Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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France (XXe s.) (suite)

Indépendants divers

Dans la même génération que Boulez, on trouve aussi des non-sériels qui pour autant n'ont pas été amalgamés avec les « continuateurs ». C'est qu'il s'agit d'inventeurs originaux, marqués par la musique concrète, le sérialisme, les recherches aléatoires, etc., et forgeant un langage ou une « manière » selon leur cœur. À part cela, rien de commun entre Betsy Jolas (1926), assez proche du « style » postwébernien, sinon de son système, Claude Ballif (1924), religieux et secret, professeur au Conservatoire, Claude Lefebvre (1931), animateur du Centre européen de recherches musicales à Metz, Jean-Pierre Guézec (1934-1971), auteur de constructions sonores mobiles et agitées, Marius Constant (1925), Michel Philippot (1925), André Boucourechliev (1925), réputé pour ses œuvres « variables », les fameux Archipels, Francis Miroglio (1924), autre adepte des techniques de « formes ouvertes », Patrice Sciortino (1922), etc. Il faut citer aussi, nés plus récemment : Alain Abbott (1938), Alain Bancquart (1934), Maurice Benhamou (1936), Pierre Baubet-Gony (1934), Yves Bourrel (1932), Philippe Capdenat (1934), Marc Carles (1933), Monic Cecconi (1936), Jacques Charpentier (1933), Xavier Darasse (1934-1992), Michel Decoust (1936), Bruno Gillet (1936), Nicole Lachartre (1934), Gérard Massias (1933), Gérard Masson (1936), Jean-Louis Petit (1937), Jean-Claude Risset (1938), Raymond Vaillant (1935), élève de Max Deutsch, Autrichien installé à Paris, et qui perpétue l'enseignement de Schönberg (Grands Concerts de la Sorbonne) et qui compte aussi parmi ses « disciples » Philippe Manoury (1952), Gérard Condé (1947), etc.

   On peut mettre à part le Groupe d'études et de réalisation musicale (G. E. R. M.) fondé par Pierre Mariétan, ensemble qui fut dans les années 60 aux nouvelles tendances américaines, alors mal connues en France (Cage, Feldman), ce que le Domaine musical des années 50 fut à l'école de Vienne : un diffuseur actif. Firent partie du G. E. R. M. (qui continue avec une autre équipe, dans une direction plus axée sur la sociologie de la création musicale et les « paysages sonores ») des compositeurs comme Jean-Yves Bosseur (1947), Philippe Drogoz (1937), Louis Roquin (1941), Michel Decoust (1936), tous engagés maintenant dans leur direction propre. C'est l'occasion de dire que l'individualisme français se prête mal aux contraintes de la création collective, et les tentatives dans ce sens (au G. E. R. M., au G. R. M., au G. M. E. M., au G. M. E. B., ou ailleurs) furent assez rares et localisées.

Musiques calculées

Notre pays, celui de Pascal et d'Évariste Gallois, est le lieu de recherches assidues sur l'application des mathématiques à la composition musicale. Depuis 1950 environ, Pierre Barbaud s'intéresse à la composition automatique, il a travaillé avec Janine Charbonnier et a formé avec Frank Brown et Geneviève Klein le groupe B. B. K. Mais c'est surtout Yannis Xenakis (1922) que connaît le grand public. Lui aussi dirige une petite équipe, le Cémamu. Chez ce musicien-architecte, d'origine grecque, l'utilisation des modèles mathématiques rentre dans le cadre d'une pensée globale, d'un très bel édifice conceptuel. Il a eu beaucoup d'imitateurs, aussi bien pour l'emploi des modèles physiques et mathématiques que pour certains procédés d'écriture globale, qui apportaient une alternative à la course sans fin des « postsériels » vers une complexité linéaire (qu'il avait lui-même critiquée dans un article en 1955). Son Metastasis de 1955 est une date, au même titre que le Marteau sans maître.

La nouvelle génération

Toutes ces recherches, vite absorbées, servent de traditions, de modèles, de points de départ à une nouvelle génération gourmande de procédés inédits. Mais plus on avance, plus les compositeurs répugnent à se reconnaître des inspirateurs. Avec les générations les plus récentes, on arrive à une atomisation complète des tendances, ou plutôt des manières, qui sont parfois aussi, plus rarement, des styles. La nouvelle génération, formée de ceux qui sont nés grosso modo après 1940, n'a pas toujours très bonne réputation. On lui reproche souvent d'être une génération de suiveurs, habiles à récupérer les trouvailles des aînés dans un langage éclectique. Moins sévère, moins aride, sa musique n'est cependant pas plus « grand public », elle reste très culturelle. L'austérité fait place à la sophistication. Mais on peut dire aussi que cette génération, ne s'abritant plus derrière des systèmes qui étaient souvent des cache-misère, est la première à s'affronter au son nu. Alors, ou bien elle s'arme par sécurité de tous les vieux outils qui lui tombent sous la main, mais qu'elle ne considère pas comme plus que des outils et dans lesquels elle ne met pas une pensée ; ou bien, c'est le cas de rares créateurs, elle reprend à zéro les problèmes de sonorité, d'écriture, de langage : c'est le plus difficile.

