France

Une seule paire d'ailes

L'aviation civile française se met à l'heure européenne. Le « Yalta aérien » décrété en France en 1963, qui avait partagé le monde entre Air France et UTA et réservé la métropole à Air Inter, n'a plus cours. La déréglementation décidée en 1979 aux États-Unis a donné naissance à des colosses dont les flottes dépassent 500 appareils. La qualité du service et les coûts réduits des compagnies asiatiques en font de redoutables concurrents. Face à ces défis et dans la perspective de la déréglementation du trafic aérien européen en 1993, le gouvernement décide de doter la France d'une unique paire d'ailes.

Le 12 janvier, la société Chargeurs SA annonce qu'elle cède à Air France 54,58 % des 82,88 % du capital d'UTA qu'elle détient, pour un montant de 3,8 milliards de francs. Par voie de conséquence, Air Inter, dont UTA possède 35,8 % du capital et Air France déjà 36,5 %, tombe également dans le giron de la compagnie nationale. L'opération place cette dernière au septième rang mondial en nombre de passagers − kilomètres transportés − 47,5 milliards de PKT − et au troisième par son chiffre d'affaires − plus de 45 milliards de francs. Le nouveau groupe aérien possède 183 appareils et emploie 55 800 personnes.

« Pas de concurrence franco-française » : tel est le principe qui a animé la politique aéronautique des gouvernements successifs. L'autorisation accordée en 1987 à UTA de desservir certaines destinations conjointement avec Air France ou l'accord passé en 1989 entre Air Inter et Air France en vue de créer des vols sur leurs domaines respectifs ne l'avaient pas vraiment remis en cause. La Commission des Communautés européennes supportait de plus en plus mal cette attitude qui contrevenait au traité de Rome.

Si elle obéit toujours au dogme anticoncurrentiel, cette opération de regroupement garantit tout au moins l'adhésion de la France au principe de l'ouverture des frontières aériennes, à l'égard duquel elle était jusque-là très réticente. Mais elle n'en correspond pas moins à une nationalisation de facto d'UTA, qui va à contre-courant du mouvement actuel de privatisation des compagnies nationales européennes.

France

Mort d'un citoyen-soldat

Il restera comme le ministre de l'affaire Greenpeace. Mais il était surtout l'homme qui réconcilia les militaires et les socialistes. Charles Hernu est mort d'une crise cardiaque, le 17 janvier à Villeurbanne, alors qu'il participait à une réunion en faveur des Arméniens. Il était âgé de 66 ans.

Fils de gendarme, ancien résistant, journaliste, franc-maçon et radical, Charles Hernu présente dès le lendemain de la guerre les caractères qui modèleront toute sa carrière. Fondateur en 1951 du Club des Jacobins qui soutient l'entreprise de Pierre Mendès France, il devient en 1956 le plus jeune député de France, élu dans la Seine sous la bannière du Front républicain. Il s'oppose à la politique algérienne de Guy Mollet. Mais, lors du retour du général de Gaulle au pouvoir, il préfère rejoindre la Convention des institutions républicaines de M. François Mitterrand et devient, en 1965, l'un des barons de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS). Il est élu maire de Villeurbanne en 1977 et député de cette circonscription en 1978.

Au Parti socialiste, il entreprend la dure tâche de convertir la gauche à une vision plus réaliste des questions de défense. Ses efforts aboutissent en janvier 1978 à l'adhésion du PS à la stratégie de dissuasion nucléaire. C'est donc tout naturellement qu'il est désigné comme ministre de la Défense du gouvernement d'Union de la gauche, en mai 1981.

Homme de contact, connaissant parfaitement ses dossiers, il est bientôt adopté par une armée tout d'abord inquiète de l'arrivée de la gauche au pouvoir. Pièce maîtresse de son action, sa loi de programmation 1984-1988, véritable charte de défense entre la nation et son armée, est sans concession : renforcement du stratégique et du préstratégique, création de la Force d'action rapide (FAR), mais réduction des effectifs de 35 000 hommes.

