Pays Basque

Les petits soldats de l'ETA

Il était connu que le Pays basque français constituait une base de repli pour les terroristes de l'ETA ; mais, en dépit d'une collaboration étroite entre les polices de part et d'autre des Pyrénées, la thèse officielle du ministère français de l'Intérieur demeurait que « le problème basque est un problème espagnol ». Personne ne se doutait que l'un des commandos les plus meurtriers de l'ETA était exclusivement composé de Français.

Le 2 avril, une voiture force un barrage de police sur une route de la province de Séville, dans le sud de l'Espagne. Son conducteur est bientôt maîtrisé. L'homme est français. À bord du véhicule, les policiers découvrent 300 kg d'ammonal, l'explosif couramment utilisé par l'ETA.

Henri Parot, un représentant en robinetterie de 32 ans qui habite Bayonne, ne tarde pas à passer aux aveux. Il raconte qu'il a été recruté en 1978 par Domingo Iturbe Abasolo, dit « Txomin », le leader historique de l'ETA aujourd'hui décédé, et qu'il agit à présent sous les ordres directs de Francisco Mugica Garmendia, dit « Artapalo », le chef extrémiste de la branche militaire de l'organisation séparatiste. Il déclare que l'explosif qu'il transportait devait être placé devant le siège de la Garde civile à Séville. Dépourvu d'état d'âme, il dénonce ses complices et raconte par le détail la trentaine d'attentats auxquels lui et son commando ont participé et qui, en douze ans, ont causé une quarantaine de morts. Il décrit comment il a lui-même achevé d'une balle dans la tête le procureur Carmen Tagle, le 12 septembre 1989, à Madrid.

Les informations transmises à Paris sont rapidement exploitées. Les 4 et 5 avril, vingt personnes sont interpellées au Pays basque français. Il s'agit de Français très moyens, sympathisants de la cause nationaliste mais inconnus des services antiterroristes en tant qu'activistes. Le 8, neuf d'entre eux sont inculpés d'association de malfaiteurs par le juge Gilles Boulouque.

Le système du commando français était sans faille. Composé d'aventuriers peu politisés inconnus des autres militants de l'ETA, il obéissait directement au « militaire » Artapalo, qui l'utilisait pour torpiller les initiatives modérées des « politiques ». Sans existence propre au sein du mouvement, il n'était pas repérable. À moins d'un hasard, qui a pris la forme d'un contrôle de routine sur une petite route d'Espagne.

Grande-Bretagne

L'affaire du supercanon irakien

Après l'exécution à Bagdad du journaliste britannique Farzad Bazoft le 15 mars et la confiscation à Londres de détonateurs nucléaires à destination de l'Irak le 28 mars, le contentieux entre les deux pays connaît un nouveau rebondissement. Le 11 avril, huit tubes d'acier de un mètre de diamètre provenant des Forges de Sheffield sont saisis dans le port de Middlesborough, dans le nord-est de l'Angleterre, à bord d'un bateau en partance pour l'Irak. Les douanes britanniques affirment qu'il ne s'agit pas de tronçons d'oléoduc, comme le prétendent les documents joints, mais d'éléments du fût d'un canon géant capable d'envoyer des projectiles à des centaines de kilomètres.

Bien que l'hypothèse d'une arme susceptible de menacer Téhéran et Jérusalem depuis le sol irakien paraisse la plus crédible, certains experts s'étonnent que la première puissance militaire du monde arabe, qui possède déjà une grande maîtrise des missiles balistiques et des armements chimiques, cherche à se doter d'une arme rappelant la Grosse Bertha de 1918. D'autres spécialistes mettent en doute la faisabilité d'un canon mesurant 40 mètres et pesant 140 tonnes. Mais une autre société britannique, Walter Somers, affirme à son tour avoir reçu des commandes de pièces prétendument destinées à l'industrie pétrolière de la part d'une firme belge agissant pour le compte de l'Irak, la Space Research Corporation. Elle aurait refusé la dernière offre après l'annonce de l'assassinat du directeur de cette société, le D^r Gerald Bull, le 22 mars à Bruxelles. Or celui-ci était un expert en balistique canadien réputé qui avait travaillé dans les années 60 sur un projet de canon géant capable d'envoyer dans l'espace des satellites ou de petites fusées. L'affaire tourne au mauvais roman d'espionnage.

