Europe : histoire
1. L'Antiquité
1.1. L'héritage gréco-romain
Pour les Grecs, le mot « Europe » n'a qu'un sens géographique : il désigne l'un des trois continents qui constituent l'Univers (Hérodote, ve siècle avant J.-C.). Pour les Grecs et les Romains, le clivage se fait entre le monde grec ou romain, qui englobe des régions européennes, asiatiques et africaines, et le monde barbare. Il n'existe aucune conscience européenne et le monde gréco-romain reste centré sur la Méditerranée. En revanche, ce passé constituera l'un des éléments fondamentaux de la culture de l'Europe en construction à partir du Moyen Âge.
Au début du IIe millénaire avant J.-C., les Grecs s'établissent dans la région comprise entre la mer Égée et la mer Ionienne. Organisés en cités à partir du viiie siècle avant J.-C., ils se lancent dans la colonisation des côtes de la mer Égée (Thrace), de la mer Noire (Crimée) et de la Méditerranée (Sicile, Italie, Gaule du Sud et Espagne). La civilisation hellénique connaît son apogée au ve siècle avant J.-C.
Les Grecs ont donné un essor déterminant à la philosophie, aux sciences et aux arts. La culture grecque, assimilée par les Romains, qui dominent la Grèce à partir de 146 avant J.-C., est diffusée par eux. Rome organise un vaste État, qui devient au ier siècle après J.-C. un empire dont toutes les régions sont romanisées : quelles que soient leurs cultures originelles, elles sont soumises à l'organisation militaire, politique et administrative romaine, fondée sur la cité. Le latin devient la langue unique de l'Europe romaine ; seules les régions de tradition grecque résistent à son expansion.
À partir des ier-iie siècles après J.-C., l'Europe est ainsi divisée en deux grands ensembles : l'Europe romaine et l'Europe du Nord et de l'Est, barbare aux yeux des Romains, peuplée de Celtes et de Germains. Ces derniers exercent une pression continue aux frontières de l'Empire. Le christianisme, attesté dès les années 50, ne prend son essor en Italie, en Gaule et en Espagne qu'au iiie siècle.
Aux ive-ve siècles, l'Europe connaît deux évolutions majeures : le partage de l'Empire romain en Empire d'Orient et Empire d'Occident, consacré en 395 à la mort de Théodose ; les invasions qui aboutissent à la disparition de l'Empire romain d'Occident en 476 et à la création de royaumes barbares.
Pour en savoir plus, voir les articles Histoire de la Grèce antique, Rome antique : des origines à 264 avant J.-C., Rome antique : entre 264 et 27 avant J.-C.
2. Le Haut-Moyen Âge
L'Europe qui se construit à partir du ve siècle est une Europe chrétienne. Poussant vers le nord, elle inclut nombre de régions qui n'avaient pas appartenu au monde gréco-romain. À partir des deux pôles majeurs qui se constituent, l'Empire byzantin, d'une part, la papauté et les Empires d'Occident (l'Empire carolingien puis le Saint Empire), d'autre part, se forment deux entités religieuses rivales : la Respublica christiana d'obédience romaine et l'Oikoumene (sphère d'influence) byzantine.
Pour en savoir plus, voir l'article Grand schisme d'Orient.
2.1. Les grandes migrations
Les années 500 à 1000 sont décisives pour la formation de l'Europe, car c'est alors que se fixent les peuples qui vont donner naissance aux différents États. Trois grands mouvements migratoires se produisent.
Les Germains
Commencée dès l'Antiquité, la poussée germanique se poursuit avec la domination anglo-saxonne sur l'Angleterre (ve-vie siècle), l'extension du domaine franc entre le vie et le viiie siècle, l'installation des Lombards dans la plaine du Pô.
Les Slaves et les Hongrois
À partir de leur premier habitat, situé probablement entre l'Elbe et la Vistule, les Slaves s'établissent après 580 au sud du Danube, submergent au viie siècle la péninsule balkanique et s'installent à l'ouest de l'Elbe, en Bohême, ainsi que dans les régions situées au-delà du Dniepr ; enfin, en 896, les Hongrois (ou Magyars) arrivent en Pannonie.
Les Vikings
Aux ixe et xe siècles, la majeure partie de l'Europe se trouve confrontée aux Vikings qui entreprennent raids, pillages, grand commerce et même colonisation après leur installation en Angleterre (Danelaw) et en France (Normandie).