Certains raillent sa « militaro-mania » ; mais on lui reproche surtout d'être devenu l'homme des militaires au sein du gouvernement socialiste. L'affaire Greenpeace illustre ce dérapage. En juillet 1984, il donne son feu vert au sabordage par la DGSE du Rainbow Warrior, le bateau du mouvement écologique, amarré dans le port d'Auckland (Nouvelle-Zélande), qui s'apprêtait à mener une campagne contre les essais nucléaires français dans le Pacifique. L'affaire éventée, il nie, allant jusqu'à mentir au Premier ministre, et endosse toutes les responsabilités. Contraint de démissionner le 20 septembre 1985, il dira plus tard : « Il y a eu des ordres. Ils ont été mal exécutés. J'ai couvert. J'ai payé. »

URSS

L'Azerbaïdjan flambe

La persistance de la crise du Haut-Karabakh exacerbe les nationalismes azéri et arménien (éd. 1989). Cette région autonome enclavée au sein de la République d'Azerbaïdjan est peuplée à 75 % d'Arméniens qui réclament depuis deux ans leur rattachement à la République voisine d'Arménie. Les Azéris s'y opposent farouchement. Les premiers sont chrétiens et « européens » ; les seconds, musulmans et « turcs ». Le renoncement du Kremlin à l'usage de la terreur, le désir de réformes que ressentent les citoyens soviétiques et leur rejet du communisme et de la domination russe alimentent un climat qui favorise la résurgence de ces pulsions ancestrales.

Du 30 décembre au 7 janvier, les membres les plus radicaux du Front populaire d'Azerbaïdjan, pur produit de la perestroïka chère à M. Mikhaïl Gorbatchev, exigent la liberté de circulation avec l'Iran. Les installations frontalières qui séparent depuis la Seconde Guerre mondiale les Azéris soviétiques de leurs « frères » iraniens sont attaquées. Le 11, à Lenkoran, sur la mer Caspienne, non loin de la frontière iranienne, la section locale du Front démet de leurs pouvoirs les autorités légales.

L'agitation gagne bientôt Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan, où elle dégénère. Le 13, à l'issue d'un meeting du Front, les Azéris pourchassent et tuent par dizaines les Arméniens qui n'ont pas fui la région après les massacres de Soumgaït, en février 1988. Le lendemain, les persécutions anti-arméniennes s'étendent à l'ensemble de la République.

Le 15, l'état d'urgence est décrété dans le Haut-Karabakh et dans plusieurs régions du Caucase. Des unités de l'armée et du KGB sont dépêchées sur place. Les derniers Arméniens sont évacués de Bakou. Le bilan officiel fait état de 56 morts. Mais les radicaux s'opposent par la force à la progression des renforts, tandis que les autorités de Bakou refusent toujours d'instaurer le couvre-feu. Le 19, face à la rébellion ouverte, les autorités soviétiques haussent le ton. M. Gorbatchev dénonce les « forces qui appellent à la sécession et à la constitution d'un Azerbaïdjan islamique ».

Le 20, l'armée soviétique entre en force dans Bakou, où l'état d'urgence est décrété. Les députés azerbaïdjanais menacent alors de proclamer l'indépendance de leur république, comme vient de le faire le Soviet suprême du Nakhitchevan. Pour la première fois en URSS, le sang coule par suite d'une décision de M. Gorbatchev. Les combats qui agitent Bakou durant plusieurs jours font officiellement 125 morts, dont 27 soldats.

Bande dessinée

Entre le temple et le tombeau

Le 17^e Salon international de la bande dessinée d'Angoulême est marqué par l'inauguration du Centre national de la bande dessinée et de l'image (CNBDI), le 24 janvier, par le ministre Jack Lang. Aménagé sur le site des anciennes brasseries Champigneulles par l'architecte Roland Castro, le CNBDI abrite, sur 6 000 m², une médiathèque, un lieu d'exposition et un département d'imagerie numérique. Un temple pour la BD. Est-ce bon signe ?

Après l'euphorie des années 1970 qui l'ont vue s'affranchir du monde de l'enfance pour accéder au statut de neuvième art. la bande dessinée connaît une crise profonde depuis le milieu des années 1980. Crise d'identité tout d'abord. D'instrument privilégié de la contre-culture, elle s'est institutionnalisée en se réfugiant dans ses « temples ». Mais, une fois conquis l'espace de liberté éditoriale, les projets n'ont pas suivi. Fuyant la « bonne affaire », la création culturelle s'est transportée vers d'autres formes d'expression ; les auteurs ont commencé à se répéter ; le lectorat ne s'est pas renouvelé ; la BD est devenue un simple fonds à exploiter et la crise d'identité a débouché sur une crise structurelle. Dans les maisons d'édition, les gestionnaires ont remplacé les créatifs. Au pays de la folie inventive, le mot d'ordre est devenu « prudence » : on a privilégié les réimpressions, les éditions de luxe ou en format de poche, la diversification des sous-produits.

