Dictionnaire de la danse 1999Éd. 1999
G

Betty GRABBLE, [G. Ruth Elizabeth, dite ] (1921-1973).

Danseuse, chanteuse et actrice américaine.

Très jeune, elle étudie le chant et la danse, débute dans les Chorus Girls de Samuel Goldwin et paraît dans diverses comédies et spectacles musicaux des années 1930 (The *Gay Divorcee, *Follow the Fleet). Surnommée la " reine des pin-ups ", indissociable de l'esprit américain des années 1940, elle se produit pendant la Seconde Guerre mondiale dans une série de films musicaux, à la tête d'un escadron de claquettistes dans des *routines à la précision toute militaire. Elle fournit l'une de ses meilleures prestations dans la série de *tangos et de *rumbas chorégraphiés par H. *Pan dans Down Argentine Way (1940, réal. XXXXX, *Fox). À partir des années 1950, elle travaille principalement dans les night-clubs, à la télévision et dans les théâtres de province.

ESe

Martha GRAHAM (1894-1991).

Danseuse, chorégraphe et pédagogue américaine.

Elle naît à Pittsburgh (Pennsylvanie). Son père, cultivé et libéral, est médecin aliéniste. En 1908, sa famille s'installe en Californie où elle assiste en 1911 à un spectacle de R. *Saint Denis. Décidant alors de devenir danseuse, elle continue ses études à la Cumnock School of Expression de Los Angeles, où elle suit des cours de théâtre, d'histoire de l'art et de littérature. En 1917, elle entre au *Denishawn. Très vite T. *Shawn la distribue dans les spectacles de la compagnie et lui confie la charge de cours ; il lui offre son premier grand rôle dans Xochilt (1920) donné ensuite en tournée aux États-Unis et en Grande-Bretagne. En 1923, elle quitte le Denishawn dont elle critique le pur esthétisme et se produit à New York au Greenwich Village Follies puis forme, avec Evelyn Sabin, Betty McDonald et Thelma Biracnee, le " Martha Graham and Trio " qui donne son premier récital en 1926 au 48th Street Theater de New York. Elle cherche alors à se dégager de l'influence du Denishawn - encouragée en cela par L. *Horst qui y fut son professeur de musique - et à créer une danse en rupture radicale avec le ballet classique, sans pour autant en revenir à la danse *libre d'I. *Duncan. C'est son association avec le Neighborhood Playhouse où elle trouve à enseigner, qui va lui permettre d'inventer un langage chorégraphique à la fois artistique et pédagogique. Dès 1928 sont déjà présents les linéaments de son vocabulaire qui ne cesseront d'évoluer, de dessiner des angles de plus en plus abrupts et dangereux. Elle constitue le " Martha Graham Group " dont le premier programme en 1929 se compose de Heretic, Moment rustic, Vision of the Apocalypse. En 1930, elle crée *Lamentation véritable acte de naissance de son art ; d'autres solos essentiels suivront, tels *Frontier (1935) qui marque le début de sa collaboration avec I. *Noguchi et Deep song (1937), entrecoupant la création de pièces de groupe dont *Primitive Mysteries (1931), tandis que commencent les premières tournées. Jusqu'en 1945, Graham enseigne tous les étés à *Bennington College et dès 1948 à l'*American Dance Festival. Sa compagnie et son école connaissent un succès grandissant. A partir de 1953, le soutien de B. de *Rothschild permet d'assurer de longues saisons à New York. D'importantes créations, dont *Clytemnestra (1958) et *Phaedra (1962), ponctuent ces années. Graham cesse de danser en 1969, un an après avoir créé The Lady of the House of Sleep (1968). La dépression et la maladie accompagnent cette période. La compagnie survit grâce aux danseurs jusqu'en 1972, année où elle la reprend en main, réforme sa structure, sauvegarde certaines pièces du répertoire. Célébrée, Graham chorégraphie pour R. *Noureev et M. *Baryshnikov. En 1984, elle monte un *Sacre du Printemps. Sa dernière pièce Maple Leaf Rag (1990) offre une vision à la fois sereine et humoristique sur son œuvre. Elle meurt à l'âge de 97 ans.