2.2. La christianisation
Le christianisme s'est d'abord diffusé dans l'Empire romain. Après la disparition de celui-ci, il s'implante dans les régions du Nord et de l'Est, peuplées de Germains, de Slaves, de Hongrois et de Scandinaves. À la différence des autres royaumes germaniques (Wisigoths en Aquitaine et en Espagne, Lombards en Italie) qui ont embrassé l'arianisme, les Francs se convertissent au catholicisme (baptême de Clovis en 498 ou 499), ce qui permet à l'Église de jouer un rôle essentiel dans les nouvelles structures du monde barbare. La christianisation est à la fois œuvre religieuse et œuvre politique. Sur ce point, Byzance (→ Empire byzantin) et le monde latin se rejoignent. L'un et l'autre obtiennent la conversion des chefs des peuples qu'ils veulent christianiser et, par là même, les font entrer dans leur sphère d'influence.
Les principales étapes de cette christianisation sont :
– l'évangélisation de l'Angleterre et de l'Écosse par des missionnaires romains et celtes (fin du vie siècle) ;
– la progression du christianisme en Germanie à la fin du viie et au viiie siècle (Frise, régions à l'est du Rhin) puis la conversion des Saxons par Charlemagne ;
– l'évangélisation des Slaves de Grande-Moravie, des Serbes et des Bulgares par des missionnaires byzantins, et celle des Croates par des Francs au ixe siècle ; le baptême de Vladimir Ier à Kiev (988), qui fait entrer la Russie dans l'ère d'influence byzantine ;
– la création d'évêchés en Bohême, en Pologne et en Hongrie et la conversion des rois du Danemark et de Norvège au xe siècle, à la suite de l'œuvre missionnaire des chrétiens de Germanie.
À la même époque, l'islam naît et établit sa domination sur la Méditerranée orientale, s’étendant à l’ensemble du Maghreb d’où disparaît alors l’influence chrétienne laissée par un Tertullien ou un saint Augustin. À partir de là, il gagne également l'Europe lors de la conquête arabe de l'Espagne (711) sur des Wisigoths finalement convertis au catholicisme de même que les Lombards qui s’opposent alors aux Byzantins pour la domination de l’Italie ; cette dernière connaît également des incursions arabes, moins durables, aux ixe-xie siècles (→ Aghlabides et Fatimides en Sicile).
3. L'Europe en crise
Les xive et xve siècles sont des siècles de crise politique, économique et religieuse profonde. La peste noire de 1347-1353 décime tout d’abord la population européenne : de 88 millions en 1300, celle-ci passe à environ 60 millions au xve siècle.
La guerre de Cent Ans divise par ailleurs durablement le nord-ouest du continent, l’opposition entre les royaumes de France et d’Angleterre encourageant le développement du sentiment d’appartenance nationale (→ Jeanne d’Arc). Dans le Sud, Aragonais et Angevins s’affrontent en Italie où la papauté est quant à elle fortement affaiblie par le Grand schisme d’Occident (1378-1417).
En Europe orientale, ce sont les Slaves qui réagissent à l’expansion germanique vers l’Est (→ Drang nach Osten) : Polonais et Lituaniens mettent ainsi un terme à l’entreprise des chevaliers de l'Ordre teutonique (→ bataille de Grunwald, 1410). Et si la Reconquête chrétienne se poursuit dans la péninsule ibérique jusqu’à la prise du dernier réduit musulman avec la prise de Grenade en 1492 par les Rois catholiques, l’expansion des Ottomans qui a commencé dans les Balkans (→ bataille de Kosovo, 1389) se poursuit et met fin à l’Empire byzantin avec la chute de Constantinople en 1453.
L’Oikoumene disparaît alors, remplacée par l’orthodoxie grecque puis russe. Les frontières de l’Europe sont ainsi de nouveau redessinées au moment même où se déplacent celles du monde avec le début des grandes découvertes et la formation de nouveaux empires par le Portugal et l’Espagne.
4. L'équilibre européen après la Réforme
Dans une Europe qui a encore perdu son unité religieuse après la Réforme, s'affirment de nouveaux principes de régulation des relations entre les divers États. Désormais, pour empêcher la prépondérance d'une puissance sur les autres et pour maintenir l'équilibre européen, les États vont nouer ou rompre des alliances au gré des circonstances. C'est ainsi que, pour lutter contre Charles Quint, François Ier s'allie au sultan ottoman Soliman le Magnifique, ce qui scandalise ses contemporains.
