Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
M

modalité

Terme employé, par opposition à « tonalité », pour désigner une syntaxe musicale utilisant d'autres gammes que le majeur-mineur classique, et, plus particulièrement, le mineur sans sensible (mode de la).

Jusqu'au XIXe siècle, on considère également comme modales les tournures harmoniques fondées sur des cadences autres que la succession classique tonique dominante (degrés II, III, VI, ainsi que IV en cadence plagale, c'est-à-dire lorsqu'il est hors de proximité du degré V).

mode

Dans les gammes (à l'exception de la gamme chromatique qui est faite de douze demi-tons égaux), les notes sont séparées par des intervalles inégaux. La répartition de ces intervalles, le plus souvent le ton et le demi-ton, caractérise le « mode ». Dans la musique tonale traditionnelle, nous connaissons le « mode majeur », dont l'alternance des intervalles est (en demi-tons) : 2, 2, 1, 2, 2, 2, 1 ; et le « mode mineur » dont l'une des formes est : 2, 1, 2, 2, 1, 2, 2. Dans les musiques archaïques, anciennes, européennes et extraeuropéennes, il existait et il existe de nombreux modes. Les plus fréquemment cités sont les modes grecs, les modes grégoriens, les modes hindous. En dehors des modes traditionnels, le compositeur a la faculté d'inventer lui-même des modes avec lesquels il pourra écrire sa musique (par exemple, Messiaen).

moderato

Mot italien correspondant au français « modéré » souvent employé lui aussi.

Accolé à un terme de mouvement (allegro, andante, etc.), il en tempère les caractéristiques, comme son équivalent « non troppo », et s'oppose à « assai », qui, au contraire, exagère ces particularités. Employé seul, « moderato » désigne un mouvement moyen, ni trop lent ni trop rapide, et généralement de caractère calme.

modes (histoire des)

La définition du mot « mode » est rendue difficile par la confusion qui règne dans son emploi. Le terme en soi est vague : il traduit le latin modus, traduction lui-même du grec tropos, qui signifie simplement « manière d'être ». Appliqué aux échelles musicales, il a donné lieu aux usages les plus divers.

   Dans l'ancienne théorie de la musique grecque, tropos servait de synonyme au mot plus technique tonos, abréviation de tonos systematicos, c'est-à-dire « tension des cordes à appliquer pour mettre en place le système ». Ce qui peut se traduire par « hauteur réelle à donner aux structures intervalliques », ces dernières s'exprimant en hauteur relative et constituant l'« harmonie » proprement dite. Contrairement à l'usage ultérieur, le mot s'appliquait donc sinon à la hauteur absolue (qu'on ne pouvait encore déterminer), du moins aux procédés de transposition d'une hauteur à une autre. En traduisant la théorie de grec en latin, Boèce (Ve s. apr. J.-C.) conserva les termes tropos et tonos en les latinisant (tropus, tonus), et leur adjoignit la traduction latine du premier, modus, qui en devint un troisième synonyme. La nomenclature topique des « modes » (dorien, phrygien, etc.) s'applique donc principalement, jusqu'à ce stade, à la notion de hauteur absolue et non à la structure des intervalles, qu'elle ne concerne qu'indirectement. Elle en devient au contraire l'élément déterminant à partir du Moyen Âge.

   La confusion provint du fait que, de leur côté, et sans se préoccuper en rien de théorie grecque, les chantres grégoriens classèrent leur propre répertoire selon huit tons sur des critères différents, fondés essentiellement sur la récitation psalmique sans aucune référence à la hauteur absolue. L'analogie des termes devait amener au IXe siècle l'auteur anonyme d'un traité latin, dit Alia musica, à mélanger les deux notions, introduisant un véritable imbroglio dont toute la théorie ultérieure devait se ressentir. Sous l'autorité d'un Boèce mal compris, « mode » devint synonyme de « ton » au sens grégorien en s'annexant tant bien que mal la nomenclature des « tons » grecs : on parla donc désormais de « ton » (ou « mode ») dorien (= ton de ou protus, 1er ton), phrygien (= ton de mi ou deuterus, 3e ton), etc. Vers la fin du XIXe siècle, « trope » étant depuis longtemps tombé en désuétude, le mot « mode » supplanta « ton ». Il s'applique aujourd'hui, de manière quelque peu anarchique, à un nombre considérable de notions contradictoires, dont le seul lien est qu'elles concernent toute la structure générale du système mélodique ou harmonique, considéré principalement sous le rapport des intervalles et de leur organisation.

