La population est une variable économique : plus de gens produisent plus, donc accroissent la richesse d'un pays et consomment plus ; il faut les nourrir, ce qui signifie aussi, dans une économie moderne, leur fournir des emplois. Depuis fort longtemps, le décompte des hommes a été associéà celui des biens et des moyens de production. Les tablettes sumériennes du IIIe millénaire av. J.-C., qui figurent parmi les plus anciens documents écrits connus, dénombrent à la fois les hommes, les terres et les animaux. Le nombre fait le prestige et la fortune du souverain.
La population légale est celle que définissent les recensements, qui ont lieu tous les cinq ou dix ans, selon les pays. En comptabilité nationale, la population totale est définie comme l'ensemble des personnes physiques résidant dans le pays, quelle que soit leur nationalité.
C'est à la naissance de l'économie politique, au xvie siècle, que la relation entre la prospérité et le nombre des hommes est théorisée, préfigurant les débats d'aujourd'hui. « Il n'est de richesse que d'hommes », écrit Jean Bodin (1530-1596). La baisse de la population provoquée par les guerres est dommageable à l'économie : elle fait « cesser l'agriculture, le trafic et tous les arts mécaniques ». Deux siècles plus tard, les physiocrates, qui étudient l'agriculture et le commerce des céréales, conservent cette vision, en dépit des disettes passées. « L'accroissement de la population augmente la consommation ; une plus grande consommation augmente de plus en plus la culture, les revenus des terres et la population, car l'augmentation des revenus augmente la population et la population augmente les revenus », explique François Quesnay (1694-1774) dans l'article « Grains » de l'Encyclopédie.
Le banquet malthusien
Thomas Robert Malthus, dans son Essai sur le principe de population, expose le mécanisme et les effets de la surpopulation à travers la parabole d'un banquet : « Tout homme qui est né dans un monde déjà possédé, s'il ne peut obtenir de ses parents la subsistance qu'il peut justement demander et si la société n'a pas besoin de son travail, n'a aucun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture. Il est de trop au grand banquet de la nature ; il n'y a pas de couvert mis pour lui. La nature lui recommande de s'en aller et elle mettra promptement ses ordres à exécution s'il ne peut recourir à la compassion de quelques-uns des convives du banquet.
Si ces convives se serrent et lui font place, d'autres intrus se présentent immédiatement demandant la même faveur. Le bruit qu'il existe des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux réclamants. L'ordre et l'harmonie des festins sont troublés et le bonheur des convives est détruit par le spectacle de la misère et de la gêne qui règnent en toutes parties de la salle et par la clameur importune de ceux qui sont justement furieux de ne pas trouver les aliments sur lesquels on leur avait appris à compter... »
La rupture malthusienne
La rupture intervient avec le pasteur Thomas Robert Malthus (1766-1834). Dans son Essai sur le principe de population, en 1798, il invite à renverser le paradigme, car, explique-t-il, « les hommes politiques ont pris l'effet pour la cause et se sont figuré que la population forme la base de la prospérité, alors que c'est la prospérité qui produit la population ». La population ayant tendance cependant à s'accroître plus vite (en progression géométrique) que les ressources agricoles (en progression arithmétique), l'équilibre est rétabli par les épidémies, les famines et les guerres, qui déciment les populations, ou par la pauvreté, qui prive d'aliments les plus démunis. L'aide sociale ne peut améliorer le sort des pauvres car, en augmentant leur revenu et leur consommation, elle fait monter les prix. Le seul moyen d'éviter les catastrophes réside dans la « contrainte morale » pour réduire les descendances : chasteté et retard du mariage.
L'analyse malthusienne a été vivement contestée par Marx, qui souligne que les conditions sociales de l'exploitation capitaliste sont davantage responsables de la pauvreté que la croissance démographique. Mais elle a structuré le débat sur les relations entre le mouvement de l'économie et celui de la population jusqu'à nos jours. Pour les malthusiens, la croissance démographique entraîne une baisse de la superficie des exploitations, provoque des dégâts écologiques, accroît la pression sur la population d'âge actif, diminue le revenu par tête, réduit les possibilités d'épargne et d'investissement productif. Pour les anti-malthusiens, elle stimule l'innovation et les rendements, pousse à l'investissement et à la création d'entreprises, tandis que la jeunesse de la population facilite les adaptations.