Dictionnaire de l'économie 2000Éd. 2000
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Service public (suite)

Aussi excellents soient-ils, les services publics français doivent être réformés pour des raisons à la fois techniques, financières et européennes. On le voit avec les télécommunications dont les sauts technologiques imposent à chaque pays de s'ouvrir à la concurrence. Mais on le voit aussi avec la SNCF que l'État – lui-même endetté – ne pourra pas continuer de subventionner indéfiniment. Enfin l'Europe qui, depuis quarante ans, a permis aux marchandises et aux capitaux de circuler librement, doit maintenant ouvrir ses portes aux « services » européens, qu'ils soient publics ou privés : les fournitures de gaz et d'électricité, les transports ferroviaires, aériens et routiers, dans une moindre mesure la poste elle-même... vont être soumis à la concurrence au fur et à mesure que les monopoles publics vont disparaître. Les pays de l'Union européenne s'y sont engagés. D'une façon plus fondamentale, la question se pose de savoir si l'État comme entrepreneur n'est pas une proie trop facile pour les groupes d'intérêt qui « capturent » ses services publics afin de servir des intérêts ne correspondant pas, ou pas complètement, à l'intérêt général. C'est ainsi que, sous la pression d'EDF et de ses ingénieurs épris de technologie, la France a largement surdimensionné son parc de centrales nucléaires et vendu aux usagers mal informés un « tout électrique » coûteux.

Les bonnes et les mauvaises raisons de la « défense du service public »

Dans le combat mené par Paris pour protéger ses « services publics », deux dangers opposés menacent. Le premier serait de mener bataille pour de mauvaises causes, perdues d'avance ou ruineuses pour le pays. Le second serait de plier, sans faire d'examen approfondi, aux nouvelles règles européennes ou mondiales de la concurrence, fortement influencées par les habitudes anglo-saxonnes.

Les mauvaises causes d'abord. Il faut savoir et dire ce que l'on défend : le service public lui-même, qui, sous la IIIe République, a fondé toute une école de philosophie juridique et dont une loi de 1995 sur l'aménagement du territoire dit encore – dans la plus pure tradition républicaine – qu'il concourt à l'unité et à la solidarité nationales ; ou bien le monopole public, qui, dans certains cas où les investissements en infrastructures sont considérables, peut être collectivement plus efficace que des entreprises se faisant concurrence : une ligne de chemin de fer, des lignes haute tension (les économistes parlent dans ce cas des rendements croissants ou des coûts décroissants propres aux « monopoles naturels »)… Ou bien faut-il défendre le domaine du droit public dans lequel s'exerce le service public et qui a donné naissance – entre autres – à des statuts du personnel plus avantageux que le droit commun, en matière de retraites et de garantie de l'emploi notamment ? Est-ce enfin l'entreprise publique qui doit être défendue contre les privatisations parce qu'elle a permis de développer à grands frais pour l'État, sous couvert de service public, ce que l'économiste Élie Cohen appelle « colbertisme high-tech » : Airbus, France Télécom, Arianespace, TGV, centrales nucléaires... ? En quelque sorte, l'industrie de pointe financée par les contribuables plus que par les clients. On voit bien l'ambiguïté de certaines protestations qui permettent à des intérêts corporatistes de se dissimuler sous le manteau de l'intérêt général.

Une chose est sûre : les thèses des juristes de la IIIe République qui assimilaient services publics et administration ne rendent plus compte de la réalité. Car, de même que toutes les entreprises administratives ne sont pas des services publics, de même de nombreux services publics ne sont pas gérés par des organismes publics, comme la distribution d'eau, concédée au secteur privé. Certains services restent publics tout en prenant un caractère industriel et commercial, à l'instar d'Électricité de France qui vend ses prestations, recherche le profit et fait des bénéfices. On est alors assez loin des services publics proprement administratifs ou encore « régaliens », héritage du noyau dur de la puissance d'État qui levait l'impôt, assurait la sécurité (police) et rendait la justice, avant de reprendre à l'Église la charge de l'enseignement et de l'aide sociale.

C'est l'intérêt général qui devrait le mieux définir le caractère de service public et inspirer le législateur dans ses définitions. Malheureusement, il n'existe pas de service public par nature : « Le domaine du service public est variable selon les époques et les conceptions des hommes au pouvoir », rappelait le professeur André de Laubadère. À l'origine instrument de la toute-puissance d'État, le service public est progressivement devenu, à partir de la Révolution, prestataire de services, producteur de richesse, puis, avec l'apparition de la notion d'« État providence », protecteur des travailleurs et enfin de l'ensemble de la population (couverture maladie universelle, par exemple). En créant un État de droit, le service public limite l'arbitraire de l'État. Il est « le fondement et la limite du pouvoir gouvernemental », disait Léon Duguit en 1921.

Une remise en cause par l'Union européenne

Il n'y a pas d'ambiguïté en revanche sur ce qu'impose l'Europe en matière de concurrence : c'est bien le marché qui doit gouverner l'économie parce que, en règle générale, il le fait mieux que l'État. Les textes fondateurs sont clairs : les obstacles à la libre circulation des services doivent être abolis et la concurrence ne doit pas être faussée (article 3 du traité de Rome) ; les entreprises ne doivent ni restreindre ni fausser le jeu de la concurrence (article 85) ; l'abus d'une position dominante est condamnable (article 86).

Les textes européens ne se contentent pas d'énoncer des principes philosophiques libé- raux : ils sont très précis en ce qui concerne les monopoles nationaux présentant un caractère commercial, dont il est dit qu'ils devront être aménagés progressivement afin que disparaissent toutes discriminations entre États membres. En clair, EDF, GDF, la SNCF devront tôt ou tard, comme l'a fait France Télécom, accepter la compétition avec des entreprises privées et étrangères. Libéralisation qui ne concerne en revanche pas du tout le secteur administratif, financé par l'impôt et qui ne vend pas ses services : armée, police, justice, enseignement...