Richelieu, lui, n'hésite pas non plus à engager la France aux côtés des puissances protestantes dans la guerre de Trente Ans. Et, afin de contrecarrer la politique des réunions de Louis XIV, les puissances européennes forment des coalitions. L'Europe devient un ensemble d'États souverains qui négocient entre eux, quelle que soit leur religion.
5. L'Europe des Lumières (1680-1789)
Cette période est marquée par la diffusion de la philosophie des Lumières, à laquelle adhèrent peu à peu les élites des différents pays. Élaborée dans l'Europe développée d'alors (France, Angleterre, Pays-Bas, Allemagne de l'axe rhénan), elle gagne le Centre et l'Est, où de nouvelles puissances (Prusse, Russie) se lancent dans des politiques volontaristes visant à rattraper leur retard.
Partout se répand une culture fortement influencée par les penseurs français. Sur le plan artistique, le baroque triomphe dans la plupart des pays catholiques, à l'exception de la France, où le classicisme l'emporte. La pensée scientifique, après les apports décisifs de Galilée et de Descartes dans les années 1620-1650, progresse à partir des années 1680 grâce à l'œuvre de Newton.
5.1. Le nouvel espace européen
Les régions que les conquêtes mongole et turque avaient coupées du reste de l'Europe sont de nouveau incorporées à cette dernière. La Hongrie et une grande partie de l'Europe danubienne sont libérées de la domination ottomane par l'Autriche, entre 1699 et 1718. Les Habsbourg dominent désormais l'État le plus vaste et le plus peuplé d'Europe. De son côté, la Russie, qui a commencé à s'ouvrir à l'Occident au xviie siècle, s'étend vers le sud aux dépens des Turcs et se transforme sous la férule de Pierre le Grand.
Dans cette Europe élargie, l'effacement de l'Espagne et de l'Italie se confirme, tandis que la France ne peut conserver sa prépondérance. Elle doit accepter en 1713 et en 1714 un nouvel équilibre entre les puissances (→ traités d'Utrecht et de Rastatt). Les Provinces-Unies sont par ailleurs distancées par l'Angleterre, qui entend renforcer sa prépondérance commerciale. Rivales, la France et l'Angleterre s'affrontent souvent de 1689 à 1815, non seulement en Europe mais aussi en Amérique et en Inde, tandis que la Prusse, l'Autriche et la Russie se concurrencent tout en se mettant d'accord pour s'étendre aux dépens des Ottomans et pour se partager la Pologne.
5.2. Le mouvement philosophique
Au nom de la raison, de la foi dans le progrès qui permettra le bonheur de l'humanité, les philosophes critiquent les croyances et les institutions traditionnelles. Ils acceptent en général l'existence de Dieu, mais ils récusent les dogmes et les Églises. Montesquieu, Voltaire, Rousseau et Diderot dominent le mouvement intellectuel, que l'on nomme « lumières » dans les différentes langues de l'Europe : enlighment en anglais, Aufklärung en allemand, illuminismo en italien.
La diffusion de ce mouvement intellectuel s'accélère après 1750 : y contribuent le philosophe écossais David Hume en Angleterre, Emmanuel Kant en Allemagne, Cesare Beccaria en Italie. Les livres, les journaux ainsi que les salons et les loges maçonniques répandent les conceptions nouvelles. Elles n'atteignent cependant que les élites, car l'Europe du xviiie siècle reste profondément celle de sociétés traditionnelles, cinq ou six fois séculaires à l'Ouest, encore plus archaïques au Sud et à l'Est.
5.3. Absolutisme et contrôle parlementaire
Les Bourbons développent en France un appareil gouvernemental et administratif centralisé. Les despotes éclairés d'Espagne (Charles III), de Prusse (Frédéric II), d'Autriche (Marie-Thérèse et Joseph II), de Suède (Gustave III), de Russie (Catherine II) sont les instigateurs d'un absolutisme légitimé par la raison. Ils renforcent la puissance de l'État centralisé en brisant les privilèges des corps intermédiaires (clergé, noblesse, parlements, diètes, corporations) et cherchent à favoriser le développement économique.