Le 18, le gouvernement britannique confirme l'hypothèse du supercanon. Le ministre du Commerce et de l'Industrie reconnaît avoir été informé, par les sociétés concernées, de ces commandes étranges sans être en mesure, à l'époque, de soupçonner leur véritable nature. Certains parlementaires s'étonnent de son manque de perspicacité.

Le 20, le journal The Independent publie la version de la société belge, qui a mis fin la veille à ses activités. Selon celle-ci, le supercanon ne serait qu'un simulateur de tir balistique et non une arme. Pourquoi pas ? L'affaire se perd ensuite dans un jeu de piste à travers l'Europe, destiné à retrouver tous les éléments du canon géant.

Cinéma

La femme aux deux visages

Quarante-neuf ans de silence après dix-sept ans de tournage : personne ne saurait dire la part relative de ces deux périodes dans la construction du mythe Garbo. Ce sont en effet les récits de sa vie de femme traquée plus que ceux de sa carrière de star qui emplissent les journaux à l'annonce de sa mort, le 15 avril à New York.

Née en 1905 au sein d'une famille très modeste de Stockholm, Greta Lovisa Gustafsson doit rapidement travailler. Mais, alors que le cinéma suédois traverse son âge d'or, elle rêve de devenir actrice. De photos pour catalogues en bouts d'essai, elle finit par être remarquée par Mauritz Stiller, qui change son nom et lui confie le second rôle de la Légende de Gösta Berling en 1924. L'année suivante, l'Europe entière la découvre dans la Rue sans joie de Georg Wilhelm Pabst. À la sortie du film à Paris, les surréalistes encensent cette « femme fantôme... qui aurait pu être une apparition dans les Chants de Maldoror ».

Quand le patron de la MGM fait venir Stiller à Hollywood en 1925, celui-ci obtient un contrat pour Garbo, que personne ne semble pressé de faire tourner. Enfin, on lui fait perdre dix kilos et on lui redresse les dents, avant de lui donner sa chance. Le succès est au rendez-vous. En 1927, la Chair et le Diable de Clarence Brown consacre sa gloire de séductrice.

Son jeu extrêmement épuré et la photogénie de son visage l'imposent au firmament du septième art. Dès cet instant, elle fuit la notoriété. La MGM exploite ce caractère, la confinant dans des rôles de femme fatale inaccessible. En fait, Garbo n'aime pas le cinéma. Il n'est pas une fin pour elle, mais sa seule manière d'exister.

En 1930, « Garbo parle », comme le proclame la publicité d'Anna Christie de Clarence Brown, et le monde est séduit par sa voix rauque qui accentue l'ambiguïté du personnage. Rivale de Marlene Dietrich, elle marque de son interprétation les grands rôles du répertoire, de Mata Hari (1931) à Maria Walewska (1937). En 1939, le sphinx s'humanise : « Garbo rit » dans Ninotchka d'Ernst Lubitsch.

En 1941, la Femme aux deux visages, qu'elle tourne sous la direction de George Cukor, est un échec. Est-ce cela qui la décide à s'arrêter ? Greta Garbo a 36 ans. Elle ne remettra plus jamais les pieds sur un plateau. « Je veux être seule », sa célèbre réplique de Grand Hôtel (1932), devient la règle de sa nouvelle vie (52).

Yougoslavie

Craquements

Neuf ans après la disparition du maréchal Tito, l'arbitre suprême, l'écroulement du communisme en Europe a achevé de vider de son sens le système politico-économique propre à la Yougoslavie et laissé la question nationale reprendre sa véritable place : la première. La crise du Kosovo, cette région autonome que se disputent ses habitants, Albanais de souche et musulmans pour 90 % d'entre eux, et la République de Serbie, son tuteur institutionnel, en est la meilleure illustration. Les velléités séparatistes des Républiques slovène et croate sont tout aussi préoccupantes pour l'avenir du régime. La crise du Kosovo et celle du fédéralisme ont un dénominateur commun : la Serbie. La suprématie de cette République, qui est à la fois la plus peuplée et la plus pauvre de Yougoslavie, attise en effet la rancœur des « riches » Républiques du Nord ainsi que celle des peuples soumis.