   La force de conviction de la génération de l'après-guerre vient de ce qu'elle s'était donnée des pères. La nouvelle génération ne se reconnaît plus, et encore, que des aînés. Dans ce vivier, inutile de chercher à reconnaître un nombre limité d'espèces ; chacun tient à représenter une espèce à lui tout seul. Pour le moment, qu'on nous pardonne d'aligner, sans commentaires particuliers, les noms de personnalités aussi différentes et inégales que : Solange Ancona (1943), Gisèle Barreau (1948), André Bon (1946), François Bousch (1946), Denis Cohen (1952), Didier Denis (1947), Yann Diederichs (1952), Philippe Jubart (1957), Detlef Kieffer (1944), René Kœring (1940), Jean-Louis Florentz (1947), Renaud Gagneux (1947), Alain Gaussin (1943), Pascal Dusapin (1955), Alain Kremski (1940), Marc Monnet (1947), Philippe Hersant (1948), Michael Levinas (1949), Alain Moene (1942), Tristan Murail (1947), fondateur du collectif de diffusion l'Itinéraire, Gérard Geay (1945), Patrice Mestral (1945), Michèle Reverdy (1943), Christian Rosset (1955), Claire Schapira (1946), Alain Voirpy (1955), Michel Zbar (1942), Daniel Tosi (1953). Nous aimerions détacher les noms de Gérard Grisey (1946), Jacques Lenot (1945), Alain Louvier (1945), Hugues Dufourt (1943), et Philippe Manoury (1952), compositeurs au métier accompli, auteurs d'œuvres importantes, et citer encore Philippe Fénelon (1947), Jacques Rebotier (1947), Bernard Cavanna (1951), Thierry Lancino (1954), Jean-Marc Singier (1954), Philippe Hurel (1955), Laurent Cuniot (1957), Gérard Pesson (1958), Nicolas Vérin (1958), Frédéric Durieux (1959), Philippe Leroux (1959), Laurent Martin (1959), Jean-Luc Hervé (1960), Bruno Giner (1960), Nicolas Bacri (1961), Marc André Dalbavie (1961), François Donato (1963), Marc André (1965).

Musiques pour la scène et l'écran

Héritière tout de même de la génération sérielle, l'école française récente a longtemps ignoré ou méprisé la musique à fonction dramatique. Cependant, certains compositeurs-auteurs se sont voués plus spécialement, voire exclusivement, à l'écriture d'œuvres pour la scène : tels Adrienne Clostre (1921), Claude Prey (1925), à l'esprit vif, cultivé et insolent, et Ivan Semenoff (1917-1972). D'autres se sont affirmés dans ce genre ambigu et bâtard du théâtre musical, banc d'essai de nouvelles formules dramatiques, comme Georges Aperghis (1945), Michel Puig (1930), Georges Couroupos (1942), Gérard Condé, etc.

   De même, la musique de cinéma n'est plus aujourd'hui qu'un genre-ghetto, que les compositeurs « sérieux » laissent à des auteurs spécialisés. Les grands compositeurs de musique de film des années 30, 40 et 50 étaient souvent les mêmes que ceux que l'on entendait au concert : Auric, Thiriet, Baudrier, Poulenc, Ibert, Honegger, etc., et aussi le légendaire Maurice Jaubert (1900-1940). Aujourd'hui, il en est autrement, et rares sont les participations des compositeurs de concert à l'art de l'écran (avec une exception pour la musique électroacoustique, dont tous les compositeurs marquants ou presque ont écrit pour des courts ou longs métrages). Par ailleurs, il y a une caste de compositeurs spécialisés, qui possèdent très bien leur métier et déploient beaucoup de talent, comme Georges Delerue (1925), François de Roubaix, Maurice Jarre (1924), Francis Lai (1932), Michel Legrand (1932), Michel Magne (1930), Philippe Sarde (1948), Antoine Duhamel (1925), qui, comme certains de ses confrères, a aussi écrit pour la scène et le concert, etc.