Seule l'Angleterre évolue vers une monarchie tempérée et un régime de type parlementaire après la révolution de 1689 et l'accession au trône des Hanovre (1714). Elle est donnée en exemple par les philosophes qui critiquent l'absolutisme et militent pour le respect des libertés.
6. L'Europe des nations (1789-1914)
La Révolution française a des répercussions dans toute l'Europe. Elle n'invente ni la nation ni le patriotisme, mais elle leur donne un nouvel essor. La réaction contre la domination napoléonienne entraîne également la montée des nationalismes. Après 1815, à l'Europe des souverains s'opposent les nations, qui s'engagent à plusieurs reprises dans des révoltes ou des révolutions qu'inspire le romantisme. Cette Europe, agitée par les revendications libérales, nationales et même sociales, s'assure la domination du monde par le peuplement et par l'emprise économique.
6.1. La Révolution française et l'Empire
La Révolution ne définit pas seulement les droits des citoyens de France, elle se veut universelle (→ déclaration des droits de l'homme, 26 août 1789). Elle bouleverse l'Europe par ses idées puis par la force. De 1792 à 1815, la guerre ne cesse d'opposer la France aux monarchies européennes. La Convention nationale proclame le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et, en premier lieu, à s'unir à la France. Au nom de ces principes, celle-ci crée des républiques sœurs. Son expansion est acceptée par les « patriotes » belges, rhénans, suisses.
En revanche, le Grand Empire de Napoléon, qui, à son apogée en 1811, englobe la moitié de l'Europe, suscite l'hostilité et des tenants de l'Ancien Régimeet des nationalités. L'Espagne, de 1807 à 1813, la Russie en 1812, la Prusse et la Hollande s'engagent dans de véritables guerres nationales pour leur libération. L'ordre monarchique est rétabli en 1815 par le congrès de Vienne, mais le nationalisme s'est généralisé à toute l'Europe.
6.2. L'essor des nations
L'Europe du congrès de Vienne est organisée selon les principes de la légitimité et de l'équilibre des puissances (le concert européen). Les monarchies connaissent cependant des régimes différents : régime parlementaire en Grande-Bretagne ; chartes ou Constitutions octroyées en France, aux Pays-Bas, en Suède et dans divers États allemands ; régimes autoritaires en Autriche, en Prusse, en Russie, au Danemark, dans les États italiens, en Espagne et au Portugal.
Cet ordre monarchique est menacé à plusieurs reprises par des vagues révolutionnaires : en 1830-1831 en France, en Belgique, en Italie et en Pologne. Le romantisme s'enflamme pour la libération des peuples opprimés, particulièrement pour la lutte des Grecs, qui obtiennent leur indépendance en 1830. Enfin, en 1848, les révolutions soulèvent la moitié de l'Europe puis sont réprimées. L'essor des peuples brisé, ce sont les États qui réalisent certaines aspirations nationales, l'unité italienne autour du royaume de Piémont-Sardaigne (1861), l'unité allemande autour du royaume de Prusse (1871).
Cependant, en 1871, bien des nations aspirent encore à leur libération : les Polonais, les Tchèques et autres peuples slaves de l'empire d'Autriche-Hongrie, les Serbes et les Bulgares encore dominés par les Turcs, les Finlandais, les Polonais et les Ukrainiens sous domination russe, les Irlandais sous la tutelle britannique. Cette même année, l'Alsace-Lorraine est annexée à l'Empire allemand. Les peuples des Balkans s'émancipent avec l'aide de la Russie, mais les puissances européennes freinent le processus (→ congrès de Berlin, 1878).
6.3. La domination du monde
De 1800 à 1900, la population européenne croît plus vite que le reste de la population mondiale. Passant de 200 millions à 400 millions, elle représente en 1900 le quart de la population mondiale, contre le cinquième en 1800. L'excédent de population va peupler les États-Unis, l'Amérique latine, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou l'Afrique du Sud. Par ailleurs, plusieurs millions d'Européens quittent momentanément les métropoles pour participer à l'administration ou à la mise en valeur des colonies. Ces émigrations, porteuses de la civilisation européenne, considèrent qu'elles ont pour mission de la répandre dans le monde entier.
