Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
B

Bruckner (Anton) (suite)

Les chefs-d'œuvre viennois

Il reste à caractériser brièvement chacune des symphonies viennoises. La Deuxième a été qualifiée par August Goellerich, élève préféré et principal biographe de Bruckner, de « symphonie de Haute-Autriche », ce que justifie surtout son scherzo bondissant (la danse populaire sera d'ailleurs un terme constant dans les scherzos, au moins jusqu'à la Cinquième incluse). La Troisième, qui ambitionne pour la première fois d'allier l'inspiration épique beethovénienne et le monde des Nibelungen, fut dédiée à Richard Wagner ; et cela valut à son auteur vingt années d'ostracisme de la part de la critique traditionaliste viennoise. La Quatrième reçut son sous-titre de Romantique du compositeur lui-même, qui fournit aussi pour chaque mouvement un programme quelque peu naïf : elle est, dans l'ensemble, dominée par l'amour de la nature, mais bien moins tributaire d'intentions précises que la Pastorale, dont on la rapproche souvent. En revanche, sa structure cyclique est peut-être la plus parfaite. Premier point culminant de la chaîne et création éminemment typique de son auteur (qui ne l'entendit jamais !), la Cinquième (1875-1877) unit le climat religieux au lyrisme viennois en une formidable architecture sonore qui intègre une double fugue. La Sixième connaît en son adagio l'épilogue d'une des nombreuses idylles que le musicien se forgeait sans véritable espoir ; tandis que le scherzo est d'atmosphère fantomatique. La Septième fut celle qui valut à son auteur la gloire internationale : sa création à Leipzig, le 30 décembre 1884, par Arthur Nikisch, le tira du jour au lendemain de l'obscurité. Elle avait, il faut dire, de quoi séduire le plus vaste auditoire, tant par la noblesse de ses mélodies que par la somptuosité de sa parure orchestrale. L'adagio, où Bruckner emploie pour la première fois les tubas, fut entrepris dans le pressentiment de la mort de Wagner ; il s'achève sur la Trauerode qui, treize ans plus tard, devait accompagner son auteur à sa dernière demeure. La Huitième, la plus vaste et la plus complexe de toutes (elle occupa le compositeur de 1884 à 1890), comporte au moins trois éléments programmatiques : le glas (Totenuhr) qui résonne à la fin du premier mouvement dans la seconde version ; la peinture du paysan danubien dans le scherzo ; et le thème en trois vagues qui ouvre le finale et illustre une rencontre des empereurs d'Autriche, d'Allemagne et de Russie. Mais, au-delà de l'anecdote, la grandiose et cataclysmique péroraison, avec superposition de tous les thèmes de l'œuvre, manifeste l'extrême limite des potentialités de la forme symphonique ellemême.

   Bruckner eût-il pu aller plus loin encore dans la Neuvième, qu'il dédia symboliquement « au bon Dieu » ? On pouvait l'attendre par les dimensions du premier mouvement, ou par la percée qui s'accomplit en matière harmonique (superposition de tous les degrés de la gamme diatonique) au sommet de l'adagio. Et dans les esquisses du finale, auquel le musicien travailla jusqu'à son dernier jour, les fonctions tonales semblent fréquemment suspendues. Mais ce dernier morceau ne parvint pas à son terme (il s'interrompit au seuil de la péroraison) : c'est donc sur le sublime apaisement de l'adagio, venant après la terrifiante course à l'abîme du scherzo, que le maître prit congé de son auditoire terrestre. À sa mort, le 11 octobre 1896, au terme d'un lent déclin et d'une hydropisie aggravée d'atteintes pulmonaires, il laissait parmi d'autres genres, au moins, deux œuvres majeures : le Quintette à cordes en fa, avec deux altos (1879), et Helgoland (1893), sur un poème d'August Silberstein, pour chœur d'hommes et grand orchestre, couronnement d'une production chorale profane ininterrompue comportant une quarantaine de pièces. Enfin en musique sacrée, outre le Te Deum déjà cité, un bref et éclatant Psaume 150 (1892) et une dernière série de motets, les mieux connus et les plus neufs d'expression : quatre graduels (du Locus iste de 1869 au Virga jesse de 1885) ; Ecce sacerdos, avec cuivres (1886) ; Vexilla regis (1892).

Un auditoire d'outre-tombe

Les obsèques d'Anton Bruckner furent célébrées en grande pompe, devant le Tout-Vienne de la musique, le 14 octobre 1896, à l'église Saint-Charles. Quelques semaines auparavant, il réclamait encore de ses médecins une attestation écrite garantissant sa liberté ; et cette même exigence supérieure lui avait fait demander par testament que son cercueil demeurât exposé ­ et non inhumé ­ dans la crypte de Saint-Florian, au-dessous de l'orgue qui, depuis, porte son nom. Lorsqu'on exauça ce vœu, on découvrit une nécropole remontant aux invasions turques, et d'où l'on retira plusieurs milliers de crânes devant lesquels il joue désormais pour l'éternité !

Brudieu (Joan)

Compositeur français (Limoges v. 1520 – Urgel, Espagne, 1591).

On ne sait presque rien de son enfance et de sa formation. Arrivé en Espagne en 1539, il fut maître de chapelle de la cathédrale d'Urgel en Catalogne, de 1539 à 1543 et de 1545 à 1577. Il fut ordonné prêtre en 1543. À partir de 1577, il fit quelques voyages, et on le trouve en 1585 à Barcelone où il publie ses Madrigales. Il abandonna l'année suivante toute fonction après avoir obtenu un bénéfice ecclésiastique important. Ses seize madrigaux (par exemple, Las Cañas) montrent qu'il connut les œuvres de Janequin. Il marqua sa prédilection pour les dissonances, et son style d'écriture est moins strict que celui de son cadet Victoria. Cinq madrigaux sont écrits sur des textes catalans, notamment d'Auzias March, poète du XIIIe siècle. Brudieu est, d'autre part, l'auteur d'un Requiem à 4 voix, conservé en manuscrit.

Brüggen (Frans)

Flûtiste et chef d'orchestre néerlandais (Amsterdam 1934).

Après des études dans sa ville natale, au conservatoire pour la musique et à l'université pour la musicologie, il s'est très vite imposé comme l'un des plus grands virtuoses actuels de la flûte traversière et plus encore de la flûte à bec. Passionné par ce dernier instrument, il en a, de nos jours, confirmé la renaissance en lui rendant accès aux salles de concert comme instrument soliste. Il a exhumé, interprété et souvent édité de nombreuses partitions du XVIIe et du XVIIIe siècle. Attentif à toutes les époques et à tous les genres de musique, il est le créateur d'œuvres écrites spécialement pour la flûte à bec par des compositeurs comme Berio. Il collabore avec le facteur de flûtes Hans Coolsma, d'Utrecht, gardien de la célèbre tradition des facteurs de flûtes hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles. Comme chef, il a fondé en 1981 et dirige depuis l'Orchestre du XVIIIe Siècle.