Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Passereau

Compositeur français, actif de 1509 à 1547 environ.

On le prétend prêtre et présent à Saint-Jacques de la Boucherie au début du siècle, mais aucun document ne permet de justifier cette affirmation. Il est chantre à la chapelle du duc d'Angoulême (futur François Ier) en 1509 et sans doute à la cathédrale de Cambrai de 1525 à 1530. Il a surtout composé des chansons (les dernières datent de 1547) et a été publié dans divers recueils anthologiques d'Attaingnant, dont un lui est exclusivement consacré ainsi qu'à Janequin.

   Passereau fait partie de cette génération de compositeurs qui ont développé la chanson polyphonique parisienne, et son style est assez proche de celui de Janequin. Ses pièces sont en général descriptives ou grivoises, d'inspiration populaire et de style syllabique, et multiplient les rythmes animés et les imitations figuratives. La plus célèbre, Il est bel et bon, a subi de nombreuses adaptations et a été transcrite pour divers instruments un peu partout en Europe.

passion

Chant, au cours de l'office, de l'Évangile relatant la Passion du Christ durant la semaine sainte.

Dès le Xe siècle, ce chant revêtit une solennité particulière en utilisant des timbres de récitation différents de ceux des Évangiles ordinaires ; au XVe siècle s'introduisit la coutume de récitations dramatiques, où le rôle du Christ était chanté par le prêtre, l'évangéliste narrateur par le diacre, les autres personnages (turba, dite familièrement « canaille »), par le sous-diacre. À partir du XVe siècle, ce dernier rôle fut parfois confié à la maîtrise, et donna lieu à des compositions polyphoniques d'abord simples (faux-bourdons), puis de plus en plus développés (passion-répons). Au début du XVIe siècle, on écrivit en polyphonie non plus seulement la partie de turba, mais le récit entier, dont le texte fut souvent reconstruit par centonisation (passion-motet).

   La réforme luthérienne transporta ces différents genres en langue allemande, et, peu à peu, s'y adjoignirent des cantiques en intermède (chorals), des chœurs d'introduction et de conclusion, plus tard enfin des ariosos ou des arias traduisant la méditation du chrétien devant les faits évoqués (passion-oratorio). L'orchestre s'y étant joint, la passion devint ainsi chez les réformés du XVIIIe siècle tantôt une sorte de cantate agrandie encadrant comme celle-ci le sermon des vêpres (Passions de Bach), tantôt un oratorio sur modèle théâtral (Passions de Haendel), tandis que les catholiques (cf. A. Scarlatti) s'en tenaient à la seule récitation évangélique.

   Parmi les nombreuses passions écrites du XVIe au XVIIIe siècle, les plus connues sont sans doute celles de Victoria (passion-répons à récitatif liturgique), de H. Schütz (passion-répons à récitatif composé) et surtout de J.-S. Bach. Ce dernier, outre ses deux célèbres Passion selon saint Jean (1724) et Passion selon saint Matthieu (1729), a écrit au moins deux autres passions, dont l'une, selon saint Marc, est un arrangement de cantates sans grand intérêt, et l'autre, sur un texte libre de Picander conservé, est malheureusement perdue. Une cinquième passion, selon saint Luc, est parvenue jusqu'à nous ; elle est médiocre et très probablement apocryphe.

   Au XIXe siècle, la passion a cessé de former un genre musical particulier, et les rares passions écrites depuis lors (Jean Langlais, Frank Martin, Krzysztof Penderecki), ne se distinguent en rien, sinon par leur sujet, des oratorios de concert habituels.

Pasta (Giuditta Negri, dite)

Soprano italienne (Saronno, près de Milan, 1798 – Blevio 1865).

Cette figure légendaire de l'opéra romantique italien attacha son nom à la création du rôle de Norma dans l'opéra de Bellini. Elle étudia à Milan, débuta à Brescia en 1815, puis à Londres en 1817, sans grand succès. Elle obtint son premier triomphe à Paris en 1821 dans le rôle de Desdémone de Otello, de Rossini. Son grand talent d'actrice et l'intensité de ses interprétations firent sensation, au même titre que l'ampleur et la couleur de sa voix. Mais, même à l'apogée de ses moyens, on lui reprochait le manque d'homogénéité de son timbre. Elle résolut avec une facilité plus ou moins grande les problèmes vocaux posés par les rôles de Rossini, de Donizetti et de Bellini, dans lesquels elle était pourtant acclamée. Outre Norma de Bellini, elle créa Anna Bolena de Donizetti, et excella dans Otello de Rossini, où elle faisait, paraît-il, oublier Colbran, sinon sa rivale Malibran. Elle chanta régulièrement à Londres, Paris et Saint-Pétersbourg jusqu'en 1837, puis dut espacer ses prestations.

pastiche (ital. pasticcio, « pâté »)

1. Au sens ancien, employé surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles, le pastiche est une œuvre formée de morceaux soit composés par des auteurs différents, soit empruntés, avec ou sans remaniements, à des ouvrages différents dans un ordre autre que l'ordre primitif. C'est ainsi que le Jaloux corrigé de Blavet se compose d'une ouverture de Blavet et d'airs adaptés en français et empruntés à divers intermèdes de Pergolèse, reliés par des récitatifs de Blavet. Pulcinella de Stravinski, formé de divers morceaux empruntés à ce même Pergolèse et transformés par Stravinski, peut être considéré à cet égard comme une forme moderne du pasticcio.