À la veille de la Première Guerre mondiale, l'Europe est le continent dominant du point de vue économique, culturel et politique. Les puissances européennes se sont partagé le monde, hormis les colonies japonaises (Corée, Formose), américaines (Philippines) et les régions arabes intégrées à l'Empire ottoman. Quand elles n'exercent pas une tutelle coloniale, ces puissances imposent une domination impérialiste, fondée sur des rapports inégaux.
6.4. L'industrialisation
La croissance économique repose sur l'essor de l'industrie lié à la mise au point de nouvelles techniques et au développement du capitalisme. Celui-ci était apparu dès le Moyen Âge dans des secteurs limités. Il se généralise au xixe siècle : multiplication des banques, des organismes de crédit, création des sociétés par actions, rôle de l'État qui, dans certains pays, est à l'origine du développement industriel.
Un réseau dense de voies ferrées est construit en Europe de 1840 à 1880. La Grande-Bretagne, qui s'est lancée la première dans la révolution industrielle, demeure la première puissance économique, mais elle est concurrencée par l'Allemagne et les États-Unis dès la fin du siècle. Les investissements allemands, britanniques et français permettent la construction de voies ferrées dans le reste de l'Europe et l'industrialisation de la Russie (à partir de 1880). L'Europe reste cependant majoritairement rurale pendant tout le xixe siècle.
6.5. Démocratisation et radicalisation des nationalismes
Les principes libéraux se sont généralisés. L'Europe du Nord et du Nord-Ouest a opté pour le suffrage censitaire et l'a progressivement étendu. Le suffrage universel masculin est définitivement adopté en France (1875), en Italie (1912). Même des pays de tradition autoritaire se sont dotés d'assemblées représentatives (→ Reichstag en Allemagne, douma en Russie). Cependant, la plupart des régimes sont à la fois menacés sur leur droite et sur leur gauche.
La menace de la droite vient de tous ceux qui demeurent hostiles à ces évolutions : aristocraties terriennes d'Allemagne, d'Autriche-Hongrie et de Russie, papauté qui refuse de reconnaître l'État italien. La menace de la gauche vient du socialisme et des mouvements révolutionnaires (syndicalisme révolutionnaire, anarchisme).
Mais c'est l'exaltation des sentiments nationaux qui engendre les principales tensions, d'autant plus dangereuses que les grandes puissances ont formé des alliances : Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie), Triple-Entente (France, Grande-Bretagne et Russie). Ainsi, le conflit qui éclate en 1914 devient rapidement européen puis mondial.
7. Du déclin à l'Union européenne (depuis 1914)
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'Europe, appauvrie et fragilisée, perd son leadership, tandis que les États-Unis s'affirment comme la première puissance économique mondiale. Son déclin s'accélère avec les dévastations de la Seconde Guerre mondiale. Elle devient l'un des principaux théâtres de la guerre froide que se livrent de 1945 à 1990 les deux superpuissances que sont devenus les États-Unis et l'URSS, et renonce à ses colonies (→ décolonisation).
L'Europe, dont le poids démographique diminue considérablement, connaît cependant un remarquable développement économique, du moins dans sa partie occidentale. La marche vers l'unité, poursuivie depuis 1949, progresse dans l'Europe de l'Ouest, tandis qu'à partir de 1989-1990 est amorcée une nouvelle coopération avec les États de l'Europe centrale et orientale libérés du communisme. Toutefois, le mouvement des nationalités reprend, entraînant la création de nouveaux États et la naissance de conflits comme en Yougoslavie.
7.1. L'après-Première Guerre mondiale et la vague révolutionnaire
Cette guerre qui a fait plus de 10 millions de morts entraîne la disparition des Empires austro-hongrois, russe et ottoman. La nouvelle Europe qu'organisent les traités doit compter avec les États-Unis, sans l'aval desquels rien ne peut plus se faire (respect des quatorze points de Wilson). De nouveaux États indépendants sont créés : Pologne, Tchécoslovaquie, royaume des Serbes et des Croates. Cependant, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'a qu'une application limitée. Si, avant la guerre, 60 millions d'Européens appartenaient contre leur gré à tel ou tel État, ils sont encore 30 millions dans l'Europe d'après guerre. L'Allemagne, la Russie soviétique, la Hongrie et la Bulgarie réclament d'ailleurs la révision des traités.
