Service public (suite)
Les textes ne confondent pas privatisation et libéralisation : s'ils imposent la concurrence, ils laissent aux États la liberté de ne pas privatiser leurs entreprises publiques (article 222 du traité de Rome). Cette neutralité quant au régime de la propriété est restée la règle malgré la philosophie très libérale qui a longtemps prévalu à Bruxelles, sous l'influence notamment de la Grande-Bretagne. En revanche, le traité de Rome ne parlait pratiquement pas des services publics, évoqués à l'article 77 concernant les transports. Le traité était également très discret sur l'idée d'intérêt général, rappelant seulement que les entreprises qui en sont dépositaires peuvent en certains cas échapper à la concurrence (notamment certaines activités de la poste, comme cela a été décidé par la suite). Après avoir bataillé ferme à Bruxelles, Paris a finalement obtenu que le traité d'Amsterdam, signé en octobre 1997, mentionne expressément la « cohésion économique et sociale » parmi les principaux objectifs de la Communauté.
Bruxelles, instrument d'une politique libérale ?
A partir du début des années 1990, une série de directives européennes va petit à petit libéraliser des secteurs aussi protégés que ceux de l'électricité, du gaz, du transport aérien et ferroviaire, des télécommunications, de la poste. Le transport aérien communautaire est libéralisé depuis le 1er avril 1997. En matière de transport ferroviaire, une directive du 29 juillet 1991 distingue l'infrastructure du service de transports, à laquelle la concurrence ne peut s'appliquer, et son exploitation pour laquelle la concurrence est renforcée. Les États doivent donc séparer, au moins sur le plan comptable, les activités de transport et de gestion de l'infrastructure lorsque celles-ci relèvent d'une entreprise unique. C'est ce que fait la SNCF en créant, en 1997, Réseau ferré de France, pour le développement et l'entretien des infrastructures. Une directive du 18 décembre 1996 fixe également les principes et les conditions de la création progressive d'un marché intérieur européen de l'électricité. La directive du 22 juin 1998 fixe des conditions voisines pour le gaz. Dans le domaine des télécommunications, une directive du 13 mars 1996 libéralise la téléphonie vocale et les infrastructures au 1er janvier 1998. Une autre directive, du 16 janvier 1996, ouvre pleinement le marché de la communication mobile à la concurrence.
V. M.
« Les services d'intérêt général sont au cœur du modèle européen de société », assure la Commission de Bruxelles. Une façon de rappeler que la concurrence n'est pas le seul fondement de l'Europe, qu'il y a aussi la cohésion sociale et territoriale. Reste que la Commission, les traités de Rome et d'Amsterdam, les pays membres de l'Union usent de vocabulaires différents. Et parmi eux, les « services d'intérêt général », notion communautaire très large qui recouvre aussi bien les services régaliens (sécurité, défense) visant à la cohésion sociale et politique que les services marchands ; les « services d'intérêt économique général », qui ne visent que des prestations marchandes, les seules à être concernées par l'ouverture à la concurrence ; les « missions de service public », notion française imposant l'égalité de traitement des usagers, la continuité de la fourniture, la transparence des tarifs, la sécurité des approvisionnements, la cohésion sociale et territoriale ; le « service universel », notion communautaire, correspondant au minimum à fournir à prix abordable (le téléphone, par exemple) pour entretenir le lien social et assurer l'exercice des libertés fondamentales (rapport de la mission Denoix de Saint-Marc, 1995).
Des deux piliers sur lesquels se bâtit l'Europe, celui du marché et de la concurrence est le plus solide. Le second, celui des services publics, gage de cohésion sociale et territoriale, devra être mieux étayé. Reste à savoir quelles prestations relèvent de l'intérêt général, dans quelles conditions les fournir et à quels prix. Entre l'État, qui ne peut être à la fois juge et partie, et les chefs d'entreprise, qui visent avant tout la réussite technique et le profit, des offices indépendants de « régulation » vont avoir la tâche difficile de défendre tout à la fois l'efficacité économique et l'égalité de service entre usagers.
A. V.