Dictionnaire de la danse 1999Éd. 1999
B

Bauhaus.

École d'art allemande (1919-1933).

Conçu et mis en œuvre par un architecte, Walter Gropius, le projet du Bauhaus embrasse en fait toutes les catégories des arts visuels : architecture, dessin, peinture, sculpture, design industriel, scénographie et chorégraphie, arts de la scène. Son but est de mettre en corrélation ces divers processus de création pour parvenir à un " nouvel équilibre culturel ", esthétique et politique, social et individué, ce qui exclut, précise Gropius, tout retrait de l'artiste " dans sa tour d'ivoire ". Étudiants et artistes-enseignants sont appelés, dans une vraie communauté de travail, à concevoir et réaliser une synthèse entre l'art du temps et la technologie moderne. Basés sur l'étude des facteurs " biologiques " de la perception chez l'homme, les travaux mettent l'accent sur les problèmes de la forme (Gestalt) et de l'espace, abordés sous tous les angles possibles afin de déterminer comment mettre efficacement en relation une création individuelle et l'attente ou le besoin du plus grand nombre. L'une des maximes fondamentales du Bauhaus est de demander aux enseignants d'exposer sans l'imposer leur recherche propre, de sorte que l'étudiant en perçoive les présupposés, la singularité et les limites effectives, sans être tenté ou contraint de l'imiter mécaniquement : l'invention, unique et neuve, mais non coupée du collectif, rompt avec toute trace de *mimésis ; elle est à la fois un fait (objectivement évaluable) et un événement qui, dans le temps, n'exclut aucune transformation à venir. Cette dimension représente la part utopique du projet du Bauhaus qui restera comme le modèle jamais assez fondé de tous les projets ultérieurs ayant l'intégration des arts comme principe.

Le Bauhaus connaît trois périodes. Dirigé par Gropius à Weimar (1919-1924), il évolue d'une représentation encore " mystique " ou idéologique vers un " art construit " et une production effective. Installé à Dessau (1925-1932), sous les directions successives de Gropius, Hannes Meyer et Ludwig Mies van der Rohe, il oscille entre pratique " matérialiste " et " monde de l'art pur " tandis que se durcit la contestation de sa dimension utopique et sociale. Enfin, chassé de Dessau, municipalité devenue nazie, il devient à Berlin un établissement privé : en octobre 1932, les cours reprennent, mais l'interpellation d'étudiants par les S.A. suite à une perquisition entraîne sa fermeture et sa dissolution le 20 juillet 1933. Cette fin brutale est à la mesure de ce que le Bauhaus met en jeu sur l'échiquier de l'art moderne. Plus que ses réalisations - qui exerceront une influence considérable à travers le monde et loin dans le temps - c'est son espace qui est perçu comme intolérable, que le pouvoir non seulement interdit mais éradique dans sa possibilité même. Certes les oeuvres de W. *Kandinsky, Paul Klee, Laszlo Moholy-Nagy, miracles d'équilibre entre naïveté et science, ne pouvaient qu'appeler une réaction : elles seront jugées " art dégénéré ". Mais c'est peut-être, plus sourdement, " le théâtre du Bauhaus " qui suscite une résistance implacable.

Les ateliers de recherche scénographique, scénique, chorégraphique, que Lothar Schreyer et O. *Schlemmer animent, dépassent de loin le seul jeu des formes et des questions esthétiques explorés activement par Kandinsky. Au-delà de l'idée de " théâtre total ", ce que ces travaux, surtout ceux de Schlemmer, veulent constituer c'est un corps, décliné sous tous ses aspects organiques ou formels, susceptible d'habiter plastiquement l'espace. Des danses dites "Danses du Bauhaus" (danse des bâtons, danse de métal, danse de verre, danse des cerceaux) au *Ballet triadique, Schlemmer crée dans les années 1920 un espace chorégraphique où les éléments (matériaux, couleurs, sons, musiques, gestuelles, arguments et intrigues) se mêlent les uns aux autres tout en conservant leur densité propre pour mieux se fondre dans la silhouette géométriquement dessinée d'une " figure d'art " qui invente ses parcours et ses espaces sans les imposer. Schlemmer dit magnifiquement : " seule la danse est apte à pénétrer en douceur le sens de nouveauté ; elle avance masquée et est essentiellement discrète ". Cette discrétion fait écho, tout en s'en distinguant, aux recherches chorégraphiques qui lui sont contemporaines (R. *Laban, M. *Wigman, K. *Jooss, É. *Jaques-Dalcroze) : elle construit une danse qui ne cherche pas à occuper l'espace mais à en sentir les conditions précaires, aléatoires, changeantes. Le sens de la forme, nuancé, consiste à ne jamais durcir l'espace, à s'appuyer sur une matière solide mais sensible à la fluidité des intensités qui l'environnent et qui lui donnent souffle, couleur, air. Les intégrations de matières, de sens, se font, de fait, en douceur, presque imperceptiblement, avant toute spectacularisation. Ne s'arrêtant à aucun cadre (qu'il soit de scène, politique ou imaginaire), ces danses font de l'espace et du temps une architecture où l'on ne se heurte pas, où l'ordre ne donne jamais lieu à une promiscuité et à la haine que celle-ci crée d'emblée. L'utopie du Bauhaus y trouve sa raison la plus secrète : un espace commun n'est possible que lorsqu'un corps sait mourir à lui-même au contact de l'approche d'un autre corps hanté par un semblable souci.

DD

Pina BAUSCH, [B. Philippine, dite ] (née en 1940).

Danseuse, pédagogue et chorégraphe allemande.

Elle grandit à Solingen, petite ville de la Ruhr où ses parents tiennent une brasserie. Élève de l'École d'*Essen alors dirigée par K. *Jooss, lauréate du Prix Folkwang en 1959, elle part ensuite étudier à la *Juilliard School de New York. Parallèlement, elle danse dans la compagnie P. *Sanasardo, au New American Ballet et au *Metropolitan Opera Ballet. De retour à Essen en 1962, elle rejoint le *FTS et devient la partenaire de J. *Cébron. Im Wind der Zeit, un de ses premiers essais chorégraphiques, est primé au Concours de Cologne en 1969. H. *Züllig, nouveau directeur de l' École d'Essen, lui confie alors un poste de professeur et la direction du FTS, où elle crée plusieurs pièces dévoilant déjà toute la complexité psychologique qui restera la marque de son travail. En 1973, Arno Wüstenhoffer lui propose de diriger le Ballet de *Wuppertal. Sur ses conseils, afin de ménager le public habitué au répertoire classique, elle présente des versions nouvelles d'*Iphigénie en Tauride (1974) ou *Orphée et Eurydice (1975) parallèlement aux productions issues de ses recherches. Malgré cela, de *Fritz (1974) à *Blaubart (1977), puis à nouveau pour *Arien (1979), son travail est rejeté brutalement. La critique l'attaque, des conflits naissent au sein de l'équipe, la ville menace de remettre en question son contrat. Les scandales se succèdent, comme au théâtre de Bochum lors de la première de Er nimmt sie bei der Hand (1978) inspiré du *Macbeth de *Shakespeare : la chorégraphe résiste, travaillant sans relâche, créant dans les moments de désespoir des œuvres majeures comme *Café Müller (1978) et trouvant en Wüstenhoffer un soutien inébranlable. Elle met à profit les moyens que lui procure l'institution pour affiner son *Tanztheater. Le succès international croissant à partir des années 1980, tout particulièrement en France, lui permet finalement d'obtenir carte blanche de la ville de Wuppertal, fière d'une compagnie devenue son principal ambassadeur.