Économies socialistes (suite)
L'élaboration du plan reposait sur les balances-matières, tableaux équilibrant emplois et ressources en quantités physiques pour chaque branche prioritaire, et imputant les quantités à produire assignées à chaque branche en fonction de ses objectifs propres et des inputs (facteurs de production) qu'elle devait fournir aux branches prioritaires (ex. : les branches charbon et minerai de fer devaient approvisionner la branche sidérurgie en quantités déterminées pour que celle-ci puisse atteindre son propre objectif quantitatif de production, en tonnes d'acier). Les branches non prioritaires étaient sacrifiées et ne recevaient pas d'objectifs propres. Pendant l'exécution du plan, leurs produits venaient donc à manquer et toutes les entreprises faisaient face à une incertitude de l'approvisionnement planifié. Elles se couvraient contre cet aléa du plan en gardant en réserve tous les inputs qu'elles pouvaient se procurer à tout moment, légalement ou non, y compris la main-d'œuvre. En outre, pour obtenir des ressources en pénurie, elles biaisaient l'information transmise aux autorités, développaient des relations interentreprises hors plan, se portaient acquéreurs sur les marchés parallèles et marchandaient avec leur ministère de tutelle les objectifs et les moyens de leur plan.
Une organisation de la pénurie
Les marchés et la monnaie n'ont jamais disparu dans les économies socialistes (déjouant ainsi les pronostics de Marx, d'Owen et de Lénine). Sur les marchés officiels (biens de consommation, produits agricoles des coopérateurs, biens d'occasion), à prix fixés et à quantités rationnées par le plan, l'ajustement offre-demande se faisait par la longueur des files d'attente. Sur les marchés parallèles, l'ajustement se réalisait par la variation des prix, apportant une solution partielle à la pénurie de l'économie officielle. Il s'agit des marchés gris (trocs d'intrants interentreprises, revente par les ménages de biens et de services mis à disposition à bas prix par l'État), marrons (vente de produits en forte pénurie à des clients privilégiés) et noirs (spéculation, devises étrangères, produits volés, stupéfiants, prostitution). La monnaie avait donc un pouvoir d'achat pour les ménages, surtout dans l'économie parallèle, approvisionnée, mais à prix élevés. Pour les entreprises, la monnaie dite « passive » consistait en écritures et en virements entre leurs comptes et ceux de la Banque unique d'État, et elle n'était qu'un moyen de contrôler l'affectation planifiée des biens matériels. Le salariat socialiste était spécifique : faibles salaires contre travail peu intense et peu discipliné. Cela était dû à la pénurie de main-d'œuvre hors des entre- prises, aux sureffectifs dans l'entreprise et aux pénuries et aux ruptures d'approvisionnement désorganisant le travail.
Ces contradictions de l'économie socialiste ont engendré sa crise finale. Les symptômes de cette crise furent : chute continue des taux de croissance du produit national en Russie et en Europe de l'Est ; incapacité de suppléer une croissance extensive (basée sur la mobilisation croissante des facteurs de production) par une croissance intensive (basée sur les gains de productivité), malgré plusieurs vagues de réformes entre 1957 et 1987 (perestroïka) ; montée de l'inflation, par allongement de la durée d'attente des produits, ou par inflation ouverte là où les prix ont été partiellement libérés (Hongrie, Pologne) ; déséquilibre commercial avec l'Ouest et dette extérieure croissante (Pologne en défaut de paiement en 1981) ; crise du travail, rejeté par les jeunes, et expansion du travail au noir dans l'économie parallèle. D'où la perte de légitimité du régime communiste, qui a précipité l'effondrement du système en 1989
W. A.
➙ Collectivisme, communisme, pays de l'Est, planification, Russie, socialisme, systèmes économiques