Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Duval (Denise)

Soprano française (Paris 1921).

Après des études suivies au Conservatoire de Paris, elle chanta aux Folies-Bergère, puis débuta à l'Opéra-Comique en 1947 dans le rôle de Cio-Cio-San de Madame Butterfly de Puccini. La même année, elle créa le rôle de Thérèse dans les Mamelles de Tirésias de Poulenc. Son nom devait rester par la suite lié à ce musicien, qui lui demanda de créer le rôle de Blanche dans le Dialogue des carmélites et écrivit pour elle la Voix humaine. Elle interpréta de nombreux autres ouvrages contemporains. Dans le répertoire, Thaïs dans l'opéra de Massenet, Concepción dans l'Heure espagnole de Ravel, et Mélisande dans Pelléas et Mélisande furent ses rôles d'élection. Elle se produisit à l'étranger (Milan, Buenos Aires, etc.), mais dut se retirer tôt de la scène pour raisons de santé et se consacra à l'enseignement. Sa voix n'avait pas des possibilités exceptionnelles, mais sa présence dramatique, son talent d'actrice, son pouvoir d'émotion, en firent une artiste d'un rare mérite.

Dvořák (Antonín)

Compositeur tchèque (Nelahozeves, Bohême, 1841 – Prague 1904).

Fils d'un boucher-cafetier, il commença à apprendre le métier de boucher et dut à l'organiste du bourg de Zloniče sa première formation musicale. Son père se résigna difficilement à l'envoyer à l'école d'organistes de Prague en 1857. Il acquit simultanément une solide formation classique d'organiste et de pianiste et l'expérience de la musique de danse et de brasserie comme violon dans l'orchestre de Komzak. En 1862, il obtint une place d'altiste du rang dans l'orchestre de l'Opéra national, récemment fondé par Smetana, et découvrit les œuvres de ce dernier, en particulier la Fiancée vendue, premier exemple convaincant d'un nationalisme musical tchèque. Profondément persuadé désormais de son rôle de musicien national, il dut son premier succès de compositeur à un hymne patriotique, les Héritiers de la Montagne blanche. En 1873, il quitta l'Opéra, devint titulaire de l'orgue de l'église Saint-Adalbert de Prague et épousa Anna Cermakova, qui devait lui donner six enfants. Il reçut une bourse pour se rendre et travailler à Vienne, où il fit la connaissance de Brahms. Ce dernier l'aida beaucoup, le recommandant à son éditeur Simrock, qui édita, de Dvořák, notamment les Chants moraves, les Danses slaves et plusieurs Symphonies, et au chef d'orchestre Hans de Bülow, qui contribua de manière déterminante à propager l'œuvre du musicien et à lui faire acquérir une renommée européenne.

   En 1879, Dvořák entreprit son premier voyage en Angleterre, où il devait venir neuf fois, y dirigeant maintes exécutions de ses œuvres et y créant même sa Septième Symphonie, commande de la Société philharmonique de Londres, en 1885. Mais ces succès à l'étranger ne satisfaisaient pas ce chantre de l'âme tchèque, qui cherchait toujours une œuvre décisive pour imposer à Prague même la tradition dont il se sentait le dépositaire. Il écrivit alors un grand oratorio national, Sainte Ludmilla (dont l'héroïne est un important personnage historique, prosélyte du christianisme, et grand-mère de Venceslas, premier duc chrétien de Bohême), et un opéra, le Jacobin, qui met en scène des types caractéristiques : l'instituteur aux idées avancées, sa fille, belle et pure, le seigneur local, noble et généreux, et son fils, malheureusement fourbe. C'était le début d'une série d'oratorios et d'opéras nationaux dont le plus populaire reste Rusalka (1900).

   Ne remportant pour l'heure que des succès mitigés, Dvořák continua à voyager, et créa sa Huitième Symphonie en 1890 à Prague. Ayant reçu un étrange télégramme d'une Américaine, Mrs. Jeanette Thurber, lui offrant la direction du conservatoire de New York, qu'elle avait fondé, il accepta et partit y enseigner de 1892 à 1895. Ses œuvres « américaines » restent parmi les plus connues, telle la Neuvième Symphonie, écrite entre le 1er janvier et le 23 mai 1893, et créée le 16 décembre de la même année au Carnegie Hall de New York, sous la direction du chef allemand Anton Seidl. C'est juste avant cette première exécution que Dvořák ajouta à la partition le titre « du Nouveau Monde ». À partir de son retour à Prague en mai 1895, il veilla à imposer ses œuvres et leur inspiration tchèque aux capitales musicales d'alors, Vienne et Berlin, qui lui rendirent hommage en le nommant membre de leurs académies. Devenu une véritable gloire nationale, il mourut le 1er mai 1904 à Prague.