   Peu employé dans cette acception avant le XIXe siècle, le mot « mode » connut à la fin du siècle une vogue rapide et devint préférentiel dans le système de Solesmes, qui le différencia du « ton » en limitant ce mot à la détermination des timbres psalmiques.

   En musique classique, en revanche, « ton » et « mode » étaient encore synonymes dans la théorie de Rameau. Ils s'individualisèrent au XIXe siècle, où « ton » (d'où tonalité) tendit à désigner la référence à la tonique (qui devint la « hauteur absolue » après l'adoption d'un diapason normalisé en 1859-1885), tandis que « mode » se référait à la répartition des intervalles autour de cette tonique.

   Dans ce nouveau sens, on n'envisagea d'abord que deux modes, le « majeur », héritier des quatre tons grégoriens à tierce majeure (5 –6 –7 –8), et le « mineur », héritier des quatre tons grégoriens à tierce mineure (1 –2 –3 –4), les différences entre les membres de chaque groupe s'étant progressivement estompées du XIIIe au XVIIIe siècle. Ce système à deux modes, dont les éléments les plus déterminants sont le rôle cadenciel de la dominante de quinte et l'attraction mélodique de la sensible vers la tonique, constitue la base de la « tonalité classique ». Tout-puissant au XIXe siècle, il perdit son exclusivité à la fin du siècle lorsque commencèrent à se développer d'autres « modes » au sens de « structure intervallique », sous la triple influence d'un regain d'intérêt pour la musique populaire, de la restauration du plain-chant, sans oublier les incidences de son harmonisation et des recherches relatives aux échelles de l'Antiquité et des musiques non européennes. Cette extension est souvent désignée par le mot impropre de « modalité » (musique « modale » opposée à musique « tonale »), bien que ce mot s'applique surtout aux échelles diatoniques non classiques (appelées à tort « modes grégoriens »), c'est-à-dire à des gammes sans altération (do excepté), prises sur le clavier de tonique à tonique et recevant un traitement harmonique plus ou moins calqué par analogie sur celui des deux modes classiques (obligation de la sensible exceptée). Entre-temps, les humanistes des XVIe et XVIIe siècles s'étaient penchés sur la théorie des « modes grecs ». Ne la comprenant pas, nombre d'entre eux avaient cru y déceler des anomalies qu'ils avaient tenté de rectifier, chacun à sa manière. La confusion était déjà très avancée lorsque, à la fin du XIXe siècle, le philologue R. Westphal proposa une nouvelle interprétation des noms topiques de la théorie grecque, fondée sur l'assimilation des « modes » aux « aspects d'octave » produits par les « tons systématiques » des théoriciens grecs. Largement diffusée chez les musiciens par l'enseignement de Gevaert, que suivit Maurice Emmanuel, et aujourd'hui fortement contestée, cette théorie introduisit une nouvelle confusion en proposant des définitions différentes pour des termes déjà très en usage (dorien = mode de mi et non plus mode de ré, etc.). Enfin le mot « mode » a pris, depuis quelques années, de nouveaux sens contradictoires du fait, d'une part, de l'extension des recherches d'ethnomusicologie, d'autre part, des confusions fréquentes avec la notion d'« échelle », confusions auxquelles n'est pas étranger l'emploi par Olivier Messiaen du terme « mode » dans le sens d'« échelle », notamment à propos de ses « modes à transpositions limitées ».