2. Au sens actuel, on appelle pastiche un morceau original écrit par un auteur dans le style d'un autre. Le pastiche peut être volontaire et devient alors une sorte de jeu : c'est ainsi que Ravel et Casella ont composé une série de « À la manière de … » formant un pendant musical au célèbre recueil littéraire de Reboux et Muller. Il peut être aussi involontaire, et constitue alors souvent un aveu d'impuissance.

   Pour éviter la confusion entre les deux acceptions, on conserve habituellement la forme italienne pasticcio dans le premier sens, réservant le mot français pastiche au second.

pastorale

Genre dramatique qui relate les exploits amoureux de bergers et de bergères, situés dans un cadre naturel, un havre idyllique de bonheur et de paix, comme celui d'Arcadie, où habitent Pan, le dieu des bergers, et Alphée, celui des fleuves.

La poésie de la pastorale est la première à s'agrémenter entièrement de musique, pour être chantée, dansée et non pas parlée. Dans son Dictionnaire de la musique (1703), S. de Brossard définit la pastorale comme un « Chant qui imite celuy des Bergers, qui en a la douceur, la tendresse, le naturel, etc. C'est aussi souvent une pièce de musique faite sur des paroles qui parlent des mœurs, ou qui dépeignent les amours des Bergers, etc. ». Cette définition sera reprise et quelque peu amplifiée par J.-J. Rousseau (1777), après avoir été illustrée par son opéra champêtre le Devin du village (1752).

   En souvenir de l'Antiquité, des Idylles de Théocrite et des Églogues de Virgile, la pastorale a survécu tout au long du Moyen Âge, notamment en France (troubadours, trouvères) sous forme de pastourelle, chanson aristocratique, allégorique, courtoise, la bergère étant l'objet désiré et le cadre, un pré bordé d'une haie dorée. Mais le Jeu de Robin et Marion d'Adam de la Halle constitue déjà une véritable pastorale mise en musique. L'époque à laquelle la pastorale dramatique va devenir la favola in musica, nom usuel des premiers opéras, remonte à la fin de la Renaissance en Italie. Dès la fin du XVe siècle, la poésie pastorale se transforme en pièce dramatique pour être ensuite mêlée de musique. Selon Gian Battista Guarini, la nouvelle forme est née à Ferrare en 1554, avec la représentation de la pièce d'Agostino Beccari Il Sacrificio, dotée de musique par Alfonso Della Viola. La popularité de la pastorale sera bientôt assurée grâce à deux œuvres théâtrales majeures, traduites dans toutes les principales langues d'Europe : Aminta de Torquato Tasso (1573), encore assez proche de l'églogue et, surtout, Il Pastor fido (1581-1590) de Guarini, source des textes d'un très grand nombre de madrigaux polyphoniques et monodiques. Au cours du XVIIe siècle, ces deux modèles seront adaptés et imités jusqu'à épuisement de la matière littéraire. Pour les premiers opéras créés à Florence et si proches encore de la déclamation, O. Rinuccini, disciple du Tasse, écrit les livrets de Dafne (1597) et d'Euridice (1600) sur des contes mythologiques tirés d'Ovide, et notamment mis en musique par Jacopo Peri. A. Striggio reprend le thème du second pour l'Orfeo de Monteverdi en 1607. À ses débuts, l'opéra est exclusivement un spectacle de cour, donné à l'occasion d'un mariage princier ou d'une visite mémorable. Le prologue sert à honorer les principales personnalités présentes et les lie à l'action qui doit se terminer par le triomphe du bien sur le mal. Le rôle allégorique des personnages ici et dans la pastorale est, comme toujours, important. Ainsi la pastorale proprement dite restera un spectacle essentiellement aristocratique. En revanche, les éléments de la pastorale peuvent se mélanger librement à d'autres genres (Oratorio de Noël), chez Haendel (le Messie) et chez Corelli (Concerto de Noël).

