Golfe

La crise

1^er septembre Les femmes et les enfants détenus en Irak commencent à quitter le pays.

2 septembre Le secrétaire général de l'ONU, M. Perez de Cuellar, constate l'échec des entretiens qu'il a eus avec le ministre des Affaires étrangères irakien, M. Tarek Aziz, en Jordanie.

4 septembre M. Chevardnadze propose de régler la crise du Golfe dans le cadre d'une conférence internationale sur l'ensemble des problèmes du Proche-Orient.

9 septembre À Helsinki, les présidents Bush et Gorbatchev déclarent privilégier l'application des sanctions sur le recours à la force.

10 septembre M. Baker demande un soutien militaire aux alliés de l'OTAN. Le 14, la Grande-Bretagne annonce l'envoi d'importantes forces militaires dans le Golfe. Le président Hussein propose de fournir gratuitement du pétrole aux pays du tiers-monde.

14 septembre Des soldats irakiens investissent des locaux diplomatiques occidentaux à Koweït, dont la résidence de l'ambassadeur de France. Quatre Français sont emmenés, dont un diplomate qui est rapidement relâché.

15 septembre La France engage l'opération « Daguet » qui prévoit l'envoi de renforts en hommes et en matériels en Arabie Saoudite, où ils commencent à arriver le 29.

20 septembre L'Irak menace de détruire les installations et les puits pétroliers de la région en cas d'agression contre son territoire.

24 septembre Devant l'Assemblée des Nations unies, M. Mitterrand s'inscrit dans une « logique de paix » et propose un plan de règlement.

25 septembre La résolution 670 du Conseil de sécurité étend au trafic aérien le blocus contre l'Irak. Devant l'Assemblée des Nations unies, M. Chevardnadze envisage un recours à la force sous l'égide de l'ONU.

France

Médecin sans frontière

« L'endurance a des limites et la mienne vient de les atteindre », écrit M. Jacques Médecin dans la « Lettre aux Niçois » qui paraît dans le numéro de Nice-Matin du 16 septembre pour expliquer son retrait de la vie publique et son refus de rentrer en France. L'endurance de M. Médecin était forte. Il devait bientôt fêter le triple anniversaire de ses vingt-cinq ans de mandat de maire, de ses trente ans de carrière au Conseil général des Alpes-Maritimes et du centenaire de la naissance de son père, maire de Nice de 1925 à 1965.

La politique était certainement la passion de M. Jacques Médecin, comme elle avait été celle de son père. Maire en 1966, député en 1967, président du Conseil général en 1973, secrétaire d'État au Tourisme de 1976 à 1978, Jacques a repris et amplifié les méthodes de pouvoir de Jean, fondées sur une personnalisation extrême de la gestion publique et sur la pratique du clientélisme et du patronage politiques.

Mais c'est l'argent et la confusion qu'on lui reproche d'avoir entretenue entre budget public et fortune privée qui ont finalement entraîné sa chute. Récemment, trois affaires étaient venues conforter les rumeurs qui couraient depuis plus de dix ans sur le caractère trouble de certaines de ses activités. Le 17 novembre 1989, M. Médecin avait été inculpé d'ingérence. Il était apparu que le journal l'Action Nice-Côte d'Azur, dont il était l'actionnaire principal, était financé par les publicités des associations niçoises subventionnées par la mairie. D'autre part, M. Médecin, qui évaluait ses revenus à quelques milliers de francs par mois, ne payait plus d'impôts depuis 1980. L'enquête fiscale engagée en 1988 avec les encouragements du pouvoir socialiste a révélé que M. Médecin détenait de nombreux avoirs à l'étranger, notamment aux États-Unis. Le redressement qui lui avait été notifié pour les années 1977 à 1984 s'élevait à près de 19 millions de francs. Enfin, la justice enquêtait depuis mars sur le versement que rien ne paraissait justifier d'une commission de 5,3 millions de francs à une intermédiaire appartenant au proche entourage de M. Médecin, dans le cadre d'une opération de refinancement de la dette de la ville de Nice qui n'avait abouti qu'à accroître celle-ci.

