Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Glière (Reinhold)

Compositeur soviétique (Kiev 1875 – Moscou 1956).

Fils d'un facteur d'instruments d'origine belge, il travaille très tôt le violon et, dès l'âge de quatorze ans, manifeste ses dispositions en écrivant un quatuor à cordes. Après avoir entrepris ses études musicales à Kiev, il entre au conservatoire de Moscou (1894-1900), où il reçoit l'enseignement de Sokolovski et Hrimaly (violon), Taneiev (contrepoint), Arenski (harmonie) et Ippolitov-Ivanov (composition). Glière fréquente aussi, vers 1900, le groupe Belaiev. À Berlin, en 1905-1907, il se familiarise avec la direction d'orchestre grâce aux conseils d'Oskar Fried. Déjà il se fait connaître comme compositeur et apparaît dans ses premières œuvres comme l'un des plus sûrs représentants de la tradition musicale russe (cf. ses 3 Symphonies monumentales), malgré l'influence de Liszt et de l'école française contemporaine sur le langage de son poème symphonique, les Sirènes (1908). Dès ce moment aussi, il entame une carrière de pédagogue (initiant Prokofiev à l'écriture à partir de 1902) ; il est nommé professeur au conservatoire de Kiev en 1913, puis directeur en 1914 ; en 1920, il devient professeur au conservatoire de Moscou et le reste jusqu'en 1941, accueillant dans ses cours Miaskovski, Davidenko, Ivanov-Radkevitch, Knipper, Litinski, Novikov, Rakov, etc. Son enseignement oriente assurément une partie de ses compositions.

   Parallèlement, il se livre à un réel travail d'ethnomusicologie et participe à l'affirmation musicale des minorités nationales soviétiques : en 1923, il écrit, en effet, le premier opéra azerbaïdjanais, Chah-Senem, d'après une légende du XVIe siècle, œuvre de syncrétisme musical entre le folklore azerbaïdjanais et la tradition russe (première en russe, Bakou, 1926 ; première en azerbaïdjanais, Bakou, 1934). Il a également consacré beaucoup d'efforts à l'opéra ouzbek en composant, en collaboration avec T. Sadykov, une musique de scène sur des thèmes populaires ouzbeks pour Gul-Sara (Tachkent, 1936), transformée plus tard (1949) en opéra, et un autre ouvrage lyrique, Leïli et Medjnoun (Tachkent, 1940). Tout en continuant à écrire des œuvres de musique de chambre pure, il crée le premier ballet soviétique sur le thème révolutionnaire de l'union de tous les prolétaires du monde : le Pavot rouge (1927). C'est l'histoire d'un navire soviétique arrivé dans un port chinois dans les années 20, des relations toutes simples qui se nouent entre les marins soviétiques et la population, des amours de la jeune Tao-Hoa et du capitaine russe, dont elle sauve la vie. Glière y introduit des danses à la mode tels le charleston ou le boston et y adapte la fameuse danse des marins de la chanson révolutionnaire Yablochko (« la Petite Pomme »). Il est revenu à la fin de sa vie au ballet en écrivant pour le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Pouchkine (1949) une musique très simple, très dansante, celle du Cavalier de bronze. Puis, en 1951-52, il compose Tarass Boulba (d'après Gogol) et, en 1953, reprend son ballet, les Comédiens, en cherchant à le rapprocher de sa source littéraire (Fuente Ovejuna, le drame de Lope de Vega) : ainsi naît la Fille de Castille, son dernier ballet.

Glinka (Mikhaïl Ivanovitch)

Compositeur russe (Novospasskoïe, province de Smolensk, 1804 – Berlin 1857).

Ses premières impressions musicales furent celles de la musique religieuse et d'un orchestre de serfs que possédait sa famille. À partir de 1817, faisant ses études classiques à l'Institut pédagogique de Saint-Pétersbourg, il prit quelques leçons de piano avec Field puis avec Carl Meyer, et de violon avec Bœhm. Sa première œuvre importante, Variations sur un thème de Mozart pour harpe (1822), fut écrite alors qu'il n'avait pas encore de réelle formation de compositeur. La même année, un voyage au Caucase lui fit découvrir la musique orientale. Pendant plusieurs années, il fit de la musique en autodidacte, produisant des mélodies russes et italiennes et une sonate en 2 mouvements pour alto et piano (1826). En 1830, il partit pour un voyage de trois ans en Italie afin d'y étudier l'art du chant. Il y découvrit les opéras de Bellini, Donizetti, Rossini. En revenant d'Italie, il s'arrêta à Berlin, où, pendant cinq mois, il allait étudier le contrepoint et mettre en ordre ses connaissances musicales avec S. Dehn, qui resta son seul véritable maître.

