Grande-Bretagne (suite)
Le déclin britannique
Malgré ces atouts, la Grande-Bretagne commença à décliner face aux autres puissances industrielles : sa part dans la production manufacturière mondiale passa de 32 % environ en 1870 à 19 % en 1910, alors que celle des États-Unis passait de 23 % à 35 % et celle de l'Allemagne de 13,2 % à 16 % environ. C'est en Allemagne, en France et aux États-Unis (en non en Angleterre) que virent le jour l'automobile, l'aviation, le cinéma... qui bouleverseront la vie des hommes au xxe siècle.
Cela s'explique par le fait que, durant la seconde partie du xixe siècle, la Grande-Bretagne a largement privilégié les investissements extérieurs, freinant ainsi la modernisation de son industrie : en 1914, elle détenait 18 des 44 milliards de dollars des créances mondiales. D'autre part, elle a négligé l'enseignement supérieur et la formation scientifique : en 1913, il n'y avait que 9 000 étudiants en Grande-Bretagne contre 60 000 en Allemagne. Enfin, la structure de l'appareil industriel a peu évolué, alors que se constituaient aux États-Unis, en Allemagne et au Japon des entreprises géantes s'endettant pour investir et pour produire en grande quantité des biens nouveaux aux coûts unitaires réduits.
L'industrie britannique, encore largement spécialisée dans la métallurgie traditionnelle et le textile, se trouva donc dépassée au début du xxe siècle.
Le processus se poursuivit durant l'entre-deux-guerres. La Grande-Bretagne se soucia moins de moderniser son appareil productif que de conserver sa place sur le plan financier. Sa principale préoccupation fut de défendre la parité de la livre face au dollar, alors que parallèlement sa monnaie s'appréciait face aux devises française et allemande : une livre valait en moyenne environ 25 francs en 1918, et 152 francs en 1926, ce qui était un handicap pour ses exportations.
Ainsi peut s'expliquer la crise des secteurs traditionnels (charbon, acier, coton, chantiers navals...), où le chômage toucha durant les années 1920 entre 1 million et 2,5 millions de travailleurs. Par contre, les industries modernes (automobile, outillage électrique, radio, appareils ménagers...) connaissaient un essor non négligeable assurant le sauvetage de l'industrie anglaise, qui tendait à se déplacer du nord vers la région de Londres et le sud-est du pays.
Pour compenser les effets pervers de sa monnaie forte, l'Angleterre mit en œuvre des politiques déflationnistes reposant sur la baisse des dépenses publiques et sur la maîtrise des coûts salariaux. Cependant, l'importance du chômage réduisait la croissance de la masse salariale, et donc celle de la demande intérieure. Cela explique la relative faiblesse du développement industriel anglais durant cette période.
La crise de 1929 et le redressement
La production industrielle baissa de 16 % environ entre 1929 et 1932 et l'on comptait plus de 2,7 millions de chômeurs en 1932. Les exportations britanniques chutèrent entre 1929 et 1931, et la balance des paiements, traditionnellement excédentaire, devint déficitaire.
Mais, dès 1931, la Grande-Bretagne changea de politique et se redressa rapidement : elle mit fin à la convertibilité de la livre en or, ce qui provoqua une baisse de la valeur de sa monnaie, et rendit plus compétitifs les produits anglais. Elle abandonna le libre-échange avec le reste du monde, mais le renforça avec ses dominions (accords d'Ottawa, en 1932, avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Inde, le Canada...), ce qui permit le développement des exportations britanniques au sein de l'empire.
De plus, l'État amorça une politique d'intervention directe dans l'économie en aidant les secteurs en difficulté et en développant les dépenses d'assistance (retraites, assurance chômage, allocations familiales...), en garantissant les prix agricoles, en favorisant les restructurations industrielles dans le charbon, le textile, la sidérurgie, et en engageant un grand programme de construction de logements.
Aussi, le chômage régressa dès 1933 et la croissance du PNB britannique fut égale à 4,7 % par an en moyenne entre 1932 et 1937. De plus, cette croissance s'appuya sur des industries modernes (automobile, mécanique, électricité, chimie) bénéficiant d'innovations techniques qui se manifestèrent (avec retard) en Grande-Bretagne durant les années 1930.
La Grande-Bretagne depuis 1945
Le souvenir de la crise de 1929, les nécessités de la guerre et le triomphe des idées keynésiennes eurent pour effet de renforcer l'interventionnisme public.
Entre 1946 et 1951 se produisirent de nombreuses nationalisations (Banque d'Angleterre, énergie, chemin de fer, ports, sidérurgie...), tandis que s'imposait l'idée d'un État providence (Welfare State), assurant l'aide aux plus pauvres, l'assistance sociale, la redistribution des revenus, modernisant la société industrielle et réaménageant le territoire. Parallèlement étaient mises en œuvre des politiques conjoncturelles d'obédience keynésienne, dites de stop-and-go, visant à guider la croissance.
Cette politique permit une croissance régulière (2,8 % en moyenne entre 1951 et 1973), un niveau de chômage relativement faible (moins de 600 000 chômeurs entre 1955 et 1970) et une élévation du pouvoir d'achat des salariés (+ 7,5 % en moyenne annuelle entre 1951 et 1973).
Mais les milieux libéraux considéraient que cette politique affaiblissait le pays en développant une mentalité d'assistés, en imposant une fiscalité excessive, en favorisant le clientélisme politique et en évitant les efforts nécessaires à la restructuration économique imposée par la concurrence mondiale. L'entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE en 1973 rendit cette question plus aiguë et contribua à la victoire des conservateurs en 1979.
Margaret Thatcher prit alors le contre-pied de la politique suivie jusque-là. Elle chercha à rétablir l'esprit d'entreprise en remettant en cause le Welfare State : elle amorça les privatisations, s'opposa aux hausses de salaires, allégea la pression fiscale sur les entreprises, favorisa les réductions d'effectifs... afin de permettre aux entreprises de retrouver leur compétitivité et leurs profits. Dans cette optique, la montée du chômage, des inégalités et de la pauvreté apparaît comme une conséquence inévitable de la modernisation économique.