Personnellement mis en cause par un jugement provisoire de la chambre régionale des comptes du 12 juillet, qui l'estimait « comptable de fait » pour un « maniement irrégulier de fonds publics » de plus de 13 millions de francs, le maire de Nice risquait d'être destitué par le préfet. M. Médecin a préféré se réfugier en Amérique du Sud, où il compte de nombreux amis. Pour parfaire son personnage de victime de la « haine partisane d'une gauche totalitaire », il déclare qu'il ne veut pas « finir comme Ben Barka ».

Pologne

Le président Walesa

Un an après Vaclav Havel en Tchécoslovaquie, un deuxième leader populaire de l'opposition au communisme, qui n'est pas un homme politique professionnel, accède au pouvoir. Le 9 décembre, au terme du second tour de scrutin, le petit électricien des chantiers navals de Gdansk devient le premier président polonais démocratiquement élu depuis la Seconde Guerre mondiale.

Activiste dès les années 70, ce qui lui vaut d'être licencié en 1976, M. Lech Walesa accède à la célébrité en août 1980, lorsqu'il saute le mur d'enceinte des chantiers Lénine pour prendre la tête d'une grève qui débouche sur les accords de Gdansk et la création du premier syndicat libre du monde communiste, Solidarité. Interné après le coup d'État du général Jaruzelski en décembre 1981, libéré en novembre 1982, il continue de diriger clandestinement le syndicat dissous.

Quand, en septembre 1988, le pouvoir se décide à dialoguer avec l'opposition, c'est tout naturellement Walesa qu'il trouve comme interlocuteur. En juin 1989, Solidarité remporte tous les sièges que lui permet d'obtenir la loi qui régit les premières élections semi-démocratiques. Le régime communiste ne s'en relèvera pas. En août, M. Tadeusz Mazowiecki, membre de Solidarité, forme le premier gouvernement non communiste dans un pays de l'Est. Dès lors, le fossé se creuse entre les intellectuels de Solidarité, qui se débattent avec les difficultés du pouvoir à Varsovie, et le syndicaliste de Gdansk, qui exige l'accélération des changements.

La surprise du premier tour de l'élection présidentielle, le 25 novembre, n'est pas que Walesa arrive en tête avec 39,96 % des suffrages. Elle réside dans la deuxième place de M. Stanislaw Tyminski : avec 23,10 % des voix, il barre la route du second tour à M. Mazowiecki, qui n'obtient que 18,08 % des suffrages. Inconnu des Polonais il y a encore quelques mois, Tyminski est un mystérieux « oncle d'Amérique » de retour d'exil. Cet adepte d'un libéralisme économique radical qui aurait fait fortune de façon obscure au Pérou et au Canada séduit les Polonais en leur promettant... le Pérou. Nombre d'entre eux acceptent de lui faire crédit.

Tandis que Solidarité fait soudain front derrière Walesa, ce dernier adopte un discours plus raisonnable. Le 9, il remporte 75,25 % des voix contre 24,75 % à son adversaire peu à peu discrédité. Tout lui reste à faire, à commencer par panser les plaies dans son propre camp.

Lettres

L'homme qui regardait

Alberto Moravia est mort comme tout écrivain rêve de mourir, en ouvrant le premier exemplaire de sa biographie que son éditeur venait de lui apporter dans son appartement de Rome, ce 26 septembre. Il avait 82 ans.

« Nous sommes comme les fleurs : nous naissons, nous mourons et puis basta » affirmait-il. Mais aussi : « Le temps n'existe pas. La personnalité n'existe pas. Ma vie aurait pu être vécue par une autre personne. » Tout Moravia est là, entre ce prosaïsme, dont certains accusent son style d'être empreint, et ce détachement, qui fait de sa prose l'une des plus lucides du siècle.

