France (suite)
Cependant, la crise de 1929 n'épargna pas la France, bien qu'elle la touchât d'une façon moins grave et avec retard : elle y atteignit son maximum en 1935, après les dévaluations de la livre (1931) et du dollar (1933), qui affectèrent les exportations d'une France s'accrochant à la nouvelle parité-or du franc. En 1935, la baisse de l'activité et des prix était de l'ordre de 25 à 30 % par rapport à 1929. Le taux de chômage total ne s'élevait qu'à environ 4 % de la population active, mais 40 % des salariés étaient touchés par le chômage partiel. Si le taux de salaire horaire avait moins baissé que les prix, la diminution du nombre d'heures travaillées se traduisait pour les ouvriers par une baisse de leur salaire réel d'environ 20 % en 1934-1935.
Cela explique l'hostilité vis-à-vis de la politique déflationniste pratiquée par Pierre Laval en 1935 (visant à réduire les prix français et le traitement des fonctionnaires) et la victoire du Front populaire en 1936. Les mesures prises par le gouvernement de Léon Blum sous la contrainte des événements (hausse des bas salaires et dévaluation du franc) contribuèrent à relancer la demande et à réduire le chômage. Mais la hausse des salaires, la semaine de 40 heures et les congés payés provoquèrent aussi des difficultés pour les petites entreprises peu productives, et l'inquiétude des épargnants provoqua de nouvelles fuites de capitaux à l'étranger.
La confiance des milieux industriels et financiers ne revint qu'après le retrait définitif de Léon Blum, en avril 1938. Les rentrées de capitaux furent massives entre octobre 1938 et juin 1939 (25 milliards de francs), et la production industrielle augmenta de 20 %. Le chômage diminua sensiblement, revenant au niveau de 1932. À la veille de la guerre, la France était sortie de la crise.
La reconstruction et les Trente Glorieuses : le triomphe du « modèle français »
La Seconde Guerre mondiale coûta la vie à environ 550 000 Français. La France dut également payer à l'Allemagne, de juillet 1940 à juin 1944, de lourdes indemnités de guerre s'élevant à 400 puis 500 millions de francs par jour. Elle fut privée de 2 millions d'actifs prisonniers de guerre et subit des prélèvements en nature (matières premières et produits alimentaires). À la fin de la guerre, les destructions causées par les combats et les bombardements touchaient de nombreuses voies de communication, nœuds ferroviaires, ports, ponts et centres industriels. Environ 45 % de la capacité de production française était détruite.
Pour reconstruire le pays, le général de Gaulle institua en janvier 1946, à l'instigation de Jean Monnet, un plan de modernisation et d'équipement. Qualifié d'« ardente obligation » par le général de Gaulle et d'« anti-hasard » par Pierre Massé, ce plan fixait les objectifs macroéconomiques à moyen terme et cherchait à assurer leur réalisation en associant les décisions d'investissements publiques et privées. L'État s'engageait pour sa part à contribuer au financement de l'économie, grâce à l'extension du secteur bancaire public (Banque de France, Société générale, Crédit Lyonnais, BNCI...), et à participer directement à l'essor productif en s'appuyant sur les entreprises industrielles nationalisées (Renault, Berliet, Charbonnages de France, SNECMA, Compagnie française des pétroles...). Cette planification indicative ne fut jamais contraignante pour le secteur privé, mais permit de réduire l'incertitude et d'orienter efficacement les investissements des entreprises.
En 1950, la France avait surmonté les conséquences de la guerre et construit les bases d'un développement économique solide reposant sur un secteur industriel modernisé et innovateur, une participation de l'État au financement de l'économie, de l'éducation et de la recherche, et une agriculture qui redeviendra bientôt ce que le président Valéry Giscard d'Estaing qualifiera de « pétrole vert ».
Durant le quart de siècle suivant, la France connut ainsi une croissance forte et régulière, au même titre que les autres grands pays industriels : de 1950 à 1973, le taux de croissance du produit intérieur brut réel fut égal à environ 5 % en moyenne annuelle, et celui du PIB par habitant à plus de 4 %. Les gains de productivité dépassèrent généralement les 5 % par an. Le taux de chômage resta inférieur à 1,5 % de la population active jusqu'au milieu des années 1960, et à 2,7 % durant la décennie suivante.
En trente ans, la richesse nationale a triplé et l'ensemble des catégories sociales (ouvriers, paysans, classes moyennes, propriétaires d'actifs industriels ou immobiliers...) ont bénéficié de la croissance : même les moins favorisés ont eu accès à la consommation des biens d'équipement domestiques modernes, ont pu acquérir une automobile, bénéficier de la protection sociale et faire suivre à leurs enfants des études plus longues.
Malgré la permanence d'inégalités et de mécontentements (qui se cristallisèrent dans les mouvements de mai-juin 1968), la France a donc connu une période prospère et optimiste justifiant le terme de « Trente Glorieuses » imaginé par Jean Fourastié.
La crise et la croissance lente du dernier quart de siècle
Les chocs pétroliers de la fin de 1973 mirent brutalement fin à ces années favorables : le taux de croissance du PIB chuta de moitié en 1974, restant ensuite compris entre 2 et 3 % ; le taux de chômage, égal à 2,6 % entre 1968 et 1973, doubla à partir de 1976, atteignant les 11 % en 1990. Ce ralentissement de l'activité fut associé à partir de 1974 à une accélération très forte de l'inflation, dépassant les 10 % (stagflation).
De plus, le gonflement de la « facture pétro- lière » entraîna un déficit considérable du commerce extérieur fran- çais : le solde négatif des échanges de produits énergétiques, inférieur à 15 milliards de francs jusqu'en 1972, atteignit 52 milliards en 1974 et 180 milliards en 1982. Malgré un solde positif des échanges de produits manufacturés et agricoles, l'ensemble du commerce extérieur français présentait un solde négatif de 35 milliards de francs en 1974 et de 136 milliards en 1982.