À la suite de la révolution russe d'octobre 1917, une poussée révolutionnaire a lieu à partir de 1918-1919 : révolution spartakiste en Allemagne (→ spartakisme), république des conseils en Hongrie, grèves et manifestations en France et en Italie. L'Internationale communiste est créée à Moscou en 1919 pour diriger la révolution mondiale, mais celle-ci ne peut s'étendre hors de l'État que créent les soviets en 1922 : l'URSS. Un peu partout des partis communistes affiliés à la IIIe Internationale voient le jour. Les démocraties libérales (Allemagne, France, Grande-Bretagne) résistent à cette poussée révolutionnaire et restaurent progressivement la prospérité matérielle. Dans le reste de l'Europe méditerranéenne et orientale, à l'exception de la Tchécoslovaquie, des régimes autoritaires ou semi-autoritaires détiennent le pouvoir.
7.2. Crise économique et fascismes
L'Europe des années 1920 devient financièrement très dépendante des États-Unis. L'Allemagne en particulier contracte de très grosses dettes afin de payer les réparations de guerre qu'elle doit à la France et de financer son essor économique. Aussi la crise de 1929 a-t-elle des répercussions sévères en Europe, où elle entraîne une très forte montée du chômage, qui atteint son paroxysme en Allemagne et en Grande-Bretagne en 1933.
Cette crise favorise l'accession des nazis au pouvoir (1933). Les régimes autoritaires se renforcent et se multiplient : fascisme en Italie, régime de Franco en Espagne (1939), stalinisme en URSS. Les démocraties, confrontées à de graves crises internes, notamment la France, profondément divisée au lendemain du Front populaire (1936), et la Grande-Bretagne, laissent Hitler opérer une série de coups de force.
7.3. La Seconde Guerre mondiale et la division de l'Europe
À la fin de 1941, l'Allemagne hitlérienne domine l'Europe, à l'exception de la Grande-Bretagne et de quelques États neutres tels que l'Espagne, le Portugal, la Suède et la Suisse. Elle met en œuvre un programme d'extermination des Juifs, dont environ 6 millions périssent (→ la Shoah). Les États-Unis et l'URSS engagent d'énormes forces pour la libération de l'Europe (1943-1945). La guerre cause la mort de 30 millions d'Européens et les destructions matérielles sont énormes. À son issue, les frontières en Europe centrale et orientale sont profondément modifiées : expansion de l'URSS, report de la frontière polono-germanique sur l'Oder et la Neisse (→ ligne Oder-Neisse). Dans tous les pays que les forces soviétiques ont libérés sont créées de 1945 à 1949 des démocraties populaires qui constituent le glacis soviétique.
7.4. Les deux Europes
Deux camps se constituent : celui des démocraties libérales pluralistes et celui des démocraties populaires à économie centralisée et à régime autoritaire. L'Europe occidentale et méditerranéenne se dote de diverses organisations de coopérations économique (Communautés européennes) et militaire (→ OTAN). Instituée en 1957, la CEE regroupe d'abord six pays : République fédérale d'Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, puis est rejointe par le Danemark, la Grande-Bretagne et l'Irlande (1973), par la Grèce (1981) puis par l'Espagne et le Portugal (1986).
L'Europe de l'Est s'est également dotée de diverses organisations de coopération : Kominform (1947-1956), Comecon et pacte de Varsovie (1955-1991).
La guerre froide comporte des phases de détente. Celle qui s'étend des années 1963 à 1978 est marquée par la normalisation des rapports entre l'Est et l'Ouest : reconnaissance mutuelle des deux Allemagnes (1972), Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (Helsinki, 1975). À l'Ouest, les économies allemande et italienne se redressent rapidement et la France connaît trente ans de croissance continue (les Trente Glorieuses de 1945 aux lendemains du choc pétrolier de 1973). En dépit de la crise économique qui se développe dans les années 1970-1990, l'Ouest acquiert une avance considérable sur l'Est, dont les économies stagnent.
Pour en savoir plus, voir l'article la crise des années 1970-1990.
8. Vers une nouvelle Europe
8.1. La chute du communisme et l'effondrement de l'URSS
À la fin des années 1980, la disparition de l'Empire soviétique provoque une recomposition générale de la carte politique de l'est du continent. Plusieurs États retrouvent leur indépendance (pays Baltes). Certains – Biélorussie, Moldavie, pays du Caucase, Ukraine – ne l'avaient jamais réellement connue. Il n'est guère étonnant que ces nouvelles nations, sans culture politique, depuis toujours éloignées des centres de décision, connaissent une transition délicate.