Le 8 avril, pour la première fois au sein de la fédération yougoslave, des élections libres se déroulent en Slovénie. L'union de l'opposition non communiste Demos (chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates, paysans et verts) obtient 55 % des voix et conquiert 47 des 80 sièges de la chambre sociopolitique du Parlement de Ljubljana. Son chef, José Pucnik, est appelé à former le gouvernement, mais c'est le communiste réformateur Milan Kucan, l'homme qui a rénové le PC slovène et aboli son rôle dirigeant, qui est élu, le 22, président de la République de Slovénie.

Or la nouvelle majorité slovène soutient le combat des habitants du Kosovo contre la Serbie. D'autre part, la présidence collégiale de la fédération yougoslave sait que l'obtention des crédits occidentaux, nécessaires à la réalisation des réformes qui permettraient de sauvegarder l'unité du pays, se heurte à la persistance de la crise du Kosovo. Le 18, elle décide de lever l'état d'urgence instauré dans la région le 27 février 1989 à la suite du soulèvement de la population d'origine albanaise contre la tentative de reprise en main de la région par la République de Serbie.

Les 22 avril et 7 mai, les premières élections en Croatie accordent à l'Union démocratique croate (HDZ), parti d'opposition nationaliste de droite, les deux tiers des sièges au Parlement de Zagreb. Son chef, Franjo Tudjman, est nommé président de la République de Croatie le 30. Le 31, M. Stjepan Mesic forme le deuxième gouvernement non communiste d'une République yougoslave.

Prenant le 15 ses fonctions de président de la fédération yougoslave pour un an, le Serbe Borislav Jovic évoque « le danger d'une guerre civile et d'une désintégration du pays ». Tous les Yougoslaves savent à présent que la responsabilité en reviendrait autant à M. Slobodan Milosevic, influent président de la Serbie, qu'aux nouveaux dirigeants slovènes et croates, qui revendiquent la restauration de « l'entière souveraineté » de leur République dans le cadre d'une « confédération yougoslave ».

Le mois d'Antoine Waechter

Le 22 avril, 138 pays fêtaient la Terre, autant pour célébrer sa beauté que pour mobiliser les consciences en faveur de sa sauvegarde. L'initiative a connu des succès variables, mais là n'est pas l'essentiel.

D'une part, il s'agissait d'une réédition, plus de dix années après la dernière manifestation de ce type. Plus d'une décennie d'oubli après les cris d'alarme du début des années 1970, l'émergence des premiers partis verts et la floraison d'associations qui conduisit à la création du ministère de l'Environnement (décembre 1970) ! Dix années d'inaction relative alors que les mécanismes d'altération de l'air, des eaux et des systèmes vivants n'étaient pas interrompus pour autant. Dans ce domaine, plus que dans d'autres sans doute, l'attitude des gouvernants est déterminée par la pression qu'exerce l'opinion publique, dont les relais les plus efficaces depuis quinze ans s'avèrent être les formations écologistes susceptibles de transformer cette préoccupation en bulletins de vote.

Le Jour de la Terre témoigne d'autre part de l'émergence d'une citoyenneté planétaire. Le recul de la forêt tropicale, l'empoisonnement de la mer du Nord, l'effet de serre, le dépérissement forestier, l'altération de la couche d'ozone sont des maux à la dimension du globe, et ressentis comme tels par le public. Les réponses nécessaires, la limitation des émissions de gaz carbonique et d'oxyde d'azote, ou encore le freinage de la croissance démographique et un nouvel ordre économique qui permette le développement des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, ne peuvent être mises en œuvre que par l'ensemble des nations. C'est l'humanité tout entière qui doit se préoccuper de l'avenir de son vaisseau spatial, solidairement.