La démobilisation consécutive s'est traduite par la stagnation des ventes d'albums, le déclin des revues et le rachat des maisons d'édition. Il faut aujourd'hui s'appeler Tardi ou Bilal pour tirer à 100 000 exemplaires. Pour beaucoup, le seuil de rentabilité − de 15 000 à 20 000 exemplaires − est difficile à atteindre. Des titres aussi célèbres que Métal hurlant, Pilote, Charlie ou Circus ont disparu. Tin-tin et Spirou connaissent de grosses difficultés. Or, depuis toujours, c'est au travers de ses revues que la BD se renouvelait. Hachette a racheté Dupuis et les Humanoïdes associés, Gallimard a repris Futuropolis ; enfin, le groupe Ampère a acquis Lombard, Fleurus et Dargaud, dont il a entrepris de « moraliser » les catalogues.

La BD sera peut-être sauvée par une nouvelle génération d'éditeurs tels que Alpen, Delcourt, Marsu-Productions, Vents d'Ouest et Zenda, qui font preuve de dynamisme. C'est à eux que le CNBDI vaudra de ne pas devenir un tombeau.

Le mois de Mgr Virgil Gheorghiu

L'Église orthodoxe ne se mêle pas des choses terrestres. Son but est le royaume du Ciel, car le Christ n'a pas promis des biens matériels à des hommes mortels, mais des biens éternels à des hommes immortels. Mais, lorsque les souffrances dépassent les limites du supportable, l'Église orthodoxe s'engage dans le combat.

L'Église orthodoxe roumaine de Paris a procédé de même. Elle s'abrite dans une petite chapelle de 556 mètres carrés, placée entre la Sorbonne et Notre-Dame. Elle fut fondée, il y a un siècle et demi, par des patriotes roumains réfugiés en France qui ont dirigé de là tous les combats de libération et d'unification pour une Roumanie libre et souveraine. Le 12 novembre 1989, les cloches de l'église roumaine de Paris ont sonné à toute volée, appelant à la révolte. De la chaire, on a prêché l'insurrection, avec les paroles de la « Marseillaise roumaine » : « Réveille-toi, Roumain, et brise les chaînes de la tyrannie et de l'esclavage. » Un mois plus tard, en décembre 1989, la révolte était déclenchée dans tout le pays et le tyran ouvrait le feu contre le peuple. Pendant le massacre, les lieutenants du dictateur, se jugeant perdus, ont assassiné leur chef. Ils ne l'ont pas tué pour libérer le peuple, mais pour s'emparer de son pouvoir et de ses immenses richesses.

Depuis Noël 1989, la Roumanie est ainsi livrée au clan des vampires qui dévorent le peuple roumain à pleines dents. Les frontières de la république pénitentiaire roumaine sont maintenant ouvertes, mais elles le sont afin que le peuple roumain, affamé et clochardisé, puisse sortir et mendier à l'étranger, et pour que les âmes charitables puissent pénétrer dans le pays et faire l'aumône aux Roumains. La Roumanie est le pays de la désolation et de la terreur. C'est une immense geôle où régnent la peur, la famine et le désespoir. Le peuple roumain ne compte plus que sur l'aide de Dieu, car toutes les puissances de la terre se sont coalisées avec le clan des vampires qui s'est emparé de son pays. Même l'Église orthodoxe roumaine s'est alliée avec le clan des exterminateurs. Le patriarche, les métropolites et les évêques orthodoxes roumains rendent culte, comme à Dieu, au clan des tyrans qui massacrent le peuple. Les hiérarques de l'Église orthodoxe roumaine ont vendu Dieu et le peuple de Dieu, comme Judas.

Malgré ce terrible scandale, nous sommes plus fidèles que jamais à l'Église. Car l'Église est le corps du Christ. Et l'on ne quitte pas Dieu à cause de Judas, à cause d'un, de dix ou de mille évêques indignes et scélérats. Les apôtres n'ont pas quitté Jésus à cause de Judas. Les apôtres n'ont ni jugé, ni condamné Judas. Nous ne le ferons pas non plus. Judas s'est puni lui-même en se mettant une corde au cou et en se pendant à un arbre. Parce qu'il avait vendu Dieu. Mais, à Bucarest, Judas ne s'est pas encore pendu.

Virgil Gheorghiu