Né dans une famille de la bourgeoisie romaine, Moravia est atteint, très jeune, de tuberculose et passe son adolescence en sanatorium. Publiés en 1929, les Indifférents lui attirent une célébrité immédiate. L'un des rares écrivains antifascistes de sa génération, il passe les années de guerre dans la clandestinité. Jusqu'à sa mort, il se partagera entre l'écriture et le journalisme. En 1953, il fonde la revue Nuovi Argumenti. Auteur d'une quarantaine de livres, Moravia est l'écrivain italien le plus lu dans le monde.

Peintre d'une société devant laquelle il ressentait le plus grand désarroi, Moravia passe pour s'être enfermé dans la description de la décadence bourgeoise à travers la vanité des sentiments. Cette réalité décrite n'est que le reflet d'une profonde angoisse qu'il titrera successivement : les Indifférents, la Désobéissance, le Conformiste, le Mépris, l'Ennui ou, plus simplement, l'Homme qui regarde. L'angoisse de Moravia trouvera dans le sexe son terrain d'expression favori. C'est à travers lui qu'il regardera le monde qui l'entoure pour faire apparaître sa « réelle inexistence ». « La conformation même des deux sexes (...) me paraissait indiquer l'absurdité de l'acte sexuel », écrit-il dans l'Ennui. Cela n'empêchera pas cet amoureux, qui déclare aussi qu'« il n'existe pas d'amour sans sexe », d'épouser en troisièmes noces une très jeune femme, en 1986. Cette quasi-obsession pour la Chose le fera mettre à l'Index par le Saint-Office en 1952 et lui vaudra d'être traité de « vieil érotomane » par ceux que choque le réalisme pratiqué sous cet angle.

Se sentant homme d'action sans savoir comment agir, l'auteur du premier roman existentialiste avant Sartre et Camus refusait l'appellation d'écrivain engagé. Compagnon de route du parti communiste, éphémère député européen, militant pacifiste et antinucléaire, il se savait réduit, en fait d'action, à pousser « toujours le même cri » d'angoisse et d'amour mêlé.

Liban

La fin d'un monde

Les réformes institutionnelles prévues par l'accord de Taëf réalisées, le régime du président Elias Hraoui se devait d'éliminer ce réduit « hors-la-loi » qui bafouait son autorité. Assurée de la « compréhension » occidentale de par sa présence active dans le camp anti-irakien, la Syrie ne pouvait rêver moment plus propice pour effacer le dernier obstacle à son contrôle complet du pays. Cédant à la pression de cette double logique, le général Michel Aoun demande le 13 octobre à ses soldats d'obéir aux ordres des autorités. Le réduit chrétien a vécu.

Depuis le 11, des unités syriennes participaient au blocus du secteur chrétien instauré le 28 septembre par l'armée régulière et les miliciens chrétiens des Forces libanaises. Une offensive massive est déclenchée le 13 au matin. Réfugié à l'ambassade de France, le général chrétien réclame un cessez-le-feu qui lui est refusé. Après trois heures et demie d'intenses combats qui causent des centaines de morts, il se résout à mettre un terme au « bain de sang », sur les conseils pressants de l'ambassadeur de France. Alors que, les jours suivants, les autorités libanaises s'opposent au départ du général Aoun qu'elles veulent juger, le président François Mitterrand déclare le 15 que la garantie de son sort est « une question d'honneur pour la France ». En plus des pillages commis dans le réduit chrétien par les vainqueurs, les révélations d'exécutions sommaires de militaires chrétiens viennent ternir le soulagement ressenti après la fin des combats.

La rapidité de sa décision laisse un goût amer aux fidèles du général Aoun. Ils avaient été nombreux, en septembre 1988, à suivre le commandant en chef de l'armée, dauphin désigné du président Aminé Gemayel, qui n'était pas reconnu par les autorités musulmanes. Mais deux ans d'opérations militaires coûteuses et sans résultat avaient usé son crédit.

L'heure est aux règlements de compte. Le 21, Dany Chamoun, sa femme et deux de ses enfants sont assassinés à Beyrouth. À la tête du Parti national libéral et du Nouveau Front libanais, le fils de l'ancien président de la République soutenait le général Aoun mais était prêt au compromis. Sur l'inextricable échiquier politique libanais, nombre de dirigeants se sentent menacés.

