Dictionnaire de l'économie 2000Éd. 2000
E

Emploi, précarité, chômage (suite)

Dans le langage courant, l'emploi désigne à la fois l'exercice d'une activité rémunérée et le poste de travail. Les emplois atypiques sont les emplois à temps partiel, les emplois à durée déterminée et l'intérim. Est chômeur, au sens du Bureau international du travail, toute personne en âge de travailler qui ne l'a pas fait, ne serait-ce qu'une heure, pendant une semaine de référence, qui est disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours et qui cherche activement un emploi.

Personne ne le nie, l'emploi est reparti. En France, sur le rythme atteint au premier semestre, soit une augmentation de 134 200 pour les effectifs salariés, les résultats de 1999 devront dépasser ceux de 1997 (+ 206 400) et peut-être ceux de 1998 (+ 265 000). Si l'industrie stagne ou continue de perdre un peu d'emplois, globalement, la construction s'est bien redressée et les secteurs des services enregistrent des scores triomphaux (+ 63 500 pour le seul deuxième trimestre de 1999, + 167 000 en un an). Sans aucun doute, le retour d'une croissance soutenue et jusqu'à présent durable explique ces bons résultats. D'autant que le seuil de déclenchement de la création d'emplois s'est sérieusement abaissé, ce qui fait dire que la croissance est désormais plus riche en emplois.

Moins d'une personne sur deux au travail

Conjointement, le chiffre du chômage baisse, mais dans des proportions moindres, et il y avait encore près de 2,9 millions de demandeurs d'emploi à la fin septembre 1999. Une vraie amélioration, qui reste toutefois insuffisante au regard d'un drame dont les prémices remontent à 1973. Tenter d'expliquer cette discordance, c'est déjà entrer dans une succession de phénomènes qui, depuis plus d'un quart de siècle, ont bouleversé le monde du travail et le rapport que nous entretenons avec le travail, source quasi exclusive du lien social, ainsi que le rappelle Robert Castel (Métamorphoses de la question sociale).

Chaque année, la population active augmente –de 277 000 en 1997, de 246 000 en 1998 –, autrement dit davantage que l'emploi salarié, le seul qui soit en progression puisque les effectifs non salariés sont en diminution constante du fait des agriculteurs, commerçants et artisans, même si le travail indépendant nouveau – le conseil, l'expertise – progresse. À terme, le vieillissement démographique devrait réduire puis supprimer cet écart, mais il reste des tendances de fond qui, elles, pèsent sur la présence au travail de la population française.

Toujours plus élevée, la population active française (25,9 millions de personnes en 1997) ne représente qu'une part de la population totale, l'une des plus faibles des pays industrialisés, soit 54,4 %, chiffre désignant le taux d'activité. Mais si l'on retient non plus le taux d'activité mais le taux d'emploi, qui fixe le rapport entre la population totale et la population active occupée (donc, sans les chômeurs, 22,9 millions de personnes, dont 10,2 millions de femmes, en augmentation régulière), le pourcentage est encore plus mé-diocre : 48,2 % en 1998, moins d'un Français ou d'une Française sur deux.

Au regard du nombre de personnes en âge et susceptibles de travailler, la situation de la France n'a cessé de se dégrader. Se manifestent là des caractéristiques, dont certaines sont historiques ou culturelles, mais qui tiennent également aux politiques publiques. Ainsi, du fait de la poursuite de la scolarité, la tranche des 15-24 ans ne compte que 30 % d'actifs, le score le plus bas de tous les pays de l'OCDE. À l'autre extrémité de l'éventail, et cette fois en raison des dispositifs de cessation anticipée d'activité, la génération des hommes de 55-64 ans ne comporte plus que 44 % d'actifs et la moyenne d'âge de l'arrêt du travail se situe à 58,5 ans.

La suite se devine aisément. Les 25-54 ans constituent le carré privilégié des actifs, le socle du travail à la française, au point que leur poids dans la population active est passé de 75 % en 1986 à 84 % en 1998. Tandis que les uns sont éloignés de l'emploi, ou écartés prématurément, les autres sont censés s'y consacrer totalement. Ce qui éclaire d'un jour différent le débat sur les 35 heures et donne encore plus de relief au sort des cadres, qui, en 1995, dernière étude en date, effectuaient en moyenne 46 heures par semaine et ont vu le fossé se creuser avec les autres salariés depuis cinq ans.

La remise en cause du modèle « emploi unique, fixe, garanti et stable »

Observée dans le détail, la réalité est encore plus contrastée, car les chiffres globaux ne rendent pas compte de l'éclatement du travail et des formes d'emploi, sous l'effet, conjoint, de la précarité et de la flexibilité. Indissolublement liés, ces deux phénomènes sont dus à la longue déstructuration du marché du travail, provoquée par le chômage, et aux besoins d'adaptation nés à la fois de la compétitivité exigée par la mondialisation de l'économie et de l'introduction, massive et simultanée, des nouvelles technologies. Une déferlante aux multiples causes, donc, qui a remis en cause bien des schémas établis pendant la période précédente, et dont l'ampleur ne cesse de façonner au- trement la société de demain.

Avec la reprise de 1997-1999, le contrat à durée indéterminée (CDI) a certes bénéficié d'un regain, puisqu'il y en a eu 2 % de plus en 1998, et, pour la première fois depuis cinq ans, le nombre de contrats à durée déterminée (CDD) a enregistré une baisse. Mais ce ralentissement ne change en rien l'orientation : en début d'année, la part des contrats à durée déterminée dans les recrutements s'élevait à 68 % ; elle était encore de 66 % en janvier 1999. De même, l'intérim s'est développé à la faveur de la crise de l'emploi et le recours à cette forme particulièrement souple d'emploi s'est avéré être un moyen commode pour faire face aux fluctuations de l'activité. Quand la conjoncture faiblit, le volume du travail temporaire diminue ; quand l'économie paraît se redresser, la prudence des chefs d'entreprise les amène à embaucher d'abord des intérimaires, mais on constate aussi que de gros employeurs en conservent toujours un volant, précisément pour se prémunir de la prochaine difficulté.