Dictionnaire de l'économie 2000Éd. 2000
E

Économies socialistes (suite)

L'élaboration du plan reposait sur les balances-matières, tableaux équilibrant emplois et ressources en quantités physiques pour chaque branche prioritaire, et imputant les quantités à produire assignées à chaque branche en fonction de ses objectifs propres et des inputs (facteurs de production) qu'elle devait fournir aux branches prioritaires (ex. : les branches charbon et minerai de fer devaient approvisionner la branche sidérurgie en quantités déterminées pour que celle-ci puisse atteindre son propre objectif quantitatif de production, en tonnes d'acier). Les branches non prioritaires étaient sacrifiées et ne recevaient pas d'objectifs propres. Pendant l'exécution du plan, leurs produits venaient donc à manquer et toutes les entreprises faisaient face à une incertitude de l'approvisionnement planifié. Elles se couvraient contre cet aléa du plan en gardant en réserve tous les inputs qu'elles pouvaient se procurer à tout moment, légalement ou non, y compris la main-d'œuvre. En outre, pour obtenir des ressources en pénurie, elles biaisaient l'information transmise aux autorités, développaient des relations interentreprises hors plan, se portaient acquéreurs sur les marchés parallèles et marchandaient avec leur ministère de tutelle les objectifs et les moyens de leur plan.

Une organisation de la pénurie

Les marchés et la monnaie n'ont jamais disparu dans les économies socialistes (déjouant ainsi les pronostics de Marx, d'Owen et de Lénine). Sur les marchés officiels (biens de consommation, produits agricoles des coopérateurs, biens d'occasion), à prix fixés et à quantités rationnées par le plan, l'ajustement offre-demande se faisait par la longueur des files d'attente. Sur les marchés parallèles, l'ajustement se réalisait par la variation des prix, apportant une solution partielle à la pénurie de l'économie officielle. Il s'agit des marchés gris (trocs d'intrants interentreprises, revente par les ménages de biens et de services mis à disposition à bas prix par l'État), marrons (vente de produits en forte pénurie à des clients privilégiés) et noirs (spéculation, devises étrangères, produits volés, stupéfiants, prostitution). La monnaie avait donc un pouvoir d'achat pour les ménages, surtout dans l'économie parallèle, approvisionnée, mais à prix élevés. Pour les entreprises, la monnaie dite « passive » consistait en écritures  et  en  virements  entre  leurs  comptes  et  ceux  de la Banque unique d'État, et elle n'était qu'un moyen de contrôler l'affectation planifiée des biens matériels. Le salariat socialiste était spécifique : faibles salaires contre travail peu intense et peu discipliné. Cela était dû   à   la   pénurie   de   main-d'œuvre   hors   des   entre- prises, aux sureffectifs dans l'entreprise et aux pénuries et aux ruptures d'approvisionnement désorganisant le travail.

Ces contradictions de l'économie socialiste ont engendré sa crise finale. Les symptômes de cette crise furent : chute continue des taux de croissance du produit national en Russie et en Europe de l'Est ; incapacité de suppléer une croissance extensive (basée sur la mobilisation croissante des facteurs de production) par une croissance intensive (basée sur les gains de productivité), malgré plusieurs vagues de réformes entre 1957 et 1987 (perestroïka) ; montée de l'inflation, par allongement de la durée d'attente des produits, ou par inflation ouverte là où les prix ont été partiellement libérés (Hongrie, Pologne) ; déséquilibre commercial avec l'Ouest et dette extérieure croissante (Pologne en défaut de paiement en 1981) ; crise du travail, rejeté par les jeunes, et expansion du travail au noir dans l'économie parallèle. D'où la perte de légitimité du régime communiste, qui a précipité l'effondrement du système en 1989

W. A.

➙ Collectivisme, communisme, pays de l'Est, planification, Russie, socialisme, systèmes économiques

Économie souterraine

Richesses produites à l'insu des pouvoirs publics, hors du circuit des impôts et des contributions sociales.

L'économie souterraine, parallèle ou « infor-melle », n'apparaît que depuis très récemment dans les chiffres du PIB des pays développés, mais il s'agit forcément d'estimations très vagues. Elle n'est pas seulement un phénomène réservé aux pays en développement, où son poids est souvent supérieur à 30 % du PIB ; elle concerne aussi les pays riches, en particulier ceux de l'Europe occidentale, où le phénomène prend une ampleur de plus en plus grande. Avec la mondialisation économique, les législations nationales n'évoluent pas au rythme souhaité par les entreprises, qui ont besoin d'une « flexibilité » et d'une liberté d'action accrues. L'économie souterraine leur offre cette marge de manœuvre désirée, tout en sapant les bases de financement des prestations sociales et des services publics.

Le travail au noir, défini comme toute activité rémunérée mais non déclarée aux pouvoirs publics, est l'une des principales composantes de l'économie souterraine. La Commission européenne estime que le travail au noir fait vivre 20 millions de personnes dans l'Union et représente 7 à 16 % du PIB européen, une fourchette large qui s'explique par le caractère opaque de ce sujet.

L'économie souterraine est souvent déterminée par le niveau de la pression fiscale

La France se trouve dans la moyenne européenne. L'INSEE, qui calcule autrement que Bruxelles, estime qu'environ 4 % de la richesse nationale en France est à mettre au compte de l'économie parallèle (mais ces chiffres ne prennent pas en compte les activités criminelles, comme le trafic de drogue). D'autres calculs font état d'un chiffre bien supérieur de 15 %. Partout, le travail illégal est répandu dans des secteurs comme le bâtiment, les travaux domestiques, l'hôtellerie, la réparation automobile ou la confection, avec des cascades de sous-traitants offrant leurs services à des prix battant toute concurrence.

Certains pays comme la Grèce et l'Italie sont des pays de référence en matière d'économie souterraine.  En  Italie,  on  estime  qu'un  cinquième  de la main-d'œuvre travaille au noir et qu'un quart du PIB italien échappe à tout contrôle du fisc. Après avoir été une valve de sécurité pour absorber les excédents de main-d'œuvre, le secteur informel est devenu une composante structurelle de l'économie italienne, permettant d'assurer une partie de la croissance du pays. Dans le cas de l'Italie, d'autres facteurs sont en jeu : certaines entreprises, notamment dans le sud du pays, paient déjà un tribut à la Mafia et ne peuvent plus  payer  leurs impôts à l'État.