Le gouvernement de M. Selim Hoss ne tarde pas à exploiter la chute du réduit chrétien. Le 24, il annonce l'évacuation de toutes les milices du Grand Beyrouth, afin d'y restaurer l'autorité de l'État. Entamée le 10 novembre, l'opération s'achève le 3 décembre. Après quinze ans de guerre, Beyrouth est officiellement réunifié. Sous la férule syrienne.

Monde

100 millions d'innocents

Réunir à New York, les 29 et 30 septembre, 71 chefs d'État et de gouvernement pour parler de l'enfance, en pleine crise du Golfe, passe pour une performance. C'est dire l'étendue du fossé qui sépare le monde des « grands » de celui des « petits ». Les enfants ne sont-ils pas les premières victimes des guerres ? Si les conséquences d'un embrasement du Proche-Orient sont difficiles à évaluer, le nombre d'enfants condamnés à mourir de maladies faciles à prévenir ou de malnutrition dans la décennie 90 a été estimé à 100 millions par le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) dans son rapport de décembre 1989. « C'est tout juste si le monde s'apercevra de leur disparition », déclare M. James Grant, directeur général de l'Unicef.

Après avoir fait sortir des oubliettes le projet de convention des droits de l'enfant, adopté le 20 novembre 1989 par l'Assemblée générale de l'ONU et ratifié à ce jour par une quarantaine d'États, dont la France, M. Grant a organisé ce sommet de l'enfance afin de définir des objectifs plus limités et plus concrets.

Les acquis des années 70 ont été balayés dans les années 80. Le bilan sanitaire a été évoqué. Le tableau est tout aussi sombre dans le domaine de l'éducation. Plus de 100 millions d'enfants en âge d'être scolarisés n'ont jamais fréquenté l'école. « Dans les 37 pays les plus pauvres, les dépenses scolaires par élève ont diminué de 25 % au cours de la dernière décennie », lit-on dans le rapport déjà cité de l'Unicef. La faute en incombe à tous. Aux pays sous-développés, où l'instabilité politique, la mauvaise gestion des fonds publics et des aides, la corruption et le poids des dépenses militaires rendent illusoire toute politique de l'enfance. Aux pays développés, qui continuent à être les bénéficiaires des échanges Nord-Sud. Au FMI et à la Banque mondiale, qui ont imposé aux pays pauvres des plans de redressement économique dont les budgets sociaux sont les premiers à faire les frais. Sous la pression de l'Unicef, les organismes financiers internationaux ont depuis peu accepté de prendre en compte le taux de mortalité infantile dans l'évaluation du sous-développement.

Le 30, les « grands » adoptent une déclaration « en faveur de la survie, de la protection et du développement des enfants ». Ils s'engagent à mettre en œuvre un plan d'action en dix points qui prévoit, notamment, de réduire d'un tiers le taux de mortalité des enfants et de moitié le nombre des victimes de la malnutrition d'ici à la fin du siècle. Le texte aborde aussi les problèmes de la santé maternelle, de l'alphabétisation, de la drogue, des enfants dans la guerre et de l'environnement. Mais aucun engagement financier n'est pris. Le coût annuel d'un programme destiné à prévenir la grande majorité des décès d'enfants dans la décennie à venir s'élève à 2,5 milliards de dollars. C'est ce que le monde débourse chaque jour dans le domaine de l'armement.

Le mois de Claude Michelet

Le ciel de juillet et d'août fut tellement pur et vide de tout nuage que personne ne vit arriver la tornade. Seuls quelques rares observateurs avaient décelé les signes avant-coureurs de l'orage qui déferla sur les campagnes dès les premiers jours de septembre. Il couvait depuis des mois.