   Son héritage musical et spirituel dépasse aujourd'hui le cadre étroit où la tradition l'a un temps enfermé. Dvořák est certes l'auteur des seize Danses slaves pour piano à quatre mains, dont les versions orchestrales imposèrent son nom à travers le monde. Mais il serait erroné de croire que son art demeurait strictement dans le sillage du classicisme d'un Brahms, de la spontanéité intimiste d'un Schubert. Si Dvořák n'a rien apporté de majeur à l'écriture musicale, son œuvre énorme ne doit pas être considérée pour autant comme une extension provinciale et folklorisante du romantisme triomphant. Dvořák a créé la véritable tradition symphonique et de chambre de la musique tchèque moderne. Il ne puise pas seulement son authenticité mélodique et rythmique dans le folklore populaire slave, mais il donne à cette musique des titres de noblesse en l'introduisant dans le moule des grandes formes classiques, symphonies, concertos, trios, quatuors, sans en détruire l'essence. Il est à remarquer que, dès ses débuts, il s'était tourné vers la musique de chambre : son opus 1 est un quintette à deux altos, suivi peu après par son premier Quatuor. À travers les neuf symphonies (dont quatre symphonies de jeunesse publiées à titre posthume et longtemps ignorées du public), à travers les quatorze quatuors, ensemble monumental demeuré jusqu'à une date récente en partie inconnu, et dont l'édition même est à peine achevée, se révèle le cheminement du compositeur.

   Les premières partitions sont foisonnantes de thèmes ; l'imagination du musicien y apparaît d'emblée dans sa richesse, mais la maîtrise manque encore, ce que traduit en particulier une tendance à la prolixité à laquelle Dvořák mettra longtemps à échapper. Une tentation wagnérienne se décèle dans la Troisième Symphonie, dans la première version de l'opéra le Roi et le Charbonnier (rendu plus personnel ensuite par des remaniements) et surtout dans les Deuxième, Troisième et Quatrième Quatuors. Le compositeur se laisse entraîner par une séduisante liberté rhapsodique, parsème son curieux Quatrième Quatuor d'intéressantes audaces d'écriture et de forme, mais se laisse trop systématiquement, et parfois maladroitement, attirer vers la « mélodie infinie » et le chromatisme ; de plus, certaines œuvres atteignent un développement presque monstrueux (le premier mouvement du Troisième Quatuor dure quelque vingt-cinq minutes ; l'ensemble de cette œuvre, soixante-dix).

   Puis vient la maîtrise croissante de la grande architecture, mais, avec le respect évident pour Haydn, Schubert, Beethoven, apparaît une nouvelle tentation, celle d'un certain cosmopolitisme, tentation bientôt repoussée. Les symphonies, à partir de la Cinquième (1875), les quatuors, à partir du Huitième (1876), s'imposent comme des œuvres majeures au sein de la littérature vouée à ces deux grands genres, par la sûreté de la plume, mais en même temps par l'affirmation d'une personnalité qui a désormais trouvé sa voie, d'une personnalité intensément nationale, qui apparaît aussi dans des œuvres comme le Quatrième Trio avec piano ou Dumky.

   Les œuvres « américaines » ne relèvent pas à proprement parler d'un style particulier, mais s'enrichissent d'éléments spécifiques et constituent une parenthèse sur laquelle il convient de s'arrêter. La Symphonie du Nouveau Monde, par exemple, a fait l'objet d'exégèses divergentes ou même contradictoires. Mais qu'on décide ou non d'y reconnaître, dans le troisième thème du premier mouvement, la mélodie du spiritual Swing low, sweet chariot, qu'on admette ou non les faits très controversés de savoir si Dvořák eut réellement l'occasion d'entendre des chants indiens originaux, ou si l'on peut trouver dans son inspiration la trace d'éléments populaires blancs, on ne peut nier que la Neuvième Symphonie et plusieurs autres partitions écrites sur le sol des États-Unis révèlent un goût pour la gamme pentatonique, des traits rythmiques (syncopes) et harmoniques qui permettent de parler d'une « manière américaine ».

   Enfin, avec les Treizième et Quatorzième Quatuors, op. 105 et 106, Dvořák parachève la réalisation de son ambition, la fusion d'un style national et d'un classicisme universel.

   Conscient peut-être de ne plus pouvoir se dépasser dans cette voie, ou désireux de se mesurer, sûr de sa maîtrise, avec son aîné Smetana sur les terrains de prédilection de ce dernier, Dvořák tourne le dos à la forme sonate et consacre ses dernières années exclusivement au poème symphonique et à l'opéra ; dans ses cinq poèmes opus 107 à 111, l'Ondin, la Sorcière de midi, le Rouet d'or, le Pigeon des bois et le Chant héroïque (ce dernier créé sous la direction de Gustav Mahler), la souplesse de la forme l'aide à oser un langage encore plus personnel et souvent plus moderne ­ parfois presque impressionniste ­ que dans ses symphonies. Ces dernières œuvres furent considérées comme un recul par le public cultivé germanophone, qui attendait une dixième symphonie. Pourtant c'est le poème symphonique et le quatuor qui forment les maillons, la structure musicale qui permettront aux héritiers de Dvořák ­ Josef Suk, Vitezslav Novak, Leoš Janáček (celui-ci conduisit la première exécution du Pigeon des bois), Bohuslav Martinů ­ d'atteindre, en transcendant une tradition respectée, à une profonde originalité.

   Ainsi, par un lent mûrissement, Dvořák, à ses débuts artisan instinctif et besogneux, devint l'égal tchèque de Brahms. Le climat parfois nostalgique, finalement optimiste de ses œuvres en fait l'un des rares chantres de l'espérance tenace, telle la devise vivante de sa terre natale.