   En France, après une tentative intitulée le Triomphe de l'amour (1654) de Michel de La Guerre, sur une série de chansons de Charles de Beys, Pierre Perrin appelle sa Pastorale d'Issy (1659) « Première comédie française en musique représentée en France ». La pastorale française (sans musique) atteint un premier sommet au début du XVIIe siècle avec le roman pastoral de H. d'Urfé, Astrée (1607-1628). Le genre est ensuite développé par les poètes précieux, par Racan (les Bergeries, 1619), puis par Gombauld (Amaranthe), Segrais (Églogues de M. de Segrais) et Gilbert, qui écrivait des pastorales pour la reine Christine de Suède, dont il était le secrétaire. La poésie pastorale des « précieuses » appelait la musique, mais jusqu'alors n'a réussi qu'à inspirer d'innombrables airs et ballets de cour. Quant aux spectacles d'opéra, ils sont italiens, imposés par Mazarin à la cour de France. À partir des éléments du ballet de cour, le ton pastoral de la poésie précieuse, le goût pour les chœurs, pour la danse, et quelques éléments italiens (déclamation en musique adaptée à la langue française), Lully peut créer un opéra français. Au sujet de la pastorale, R. Rolland déclare : « Il n'y a presque pas d'opéra de Lully où cette poésie de la nature, de la nuit, du silence ne s'exhale. » C'est aussi en raison des lois de la pastorale que la nouvelle tragédie lyrique possède un prologue allégorique et une fin heureuse, source caractéristique de tant de livrets maladroits. La liste des opéras de Lully commence et prend fin avec deux vraies pastorales : les Fêtes de l'Amour et de Bacchus (1672) et Acis et Galathée (1686).

   Éloigné de la cour, Marc-Antoine Charpentier compose un nombre non négligeable de petites pastorales religieuses ou profanes, destinées en grande partie à être représentées chez la princesse de Guise, dans son hôtel du Marais. Encore une fois, on y retrouve le thème des premières pastorales avec la Descente d'Orphée aux Enfers (v. 1685). À cette époque, un seul opéra italien est donné en France : il s'agit d'une pastorale, Nicandro e Fileno de P. Lorenzani (Fontainebleau, 1681). Quant à l'Académie royale de musique, l'opéra pastoral ou la pastorale héroïque y figurent assez souvent à l'affiche (Issé, de Destouches, 1697 ; Aréthuse, de Campra, 1701 ; Zaïs, de Rameau, 1748 ; Acanthe et Céphise, de Rameau, 1751 ; Daphnis et Églé, de Rameau, 1753, sans oublier une pastorale en langue d'oc de Mondonville, Daphnis et Alcimadure, 1754). En fait, la pastorale ne cessera d'exercer son influence sur l'opéra qu'à la Révolution. Pendant environ deux siècles, elle a régné sur la musique vocale profane et marqué la musique religieuse et instrumentale. Presque tous les compositeurs, à un moment ou un autre de leur carrière, ont contribué à son développement. De l'époque romantique à nos jours, le terme pastorale a été employé dans une œuvre lorsque y apparaît une atmosphère champêtre.

   Avec l'ouverture des premiers théâtres publics à Venise (1637), la pastorale subit un déclin en faveur de l'opéra héroïque ou historique (Cavalli/Busenello : La Didone, 1641 ; Monteverdi/Busenello : L'Incoronazione di Poppea, 1643). Le rôle des chœurs, essentiel dans les premiers opéras-pastorales, se modifie ; s'ils demeurent toujours présents, leur participation devient progressivement muette et, fréquemment, seul le livret indique qu'ils participent à une scène (cori de soldati, di cacciatori, di ninfe, etc.). Vers la fin du XVIIe siècle, A. Scarlatti, grâce à l'Accademia degli Arcadi (fondée en 1689), qui relance la forme, peut composer un nouveau type de pastorale intime caractérisée par un effectif vocal et instrumental réduit, sans chœurs, et donné chez des particuliers. Ainsi, en 1690, La Rosaura est représentée pour fêter un double mariage dans la famille Ottoboni. Ce genre d'ouvrage sera exploité par Haendel dans ses pastorales Il Pastor fido (1712) et Acis et Galatea (1720). Tout au long de cette période, la cantate profane porte le flambeau de la pastorale, même lorsque cette dernière est délaissée par le théâtre.

   Enfin, il faut constater l'existence en Italie de la pastorale dans la musique religieuse, traitant en particulier l'histoire de la Nativité du Seigneur, notre sauveur et « bon pasteur », et dont les premiers exemples sont les œuvres vocales du Sicilien F. Fiammengo (Pastorali concenti al presepe, 1637). Cette tradition se poursuivit en Autriche (Werner, Haydn), et les œuvres de ce type citent volontiers des mélodies populaires. La pastorale s'adapta par la suite à la musique instrumentale (« Symphonies pastorales » de Bach ou du Messie de Haendel). Quelquefois les compositeurs ont été tentés par la pastorale proprement dite (R. Strauss : Daphne, 1938 ; B. Britten, le Songe d'une nuit d'été, 1960). L'élément pastoral dans la musique est un vaste sujet ; dans ses rapports avec cet art, il reste encore en France aujourd'hui en grande partie inexploré.