Cinquième puissance économique du monde dans la dernière décennie du xxe siècle, l'Italie est aussi le pays où ont germé, au cours de l'histoire, les ingrédients essentiels du capitalisme moderne.
À partir du iie siècle av. J.-C., Rome étend progressivement son empire à toute la Méditerranée. Les réseaux de routes, les villes, l'organisation administrative, l'unité monétaire et fiscale, l'usage du latin et le droit romain structurent l'Europe. Après la chute de l'Empire, l'Église restaure en partie cette organisation, qui survivra par-delà les divisions politiques. Les villes italiennes, entre le xiie et le xve siècle, font naître l'économie moderne : les « Lombards » venus des centres marchands du nord de la péninsule diffusent dans toute l'Europe les nouvelles techniques financières – banque, taux d'intérêt, « capital-risque », comptabilité. Les Médicis de Florence sont des banquiers, la première famille régnante de l'histoire à asseoir son pouvoir non sur le lignage mais sur la fortune. Venise est au xive siècle la première « économie-monde », selon l'expression de l'historien Fernand Braudel ; elle domine la Méditerranée orientale, comme Gênes, patrie de Christophe Colomb, domine la Méditerranée occidentale.
À partir du xvie siècle, l'Italie, ravagée par les guerres, occupée par des dynasties étrangères, s'assoupit peu à peu et c'est en Europe du Nord qu'éclôt la révolution industrielle. L'occupation napoléonienne, en balayant provisoirement des aristocraties fourbues, ouvre la voie au réveil national qui, en 1860 aboutit à l'unité italienne, sous la houlette de l'État le plus éclairé de la péninsule, le Piémont. L'unité est parachevée avec la prise de Rome, en 1870. « L'Italie est faite, il faut maintenant faire les Italiens », constate Camillo Cavour, le bâtisseur de cette unité. Cent quarante ans plus tard, cette partie-là n'est toujours pas gagnée.
L'instauration de la coupure Nord-Sud
En 1861, seul 20 % du commerce était « intra-italien ». La suppression des droits de douane, l'instauration d'une monnaie et d'une fiscalité uniques portent un coup très dur au Sud agraire. Au lieu de progresser, le Mezzogiorno régresse dans les premières décennies de l'Italie. Le libre-échange en vigueur jusqu'en 1878 tue dans l'œuf les industries naissantes. Les années 1880 voient le pays s'orienter, sous l'influence des milieux industriels, vers une politique protectionniste qui portera ses fruits en termes de croissance et de modernisation (surtout au Nord). Mais le pays manque de capitaux nationaux et une crise financière, doublée d'une crise agricole, provoque une vague d'émigration exceptionnelle : 2,8 millions d'Italiens partent pour les Amériques entre 1891 et 1900, et le flux se poursuit, par centaines de milliers, jusqu'à la Première Guerre mondiale. Le capitalisme industriel prend son essor sur l'axe Gênes-Turin-Milan. Les grandes dynasties Agnelli (les automobiles Fiat), Pirelli (les pneus), Falck (la sidérurgie) et Olivetti (les machines à écrire) construisent alors leur fortune. Mais engagée en 1915 contre les empires centraux, l'Italie se coupe des capitaux germaniques. Ruinée, en proie au désordre, elle tourne le dos à la démocratie et, en 1922, tombe aux mains de Benito Mussolini.