Dictionnaire de la danse 1999Éd. 1999
N

Alice NIKITINA (1904 ou 1909-1978). (suite)

Sa brève carrière de danseuse est marquée par la création de ballets de L. *Massine (Zéphyr et Flore, 1925) et G. *Balanchine (la Chatte, 1927 ; *Apollon Musagète, 1928 ; le Bal, 1929). Mince, gracieuse, possédant une grande musicalité, elle se révèle énigmatique et délicieusement féline dans la Chatte et incarne une ravissante Terpsichore dans Apollon Musagète. Elle publie ses mémoires, Nikitina by Herself, à Londres en 1959.

NL

Alwin NIKOLAÏS (1910-1993).

Chorégraphe et pédagogue américain.

D'ascendance russe et allemande, il est initié par sa mère à la musique et à la peinture. Dès seize ans, en improvisant à l'orgue ou au piano, il accompagne des films muets, puis des cours de danse. En 1933, il est marqué par un récital de M. *Wigman, alors en tournée aux États-Unis. Une élève de celle-ci, Truda Kaschmann, va l'initier à la danse. Il dirige ensuite un théâtre de marionnettes à Hartford. En 1937, il ouvre sa première école, s'essaie à la chorégraphie et débute la scène, puis suit le stage d'été de la *Bennington School of Dance, où il rencontre H. *Holm. Il fait ses vrais débuts professionnels avec Eight Column Line (1939), pièce antinazie. Mobilisé en 1942, il participe au débarquement, emportant avec lui sa notation du mouvement, le *choroscript. De retour à New York, il poursuit sa formation auprès de Holm, dont il devient l'assistant. En 1949, il rencontre M. *Louis, qui devient son danseur, collaborateur et compagnon pour la vie.

En 1948, Holm s'étant désistée, il prend la direction du *Henry Street Playhouse. Avec de jeunes danseurs enthousiastes qu'il va former (G. *Bailin, B. *Blossom, P. *Lamhut, Louis, etc.), il restaure ce lieu providentiel et l'ouvre sur le quartier par des cours et des spectacles pour enfants, très populaires, comme Lobster Quadrille (1949). Il étonne, dans *Masks, Props and Mobiles (1953), par son utilisation des accessoires et l'accent déjà mis sur l'environnement. La formation propose alors cours techniques, improvisation, composition, choroscript, pédagogie et percussions. Le petit théâtre permet de s'essayer à la chorégraphie. En 1956, *Kaleidoscope remporte un succès immédiat à l'*American Dance Festival : on y voit s'élaborer son théâtre de l'abstraction, où hommes et femmes sont interchangeables. Prism (1956) est sa première exploration des possibilités de la lumière. La télévision s'intéresse à sa pièce suivante, très inventive (Allegory, 1959), et le grand public le découvre grâce au Steve Allen Show. *Totem (1960) voit arriver son fidèle costumier et accessoiriste F. *Garcia et lance une série de films expérimentaux l'associant à E. *Emshwiller (Totem, 1962 ; Chrysalis, 1972). Dès 1962, à l'initiative de J. * Woodbury, ont lieu des stages à Salt Lake City, où, assisté de Louis, il précise sa pédagogie et forme C. *Carlson. Elle deviendra sa danseuse fétiche. Une bourse Guggenheim lui permet d'acheter un synthétiseur : il crée des musiques électroniques pour *Imago, *Sanctum, *Vaudeville of the Elements, etc. Dès *Somniloquy (1967), aidé du nouveau carrousel Kodak, il projette ses diapositives originales directement sur ses danseurs, créant un théâtre total unique où mouvement, couleur, forme et son ont la même importance. 1968 est l'année de sa reconnaissance internationale et d'un chef-d'œuvre : *Tent. La France découvre sa troupe, devenue le Nikolaïs Dance Theatre.

En 1969, il déménage et rebaptise son théâtre Space et son école, très fréquentée, Dance Lab. Il surprend en 1971 avec *Scénario et, pour l'Opéra de *Hambourg, crée des danses insolites pour deux opéras. Continuant ses recherches lumineuses avec Crossfade (1974) et *Gallery (1978), il s'intéresse aux masques, ainsi qu'au thème de la marionnette dans Guignol (1977) et Schéma (1980, Op. de *Paris). À partir de Mechanical Organ (1980), il revient à une danse plus dépouillée, redonnant priorité au corps dansant (*Blank on Blank, 1987). Sa compagnie fusionne en 1989 avec celle de Louis pour former la Nikolaïs and Murray Louis Dance. Un an avant sa mort, Aurora (1992) éblouit encore par ses jeux de miroirs.

Nikolaïs sera accusé à ses débuts (sauf par l'avisé J. *Martin) de « déshumaniser » ses danseurs, alors qu'il ne cherche qu'une plus grande liberté. Deux concepts sont essentiels dans sa philosophie : la décentralisation et l'intelligence du mouvement. Il élargit les limites du corps dans l'espace grâce à divers tissus ou accessoires, puis, influencé par Einstein (relativité) et le sociologue Marshall McLuhan (médias), il va imaginer un *centre fluide, pouvant voyager dans le corps avec des changements très rapides. Après quelques essais, il se démarque totalement de M. *Graham ou de D. *Humphrey et, n'empruntant pas au classique comme M. *Cunningham, invente un vocabulaire non codifié, où le mouvement a sa propre intelligence : « Motion, not emotion », recommande-t-il. Inspirée de Holm, sa pédagogie, évolutive (voir *traversées), se base non sur des enchaînements tout faits (*patterns), mais sur des sensations, des qualités de mouvement et une conscience constante des quatre fondamentaux : *espace, *temps, *motion et *shape [forme]. En atelier, on travaille la Gestalt (totalité reconnaissable) : le but est non d'imiter, mais d'arriver à découvrir une danse personnelle, un « geste unique », d'où de grandes différences parmi ses continuateurs, tant aux États-Unis (C. *Gitelman, T. *Beal, etc.) qu'en France, où S. *Buirge et Carlson s'installent en 1971. Il y enseignera d'ailleurs lui-même au *CNDC d'Angers, qu'il dirigera de 1978 à 1981 et où se formeront de nombreux chorégraphes français, dont Ph. *Decouflé.

Figure essentielle de la danse moderne et créateur fécond (plus de cent vingt œuvres), salué par la critique internationale, il reçoit en 1987 les Kennedy Honors. À la fois homme de théâtre visionnaire, artiste multimédia, philosophe, pionnier des éclairages, plasticien et compositeur, surnommé le « magicien », il joue sur l'illusion, mais derrière le divertissement, s'interroge souvent sur la place de l'homme dans l'univers.