" Le mouvement ne ment pas " : Graham restera profondément marquée par cette phrase de son père. C'est de lui qu'elle dira avoir reçu sa première " leçon de danse ", distillée par le pouvoir qu'il se donnait de lire sur les corps ce que l'âme aurait voulu cacher ou simplement garder secret. Toute l'œuvre de Graham porte cette question violente et contradictoire : comment produire un mouvement qui dépasse cet effet de lisibilité, aliénant, et porte en lui, au-delà du vrai et du faux, une part d'inconnu, inaliénable ? D'Heretic (1929) à Acts of Light (1981), la danse de Graham cherche un mouvement qu'aucun regard ne saurait réduire à un symptôme. Outre l'accent porté sur la respiration, l'expressivité dramatique du mouvement en soi, le caractère passionnel du geste qui, comme l'écrit J.

G. *Noverre, " quels que soient les mouvements qui en résultent, ne peut manquer d'être vrai ", c'est le jeu complexe entre tension et libération de l'énergie du *contraction-release qui donne à la danse grahamienne sa structure et son destin artistique. A l'opposé de la crispation, la contraction chez Graham rassemble une énergie diffuse et la fixe autour du *centre de gravité du corps ; elle convoque toutes les forces, jusqu'aux plus périphériques et les met en contact avec le corps profond - celui qui reçoit tous les chocs mais auquel on interdit toute expression - afin d'en répercuter physiquement les états et les intensités jusqu'à un point où ils finissent par devenir signes, sens, écriture. L'espace - ce " partenaire infaillible ", dit Graham - offre alors un champ qui autorise l'incarnation théâtrale, celle de personnages historiques ou mythiques, dans une narration ni romanesque ni strictement théâtrale. En fait, avec M. Graham, la danse invente non seulement son espace propre mais aussi son mode de récit, sa scène singulière.

Les années 1930 sont le creuset de cette alchimie. Graham commence alors à tourner ses pièces aux États-Unis. Elles sont en retour traversées par la crise économique et sociale que connaît le pays à l'époque, par les menaces et les guerres qui brisent la vie internationale, révélant une dimension politique trop rarement analysée dans ses implications profondes (American Provincials, 1934 ; Panorama, 1935 ; American Lyric, 1937 ; *American Document, 1938). L'arrivée, en 1938, d'E. *Hawkins, le premier danseur de la compagnie - que Graham épousera -, accentue la dimension passionnelle du travail, ce dont les choix thématiques des pièces sont, par le biais de la littérature ou de la mythologie grecque, les révélateurs au sens presque chimique du mot. Durant les années 1940, la danse de Graham atteint sa plus profonde violence expressive ; ses forces plastiques se creusent jusqu'au vertige, taillent dans les oppositions les plus archétypales, révélant des zones d'ombre qui viennent envelopper la clarté de l'écriture chorégraphique (*Deaths and Entrances, 1943 ; *Cave of the Heart, 1946 ; *Dark Meadow, 1944 ; *Errand into the Maze, 1947 ; *Night Journey, 1947). M. *Cunningham, interprète de Graham entre 1939 et 1944, donne la mesure de l'intensité de cette période : " American Document est sans doute la pièce la plus passionnante, à vous couper le souffle, que l'on puisse espérer ; j'ai dû la voir une douzaine de fois en représentation et en répétition et elle me laisse chaque fois pantois. Quant à Martha, quand elle danse, c'est à se demander pourquoi le reste du monde essaie de marcher... ", écrit-il en 1939. Paradoxalement, si tragiques qu'en soient les motivations et les thèmes, la danse de Graham reste aérienne : c'est qu'au-delà des variations de style, des ruptures esthétiques inévitables, des effets changeants de la modernité, elle ne cesse de mettre en acte l'idée d'H. *Holm que la danse est " un mouvement de pensée ".