ CDD, CDI, flexibilité, population active, temps de travail

Employé

Salarié n'exerçant pas un travail manuel mais n'occupant pas non plus de fonctions d'encadrement ou de direction. Les employés sont parfois appelés « cols blancs », par référence au terme anglo-saxon de « white collar », et par opposition aux ouvriers, les « cols bleus ».