Les centaines d'actions ponctuelles qui marquèrent le 22 avril révélèrent cependant des préoccupations beaucoup plus proches des citoyens : revendication de pistes cyclables ou de rues piétonnières, sauvegarde de la Loire et de nombreux sites menacés, gestion des déchets... Les mobilisations lointaines ne peuvent faire oublier la dégradation des conditions de vie en milieu urbain, l'effondrement des sociétés rurales, la régression des espaces naturels, l'altération des paysages et du cadre de vie en France. Depuis 1988, la multiplication des conflits « environnementaux » témoigne d'une nouvelle mobilisation du public : à Serre-de-la-Fare (barrage sur la Loire), à la Borie (barrage dans le Gard cévenol), en Provence sur le tracé du TGV Sud-Est, en Loiret à propos de l'autoroute Montargis-Orléans ou en Alsace pour la sauvegarde des forêts alluviales du Rhin... La sécheresse révèle des conflits d'usage pour une ressource que l'on croyait illimitée. La question des déchets et les difficultés de la filière surgénératrice entretiennent le débat sur l'énergie nucléaire. Le Premier ministre et le président de la République lui-même doivent « se mouiller » pour arbitrer : la crise écologique devient en France un enjeu politique majeur, avec quelques années de retard sur la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche, la Suède et les Pays-Bas.

Antoine Waechter

Pays de l'Est

L'année des élections

Le 18 mars, la RDA inaugure l'année des élections en Europe de l'Est, qui fait suite à l'année des révolutions. Le premier scrutin libre depuis 1933 est marqué par la victoire inattendue du parti chrétien-démocrate (CDU) qui obtient 40,91 % des voix et 164 sièges sur 400, 193 avec ses alliés regroupés au sein de l'Alliance pour l'Allemagne. Le Parti social-démocrate (SPD), qui était donné favori, doit se contenter de 21,8 % des suffrages et de 87 sièges. Le Parti du socialisme démocratique (PDS, ex-communiste) réalise un score imprévu avec 16,33 % des voix et 65 sièges. Regroupés au sein de l'Alliance 90, les mouvements de citoyens à l'origine de la révolution de l'automne 1989, parmi lesquels Nouveau Forum, ne recueillent que 2,90 % des voix et 12 députés.

Ce plébiscite ne reflète pas l'adhésion massive des Allemands de l'Est à un parti qui, allié aux libéraux au sein du Bloc national, a servi de caution démocratique au régime communiste. Certes, son président, M. Lothar de Maizière, descendant d'une vieille famille de huguenots français émigrée en Prusse et membre influent de la communauté protestante de RDA, a entamé un renouvellement en profondeur de la CDU de l'Est en novembre 1989. Mais la victoire du parti frère de celui que dirige le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl illustre avant tout l'aspiration des Allemands de l'Est à la réunification des deux États, au sujet de laquelle le SPD paraissait trop réservé à leurs yeux.

Le 25 mars, en Hongrie, au premier tour de la première consultation nationale libre organisée dans le pays depuis 1945, le Forum démocratique hongrois (MDF, centre droit) obtient 24,71 % des voix, l'Alliance des démocrates libres (SzDSz, centre gauche) 21,38 %, le Parti des petits propriétaires (PPP) 11,76 %, le Parti socialiste hongrois (PSH, ex-communiste) 10,89 % et la Fédération des jeunes démocrates (FIDESz, radicaux) 8,94 %. À elle seule, la défaite de M. Imre Poszgay, communiste réformateur et artisan du démantèlement du parti État, battu par un jeune inconnu du FIDESz, illustre le rejet total de tout ce qui rappelle le régime déchu.

Le second tour, organisé le 8 avril, permet de départager les deux grands partis d'opposition et d'écarter la menace de l'instabilité politique. Le MDF l'emporte clairement avec 42,74 % des suffrages et 165 sièges sur 386. Le SzDSz n'obtient que 23,83 % des voix et 92 sièges. Tranchant plus encore que son adversaire sur les thèses du PSH, le MDF affiche de plus un nationalisme très populaire. Fils d'un membre éminent du PPP d'avant-guerre, son leader, M. Jozsef Antall, a une longue carrière d'opposant derrière lui.