Déjà, en juillet, parce que d'aucuns, dans l'un ou l'autre ministère, avaient cru bon ouvrir nos frontières à la viande des pays de l'Est et de la Nouvelle-Zélande, les premières manifestations paysannes avaient éclaté dans quelques sous-préfectures. Mais qui s'intéresse à ces coups de fièvre alors qu'il fait si bon barboter dans l'eau tiède des plages ou sommeiller à l'ombre d'un parasol ? Car le beau temps n'a pas la même valeur pour tous. Pour les estivants − et c'est bien normal −, plus il fait chaud et beau, meilleures sont les vacances. Mais pour ceux qui attendent la pluie, car leurs récoltes s'étiolent de jour en jour, le ciel bleu devient vite un cauchemar. Et pour les éleveurs, dont les bêtes maigrissent à vue d'œil, le soleil éclatant apparaît comme une malédiction. Alors si, de surcroît, les pouvoirs publics s'en mêlent pour casser les prix de vente − ou du moins ne font rien pour qu'ils restent décents −, c'est la rage qui vous empoigne.

Et les campagnes s'ébrouent, et la grogne monte. Et les actions − légitimes mais parfois trop violentes, maladroites et excessives, donc condamnables − se multiplient, affolent les élus, agacent les vacanciers, énervent les consommateurs qui ne comprennent pas pourquoi la chute des cours de la viande, dont on leur rebat les oreilles, n'est jamais affichée à l'étal du boucher...

Il est vrai que tout est beaucoup plus grave qu'une sécheresse, fût-elle catastrophique. Et que, si celle-ci catalysa la colère des agriculteurs, elle n'en fut pas l'instigatrice. Car les aléas météorologiques font partie du métier de la terre et les paysans s'en accommodent depuis des millénaires. En revanche, ils savent que d'autres graves problèmes restent entiers ; aussi, demeurent leur angoisse, leur colère. Car, s'ils n'ignorent pas qu'aux mauvaises saisons succèdent les bonnes, ils savent surtout que leur avenir est de plus en plus sombre, géré contre leur gré, organisé sur la disparition des deux tiers d'entre eux. Et leur déception est immense.

Voici trente ans, on leur a dit : « Vive l'Europe ! » Ils en sont devenus, et de loin, les premiers producteurs et, paradoxalement, les moins biens payés ! Aujourd'hui, on leur dit toujours : « Vive l'Europe ! » Mais on fait tout pour que le plus grand nombre d'entre eux en soit à jamais exclu, du moins en tant qu'agriculteurs ! Alors, ils se sentent floués, bernés par tous ceux qui, à Bruxelles, Strasbourg ou ailleurs, sont sensés les défendre et qui, en fait, souvent par incompétence, parfois par idéologie, quelquefois par calcul, se préparent à faire un désert de la France rurale. Car nous en sommes là. Sur le million d'agriculteurs encore en activité, près de 400 000 sont aux abois, voire à l'agonie. Depuis dix ans, et dans l'indifférence générale, 82 fermes disparaissent chaque jour en France... Et ce n'est pas fini !

Le plus grave est qu'il est presque certain que demain, avec ou sans sécheresse, mais poussés par un souffle de désespoir, éclateront de nouveaux orages dans le monde paysan. Et cela durera jusqu'au jour où, vidées de leurs forces et de leurs substances, désertes, les campagnes de France seront ensevelies sous un grand et définitif silence.

Claude Michelet

France/Iran

L'enjeu

Certains terroristes sont plus encombrants derrière des barreaux qu'en liberté. Le 27 juillet, le président François Mitterrand décide d'exercer son droit de grâce au bénéfice d'Anis Naccache et de ses quatre complices.

Le 18 juillet 1980, à Neuilly, les cinq hommes s'introduisaient dans l'immeuble où résidait M. Chapour Bakhtiar, dernier Premier ministre de l'ex-chah d'Iran, réfugié en France. Ils se trompaient d'appartement, tuaient une voisine ainsi qu'un policier et en blessaient un autre grièvement avant d'être maîtrisés. Cette fois, les policiers veillaient à ce que la raison d'État n'empêche pas que justice soit rendue aux victimes, comme elle l'avait fait lors de la fusillade à l'ambassade d'Irak en 1978.

