Etat (suite)
Les théories économiques de l'État
On peut distinguer trois principales analyses du rôle de l'État dans l'économie : celle des libéraux, celle des keynésiens et celle des marxistes.
• Les partisans du libéralisme économique considèrent que l'intervention de l'État fausse les mécanismes autorégulateurs de l'économie de marché. En prélevant des impôts, l'État décourage les agents les plus productifs et détourne une partie des revenus de leur allocation spontanée, les individus ne pouvant ainsi révéler leurs réelles préférences par leur consommation. De plus, ces sommes prélevées par l'État sont, selon eux, mal utilisées : elles servent à financer des activités peu utiles (réalisations de prestige...) et à entretenir des fonctionnaires ou des entreprises peu productives (les entreprises publiques ne sont pas sanctionnées par le marché puisque leur déficit éventuel est couvert par l'État).
L'État aurait de plus tendance à dépenser plus qu'il ne prélève par l'impôt et à couvrir ce déficit en créant de la monnaie (source d'inflation), ou en empruntant auprès du public (« effet d'éviction » au détriment des entreprises privées, qui ont plus de mal à se financer).
Les libéraux les plus radicaux (tel Jean-Baptiste Say) préconisent un « État minimal », réduit à des fonctions de police et de justice. D'autres (comme Léon Walras) attribuent à l'État un rôle de gardien de la libre concurrence (« État gendarme »), mais considèrent également que l'État doit intervenir quand la concurrence ne peut jouer (cas des richesses minières, limitées par la nature, ou des « biens collectifs », telle la défense nationale, ne pouvant faire l'objet d'un prix de marché car nécessairement consommés collectivement).
Prélèvements obligatoires et dépenses sociales
Un débat oppose dans de nombreux pays ceux qui souhaitent réduire l'importance des impôts et cotisations sociales, afin de permettre aux agents de disposer librement d'une part plus importante de leur revenu, à ceux qui désirent maintenir les moyens financiers dont dispose l'État pour mener une politique sociale.
Pour mieux saisir les enjeux, on peut opposer la situation des États-Unis, plus « libéraux », à des pays comme la France et surtout la Suède, où le rôle de l'État providence est beaucoup plus marqué.
On s'aperçoit que, si les États-Unis consacrent globalement autant que les autres pays cités (en pourcentage de leur produit intérieur brut) aux dépenses d'éducation, et davantage qu'eux aux dépenses de santé, la part du financement privé y est beaucoup plus élevée, surtout en ce qui concerne l'enseignement supérieur d'un côté, et les soins médicaux de l'autre.
Un faible degré de prélèvements obligatoires a donc pour conséquence que ceux qui souhaitent apprendre et se soigner correctement doivent consacrer l'allégement de leur fardeau fiscal au paiement direct de ces prestations à des établissements privés. Pour certains, cela a pour effet heureux de mettre chacun face à ses responsabilités et d'éviter le gaspillage propre au secteur public. Pour d'autres, la privatisation de l'enseignement et de la médecine conduit à augmenter l'inégalité entre riches et pauvres et à introduire des pratiques mercantiles au sein d'activités visant au mieux-être collectif.
Cette vision du rôle de l'État a influencé les politiques suivies dans la plupart des pays depuis le milieu des années 1970, consistant à réduire la sphère publique (privatisation en Grande-Bretagne, en France et dans divers pays du tiers-monde), à diminuer le poids de la fiscalité (États-Unis) et de la dette publique (UEM, Union européenne monétaire), et à laisser les capitaux circuler librement.
• Selon J. M. Keynes et ses disciples, l'État doit permettre le plein-emploi, qui n'est que le fruit du hasard dans les économies capitalistes, car aucun mécanisme ne conduit nécessairement à sa réalisation : tout dépend des anticipations de profit effectuées par les chefs d'entreprise, les poussant ou non à accroître le volume de l'emploi. Il appartient donc à l'État de soutenir la demande en augmentant les dépenses publiques et la quantité de monnaie en circulation, afin d'améliorer les perspectives de profit des entrepreneurs et de les inciter à produire plus. Sinon il existe un grand risque de faible croissance et de chômage involontaire.
• Marx et les marxistes envisagent le rôle de l'État dans une perspective historique et conflictuelle. Pour Marx, à chaque moment de l'histoire, l'État représente l'intérêt de la classe dominante. Dans la société capitaliste, les règles juridiques élaborées par « l'État bourgeois » et les moyens répressifs dont il dispose permettent aux propriétaires des moyens de production d'exploiter les prolétaires et de prendre les décisions économiques les plus appropriées pour accroître leur profit.
Les marxistes contemporains ont prolongé l'analyse en reliant l'évolution du rôle de l'État à celle du capitalisme : si celui-ci a pu dépasser ses crises (et s'il n'a pas connu d'explosion révolutionnaire), c'est selon eux parce que l'État a imposé des limites à l'exploitation de la classe ouvrière (en accordant des droits syndicaux, en limitant la durée du travail, en réglementant les conditions de travail, en imposant des salaires minimaux...). C'est aussi parce que l'État a pris à sa charge un ensemble de dépenses (infrastructure, éducation, recherche fondamentale...) qui ont réduit les coûts des entreprises et accru leurs débouchés. C'est enfin parce que les États ont mené des politiques protectionnistes qui ont permis aux entreprises de mieux résister à la concurrence extérieure ou qui les ont aidées à conquérir de nouveaux marchés.
Quel État pour demain ?
L'État doit-il s'effacer devant les « forces du marché » et se contenter de fixer quelques règles du jeu ? Ou doit-il au contraire conserver les rênes de l'économie pour stimuler la croissance, assurer le plein-emploi et réduire les inégalités ? Ce débat entre défenseurs et détracteurs du rôle de l'État dans l'économie n'est pas clos, comme en témoignent les incertitudes des gouvernants, soucieux à la fois de respecter l'initiative privée et d'assurer la cohésion sociale. La réponse à cette question dépasse sans doute le cadre de l'économie car elle met en jeu une réflexion plus générale sur la nature des institutions étatiques et les rapports entre l'individu et la collectivité.