Bien qu'atypique, l'exemple de la Biélorussie, où le président Loukachenko a rétabli les symboles communistes, tout en menant une politique autoritaire au service de son rêve grand-russe, témoigne du désarroi de cette Europe orientale en cours de constitution. D'autres, à l'image de l'Allemagne, réunifiée en 1990, retrouvent rapidement leur place « naturelle » en Europe, le réapprentissage de la démocratie parlementaire se faisant sans heurts excessifs : l'alternance, en permettant le retour de plusieurs néocommunistes aux affaires (Bulgarie, Pologne, Hongrie), montre que les anciennes élites dirigeantes respectent les nouvelles règles politiques.
8.2. L'éclatement de la Yougoslavie
Sur le territoire des Empires austro-hongrois et ottoman, les vieilles questions nationales refont leur apparition. Résolues pacifiquement lors de la partition de la Tchécoslovaquie, elles ramènent la guerre sur le continent à la suite de l'éclatement de la Yougoslavie, notamment en Bosnie-Herzégovine et soulignent l'impuissance de l'Union européenne à prévenir les conflits. Les accords de Dayton de novembre 1995 rétablissent une paix précaire sans mettre fin aux visées nationalistes d'une « Grande Serbie ». Ainsi, la répression violente infligée par Slobodan Milošević aux Albanais du Kosovo (1998-1999) entraîne son pays dans un nouveau conflit et pousse l'OTAN à avoir recours à la force au printemps 1999. Si la chute de Milošević (2000) permet la réintégration de la République fédérale de Yougoslavie (RFY) dans le concert des nations, le rétablissement de la stabilité dans les Balkans demeure durablement au cœur des préoccupations internationales.
À la demande de l'UE, le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est est lancé lors du sommet de Sarajevo dès juillet 1999. Des solutions pacifiques sont élaborées au fur et à mesure que surgissent les crises : la Macédoine est premier pays de la région à signer un Accord de stabilisation et d'association (ASA) en 2001 ; en 2003, la formation d'une éphémère Union de Serbie-et-Monténégro prévoit pour chacun de ses membres la possibilité à court terme d'organiser un référendum d'autodétermination. La même année, le sommet européen de Thessalonique affirme solennellement la vocation de tous les pays des « Balkans occidentaux » (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie) à rejoindre l'Union européenne.
8.3. L'élargissement de l'Union européenne
Celle-ci connaît, en 2004 et 2007, un élargissement substantiel vers les pays d'Europe centrale et méridionale. En 2008, son indépendance à peine proclamée, le Kosovo manifeste d'emblée sa volonté d'y être admis. Toutefois, la succession de ces élargissements, et notamment, l'éventuelle intégration de la Turquie soulèvent de nombreuses interrogations sur les limites du projet communautaire et confrontent les instances européennes à de nouveaux défis. Les adhésions récentes de la Roumanie et de la Bulgarie sont ainsi critiquées en raison des lenteurs des réformes, notamment en matière de lutte contre la corruption, tandis que les atteintes à l’État de droit en Hongrie alertent le Parlement européen et le Conseil de l’Europe.
L’UE maintient toutefois sa politique d’élargissement : tandis que la Croatie en devient le 28e membre en juillet 2013, des négociations en vue de leur accession sont ouvertes avec l’ancienne république yougoslave de Macédoine, le Monténégro et la Serbie, malgré leur instabilité politique et juridique encore forte. Parallèlement, le « partenariat oriental » avec d’anciennes républiques soviétiques (Géorgie, Moldavie, Ukraine) est lancé, mais au risque d’une détérioration des relations avec la Russie, qui, de son côté, tente de mettre en place son projet d’« union eurasiatique ». La crise russo-ukrainienne en 2014 marque à cet égard un tournant.
8.4. L’identité européenne en question
La progression de l’euroscepticisme et des souverainistes – victoire du « non » en France et aux Pays-Bas sur le premier projet de traité constitutionnel en 2005, abstentionnisme croissant aux élections européennes, de 38 % en 1979 à 57 % en 2014 – va de pair avec un repli identitaire et xénophobe dans plusieurs pays d’Europe – France, Autriche, Suisse, Pays-Bas, Italie, Hongrie, et même des pays scandinaves « modèles » d’intégration comme le Danemark, la Suède, la Finlande et la Norvège –, où se développent des mouvements nationalistes et populistes d’extrême droite.