L'intellectuel libanais devenu islamiste militant après s'être converti au chiisme, l'ami personnel du fils de l'iman Khomeyni, allait vite devenir un enjeu des relations entre Paris et Téhéran. Dès 1984, la libération de Naccache, condamné à la réclusion perpétuelle, constituait l'une des exigences des terroristes proche-orientaux agissant contre des intérêts français. De leur côté, après la mort de Khomeyni, les « radicaux » iraniens n'allaient pas manquer de rappeler ce préalable aux « modérés », partisans d'une « ouverture » vers l'Occident.

À partir de 1986, l'hypothèse de la grâce de Naccache en échange de la libération des otages français au Liban était régulièrement évoquée par le Premier ministre Jacques Chirac et par le président de la République, pour être toujours repoussée. En 1988, la libération de MM. Marcel Carton, Marcel Fontaine et Jean-Paul Kauffmann ne résultait pourtant, selon le ministre de l'Intérieur Charles Pasqua, d'aucun marchandage. Les autorités iraniennes démentaient cette version en accusant la France, à l'occasion de la visite réconciliatrice de M. Roland Dumas à Téhéran en janvier 1989, de n'avoir pas tenu parole. Sans apparaître comme un obstacle insurmontable à la complète normalisation des relations franco-iraniennes, l'affaire Naccache pesait sur le règlement du contentieux financier entre les deux pays, ainsi que sur la réalisation des contrats juteux signés par plusieurs entreprises françaises en Iran.

Dès le 28, la libération de Naccache, ajoutée à l'absence de mesure de grâce collective à l'occasion du 14 juillet, entraîne des mouvements de protestation dans les prisons françaises, qui durent jusqu'au 1^er août.

Canada

La crise du golf

Ils ne sont plus que 550 000 au Canada dont ils ne représentent que 3 % de la population. Ils défendaient autrefois leur pays contre l'invasion des premiers pionniers. Aujourd'hui, ils revendiquent en vain la restitution de la terre de leurs ancêtres. Le 26 septembre, les derniers Indiens Mohawks, retranchés depuis six mois dans une pinède de la banlieue nord de Montréal, se rendent aux forces de l'ordre.

Le projet d'extension du golf municipal d'Oka prévoyait de raser une pinède considérée par les Mohawks comme sacrée. Certains de leurs ancêtres y sont enterrés. Les Mohawks les plus extrémistes, renforcés par des « guerriers » venus des États-Unis pour défendre des intérêts plus douteux, ont alors décidé de défendre le petit bois les armes à la main. Après plusieurs semaines de vaines négociations, le maire d'Oka a fait appel aux forces de l'ordre. Dans l'opération maladroite menée le 11 juillet, un policier a trouvé la mort.

Les Mohawks sont à la pointe des luttes territoriales engagées par les Amérindiens du Canada. Dans leurs réserves, les conditions de vie sont déplorables, la natalité galopante, les perspectives de développement nulles. Les anciens de l'« Assemblée des premières nations » avaient pourtant prévenu le gouvernement : « Notre génération est la dernière à négocier pacifiquement. »

La mort du policier a donné à l'affaire une dimension nationale. Tandis que le gouvernement du Québec saisissait les autorités fédérales, les « frères » Mohawks de la réserve de Kahnawake, située au sud de Montréal, bloquaient un pont enjambant le Saint-Laurent, au grand dam des milliers de banlieusards qui l'empruntaient chaque jour. En réaction, des manifestations racistes ne tardaient pas à être organisées par les riverains blancs. Faisant monter les enchères, les « guerriers » exigeaient la « souveraineté » de leur « nation ». De son côté, le gouvernement d'Ottawa n'acceptait d'entamer des discussions qu'une fois l'ordre rétabli. Les négociations s'enlisaient. L'armée, équipée de blindés, resserrait progressivement son étau. Les familles quittaient peu à peu les zones retranchées. Après le démantèlement des barricades de Kahnawake, une vingtaine de « guerriers » armés jusqu'aux dents résistaient encore à Oka, avant de se rendre à leur tour.

Entre-temps, le gouvernement fédéral avait racheté le terrain revendiqué par les Mohawks. D'autre part, le Premier ministre Brian Mulroney s'est engagé à accélérer l'étude des revendications territoriales de tous les Amérindiens.