   Rentré en Russie, en 1834, il se mit à travailler à un opéra russe, Ivan Soussanine, sur un sujet historique proposé par le poète Joukovski et mis en livret par le baron Rosen. Le même sujet avait été traité en 1815 par l'Italien Cavos : au début du XVIIe siècle un paysan sauva le futur tsar Michel Romanov d'un attentat, grâce à un subterfuge par lequel il sacrifia sa propre vie. Pour plaire à Nicolas Ier, Ivan Soussanine fut intitulé la Vie pour le tsar et représenté à Saint-Pétersbourg le 27 novembre 1836. Il connut un immense succès auprès du public, mais provoqua la mauvaise humeur de certains critiques qui y virent « de la musique de cochers ». De 1837 à 1839, Glinka fut chef de chœur à la chapelle impériale. En 1840, il composa la musique de scène pour une tragédie de Koukolnik, le Prince Kholmsky. Au cours de ces années, il travailla à son second opéra Rouslan et Ludmilla d'après un conte en vers de Pouchkine, qui fut représenté six ans jour pour jour après le précédent, le 27 novembre 1842. Il semblait devoir bien se maintenir au répertoire, mais l'année suivante, une troupe italienne arrivée à Saint-Pétersbourg détourna l'attention des mélomanes russes. Déçu, Glinka quitta la Russie (1844) et entreprit un long voyage en France et en Espagne. Il passa la saison 1844-45 à Paris, se lia avec Berlioz et put, grâce à lui, faire exécuter plusieurs de ses œuvres lors de trois concerts en mars et avril 1845. Il était le premier Russe joué en France. Il resta ensuite deux ans en Espagne (1845-1847), y étudiant le folklore espagnol. De ce séjour devaient naître deux fantaisies pour orchestre, la Jota aragonaise (1845) et Souvenir de Castille devenue après remaniement Une nuit d'été à Madrid (1848-49). Les années 1847-1852 se passèrent entre Novospasskoïé, Varsovie et Saint-Pétersbourg. 1848 vit la composition de la Kamarinskaïa, fantaisie pour orchestre sur deux thèmes populaires russes. En 1852-1854, Glinka vécut de nouveau à Paris, mais mena une vie retirée, en raison de sa santé défaillante. Il travailla à une symphonie ukrainienne, Tarass Boulba d'après Gogol, qu'il ne put achever et détruisit. De retour à Saint-Pétersbourg, il entreprit de rédiger ses Mémoires (1854-55). En avril 1856, il partit pour Berlin afin d'y travailler avec son vieux maître Dehn à l'étude des anciens modes religieux et de chercher sur cette base un nouveau style d'harmonisation des chants de l'Église russe. Mais il mourut prématurément le 15 février 1857.

   Il serait inexact d'affirmer que Glinka ait été le premier à citer des chants russes dans ses œuvres ou à s'inspirer de sujets nationaux, ce qu'avaient déjà fait, à titre de divertissement, Pachkévitch, Fomine et d'autres compositeurs de la fin du XVIIIe siècle. Mais Glinka a été le premier à imprégner véritablement son langage des tournures mélodiques populaires et à donner à l'opéra russe une dimension dramatique, le transformant en « une solennité religieuse et patriotique » (Henry Mérimée). Certes, dans ses deux opéras, l'influence italienne reste sensible dans la division par numéros, la tendance à la virtuosité vocale et le peu de souci de la prosodie. Mais les chœurs et les airs d'Ivan Soussanine donnent toute leur dimension épique au peuple et au héros qui le représente, et nombre de scènes annoncent les opéras de Moussorgski. De son côté, Rouslan et Ludmilla, avec ses tableaux de l'Antiquité russe et sa féerie orientalisante, se retrouve dans les opéras-contes de Rimski-Korsakov. Dans Rouslan, Glinka met pour la première fois en scène un barde russe chantant une cantilène allégorique, de même qu'il est le premier à utiliser des mélodies et des rythmes orientaux (chœur persan, lezghinka, marche de Tchernomor). L'orientalisme, qui s'est déjà fait sentir dans le Prince Kholmsky, se retrouve dans les fantaisies espagnoles. À la base de l'école symphonique russe, la Kamarinskaïa établit le principe de la paraphrase et de la variation instrumentale des thèmes, opposé au développement de la symphonie germanique.

   L'orchestration de Glinka révèle un sens des coloris sonores et des nuances qui lui valut l'éloge de Berlioz lui-même. Ses hardiesses harmoniques sont souvent remarquables (gamme par tons dans Rouslan). Les nombreuses mélodies de Glinka, notamment le cycle Adieu à Saint-Pétersbourg (1840), laissent ressentir les influences de l'aria italienne, de la romance française, mais aussi de la chanson russe et de la ballade romantique. Ses pièces et cycles de variations pour piano relèvent de la musique de salon et présentent beaucoup moins d'intérêt.