Les élections européennes de mai 2014 confirment et accentuent ces tendances. Aux eurosceptiques s’ajoute une « europhobie » plus ou moins affirmée selon les pays.
C’est particulièrement le cas en France avec la performance électorale du Front national (24,8 % des voix et 24 sièges sur 74), au Royaume-Uni avec le parti de l’Indépendance du Royaume-Uni (UKIP, 24 députés sur 73 avec 26,7 des suffrages) ainsi qu’au Danemark (parti du Peuple danois, 26,6 % et 4 sièges sur 13). Ces formations, dont les programmes et l’idéologie ne sauraient cependant être confondus, arrivent ainsi toutes en tête de ce scrutin.
L’évolution des rapports de force politiques est variable et spécifique à chacun des États concernés. Ainsi, par exemple, un reflux relatif de l’extrême droite s’observe aux Pays-Bas alors que le FPÖ autrichien (19,7 %) s’enracine dans l’un des pays les plus prospères de l’UE. En Italie, le récent mouvement protestataire « Cinq étoiles », récolte 21 % des suffrages, tandis que, malgré la détérioration de leur situation économique et sociale, l’Espagne et le Portugal échappent à cette vague populiste. Par ailleurs, l’euroscepticisme commence même à poindre outre-Rhin autour de la nouvelle formation Alternative pour l’Allemagne (7 %).
Quant aux pays d’Europe centrale et orientale, ils se caractérisent surtout par une abstention toujours très élevée.
La percée des différentes formations europhobes semble s’expliquer en grande partie par des enjeux et des motivations d’ordre national qui éclipsent les questions européennes alors que celles-ci souffrent d’une publicité défaillante et d’une transparence limitée. L’UE peut dès lors servir d’autant plus facilement d’utile bouc émissaire dans le contexte d’une mondialisation économico-financière semblant incontrôlable et, pour beaucoup, menaçante.
Cette europhobie s’exprime de façon retentissante au Royaume-Uni – dont les relations avec Bruxelles ont souvent été tendues – lors du référendum du 23 juin 2016. Une majorité d’électeurs (51,9 %) s’étant prononcée en faveur de la sortie de leur pays, le « Brexit » ouvre une crise sans précédent au sein de l’Union européenne et une brèche lourde d’incertitudes quant à son avenir.
L’influence électorale des différents partis d’extrême droite au scrutin de juin 2019 reste contenu, alors même que le taux de participation atteint 50,6 % en moyenne contre 42,6 % en 2014. Si la question migratoire, à laquelle l’UE tente difficilement d’apporter une réponse coordonnée, est exploitée par ces formations avec plus ou moins de succès, les préoccupations environnementales face au réchauffement climatique s’expriment par une poussée des partis écologistes. Ces deux tendances ressortent notamment des élections en France (23,3 % pour le Rassemblement national (ex-FN) ; 13,4 % pour Europe Ecologie-Les Verts), en Allemagne (11 % pour l’AFD ; 20,5 % des voix pour les Grüne), en Belgique (11,6 % pour le Vlaams Belang ; 15 % pour Ecolo et Groen), en Autriche, en Finlande, en Suède ou, dans une certaine mesure, en Italie, gagnée par l’euroscepticisme depuis l’accession au pouvoir en 2018 de la Ligue de Matteo Salvini – dont la popularité croissante se confirme avec plus de 33 % des voix – et du mouvement « Cinq étoiles » (17 %). Au Royaume-Uni, le « parti du Brexit » de Nigel Farage prend la succession de l’UKIP en triomphant avec 30,7 % des voix devant les Libéraux-démocrates pro-européens (19,7 %) tandis que le parti vert devance les conservateurs avec près de 12 % des suffrages.
Dans les pays d’Europe centrale, où la participation est également en hausse (notamment en Roumanie et en Pologne) et où l’écologie n’en est encore qu’à ses balbutiements, l’ancrage des partis eurosceptiques ou nationalistes est plus particulièrement net en Hongrie et en Pologne – dont les gouvernements nationaux-conservateurs sont confortés, alors que leurs relations avec l’UE restent tendues en raison de leurs dérives autoritaires – mais aussi, dans une moindre mesure, en République tchèque et en Slovaquie.