Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
V

voix

Instrument de musique privilégié, la voix humaine peut être employée seule ou collectivement, dialoguer avec un instrument (notamment le piano), un groupe d'instruments, ou l'orchestre ; qu'elle soit parlée ou chantée, la voix peut servir de support à un texte, ou être sollicitée pour sa sonorité pure.

Tenue pour le plus ancien instrument de musique, la voix ne dissociait pas, à son origine, parole et chant : c'est sa domestication qui a conduit progressivement à séparer son rôle fonctionnel (nommer des personnes ou des objets, puis des concepts) et son rôle incantatoire.

   Cette ambiguïté des deux pouvoirs de la voix se retrouve dans les querelles dogmatiques et esthétiques de l'histoire, deux conceptions extrêmes se reflétant entre les civilisations rationnelles, d'une part, magiques de l'autre, privilégiant ici la syllabisation (civilisations nordiques, mais aussi l'Afrique noire, etc.), et là la vocalise ou l'incantation (Orient, Méditerranée, etc.).

   C'est la voix parlée qui, par l'amplification de son accentuation naturelle, a donné naissance au chant, et cette filiation est encore attestée de nos jours, notamment chez les aborigènes dont le chant diffère peu de la parole, ou aux Indes, où la récitation védique fondée sur trois degrés a peu à peu conduit au raffinement incantatoire du raga, dans lequel la voix couvre trois octaves, utilise des micro-intervalles (octave divisée en vingt-deux shrutis) et doit, selon les cas, employer ou proscrire le vibrato. On relève la même imprécision des frontières entre voix chantée et voix parlée dans le drame grec classique, et en général dans les diverses expressions vocales des langues à forte accentuation : la lecture du Coran, lors des solennités, a, par exemple, d'étroites affinités avec le chant flamenco originel.

   Considéré comme divertissement ou comme acte esthétique, le rôle de la voix découla constamment des diverses fonctions que lui assignait le culte : récitation stricte des textes essentiels (ou scripturaires), puis récitation cantilée, psalmodiée, et enfin vocalise jubilatoire. Notons que ce rôle magique de la voix peut être aussi bien facteur de paix (cf. le plain-chant) ou d'excitation (chant du dithyrambe, danses de transes, finales des raga, etc.) qu'acte esthétique incantatoire ou cathartique.

   Qu'il s'agisse de l'officiant ou du chanteur classique, la voix doit être soumise à une stricte éducation, mais dont les buts varient : grande étendue vocale assortie d'une faible puissance, ou au contraire impératifs d'intensité, sensibilité aux micro-intervalles ou bien aux douze demi-tons de notre gamme tempérée, soin apporté à la pureté de la voix, ou recherche de timbres composites (notamment en Afrique noire), homogénéité des registres ou exploitation de leur diversité (on retrouve le jodel ­ ou tyrolienne ­ aussi bien au Japon que chez les Pygmées), facteurs d'endurance, de puissance, de diction, d'articulation, de virtuosité, etc.

   Dans le chant classique, la connaissance scientifique de la phonation a tenté de se substituer à l'empirisme, notamment dans le souci de souder les registres de la voix chantée, souci confirmé par Monteverdi en 1624, repris un siècle plus tard par P. F. Tosi, et, au XIXe siècle, par le chanteur Manuel García ; mais c'est seulement avec l'invention du laryngoscope par le fils de ce dernier, en 1855, que fut mis en évidence le rôle des cordes vocales, sans d'ailleurs apporter aucun avantage à l'éducation de la voix.

   Pour nous limiter à son rôle dans la musique élaborée, on notera que les compositeurs ont requis la voix dans le chant sacré, dans l'opéra et ses dérivés, dans la mélodie et le lied, et parfois aussi comme simple instrument vocal, notamment au XXe siècle. Son utilisation s'étend donc de la parole au chant, en passant par les formules intermédiaires du parlé rythmique, du parlando, du Sprechgesang, des divers types de récitatifs, du chant à bouche fermée (notamment dans les chœurs), du rire, etc. Dans Wozzeck, Alban Berg a systématiquement exploité toutes ces possibilités de la voix.

   La classification des voix chantées repose sur divers facteurs : leur place dans l'échelle des sons, d'abord, mais aussi leur étendue propre, leur tessiture privilégiée, leur timbre ou leur couleur, leur fonction dramatique, leur puissance (celle-ci étant toutefois liée à la dimension du local). Dans la mesure où la voix reflète la physiologie et la psychologie de l'individu, ces facteurs sont généralement en parfaite harmonie (tempérament dramatique associé à une voix sombre et puissante, tempérament élégiaque assorti d'un organe plus clair, et de moindre intensité, etc.), mais leur éventuelle dissociation est ressentie différemment selon qu'il s'agisse d'un excès de puissance ou de tempérament dramatique, ou au contraire d'une carence en ce domaine, voire de la contradiction entre ces divers éléments. D'où la nécessité de classer les voix également selon leur caractère propre.

   Les noms donnés aux différents types de voix ont sensiblement varié au cours de l'histoire (CHANT), et divergent encore selon les pays. Jusqu'en 1850, les voix étaient, de façon générale, moins diversifiées qu'aujourd'hui parce que moins caractérisées sur le plan dramatique, et surtout parce que les compositeurs les sollicitaient fréquemment sur une étendue de deux octaves et demie. La diminution très sensible de cet ambitus (due notamment à l'accroissement du volume sonore des orchestres, entraînant les voix à rechercher une puissance accrue sur une plus faible étendue) a conduit à multiplier les catégories et sous-catégories. On peut, de façon succincte, retenir le schéma suivant, de la voix la plus aiguë à la plus grave : voix féminines de sopranos (respectivement léger, lyrique, dramatique), de mezzo-sopranos, de contraltos ; voix masculines de falsettistes (sopranistes et contraltistes), de ténors (haute-contre, léger, lyrique, dramatique), de barytons (Martin ou viennois, Verdi, d'opéra), de basses (chantante, noble ou profonde). On appelle voix blanches les voix d'enfants avant la mue, généralement dépourvues de vibrato (par opposition aux castrats dont les voix avaient toutes les caractéristiques des voix adultes).

   On relève de très nombreuses autres dénominations liées à :

   ­ la spécialisation dans un répertoire précis d'une époque donnée (cf. colorature dramatique, Heldentenor, Falcon, etc.) ;

   ­ l'emploi de comédie au théâtre (trial, laruette, basse bouffe, ténor de caractère, desclauzas, dugazon ou mère-dugazon, etc.) ;

   ­ la situation administrative d'un artiste au sein d'une troupe théâtrale, ou dans son époque, termes généralement tombés en désuétude (cf. prima donna, primo uomo ­ en fait le castrat ­, première chanteuse, forte chanteuse, soubrette, fort ténor, ténor d'opéra-comique, etc.) ;

   ­ la nomenclature des emplois au sein du chœur, et selon sa fonction : dans l'interprétation de la musique ancienne, les termes de superius, altus (ou alto), contre-ténor, etc. s'appliquent à une fonction et non à un type de voix masculine ou féminine. Enfin, dans les chœurs de théâtres, on conserve parfois les dénominations anciennes de premier dessus, second dessus, taille (ténor grave par opposition au ténor haute-contre), etc.