la crise de 1929
La plus grave crise économique du xxe siècle, qui, provoquée par le krach boursier de Wall Street aux États-Unis le 24 octobre 1929, se propagea au monde entier, l'entraînant dans une décennie de récession marquée une augmentation massive du chômage et de la misère, mais également par de profondes transformations sociales et politiques.
1. Introduction
1.1. Des signes avant-coureurs
On fait commencer la Grande Dépression des années 1930 au « krach », c'est-à-dire à l'effondrement des valeurs qui se produit à la Bourse de New York, Wall Street, le « jeudi noir » 24 octobre 1929. En réalité, la crise est précédée de signes avant-coureurs : aux États-Unis, l'immobilier s'essouffle en 1926, l'automobile, au début de 1929. L'ascension du marché des valeurs, entre 1925 et 1929, crée un temps l'euphorie : mais l'expansion boursière ne concerne qu'une minorité d'Américains, et les hausses, spéculatives, ne correspondent pas à des richesses réelles.
Le krach n'est pas cause de la crise : il sert d'occasion à la résolution d'une situation dangereuse. Étant donné le poids économique des États-Unis (45 % de la production industrielle mondiale), la dépression se communique à toutes les économies par le rapatriement des investissements et le ralentissement du commerce international.
1.2. Une extension progressive mais totale
Dans l'année 1930, tout le Nouveau Monde, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont atteints. Les États cessent leurs paiements, en or, déprécient leur monnaie. Les pays « neufs », ceux qu'on appellerait « en voie de développement », sont les plus pénalisés : ils tirent leurs revenus d'une monoculture, qui ne trouve plus à s'exporter. L'Europe, et surtout la France, résiste plus longtemps. Cependant, en mai 1931, la fermeture de la Kreditanstalt, le plus important établissement bancaire viennois, marque la fin de la rémission.
À la fin de 1932, 40 millions de chômeurs complets sont recensés dans le monde industrialisé ; cela rend dérisoires les statistiques sur la baisse du coût de la vie – les prix s'étant effondrés. En 1935, le commerce mondial est à moins de 40 % de ce qu'il était en 1928.
1.3. L'une des causes principales de la Seconde Guerre mondiale
La crise modifie les mentalités : elle explique une chute de natalité qui, en Australie et en Allemagne, avoisine les 20 %. Elle entraîne la remise en cause du libéralisme économique et politique et la recherche de solutions neuves. Ces solutions sont modérées dans les démocraties, aux États-Unis ou en France, où la mode est à la planification ; mais, en Allemagne, les chômeurs fournissent des adhérents aux délires totalitaires nazis. La crise, ainsi, devient l’une des causes principales de la Seconde Guerre mondiale.
2. La crise boursière ou le krach de Wall Street
2.1. La spirale de l'offre et de la demande
Le mercredi 23 octobre 1929, deux millions et demi d'actions sont vendues à Wall Street, la Bourse de New York. Les ventes ont commencé le samedi précédent, conséquence, peut-être, du relèvement du taux d'escompte de la Banque d'Angleterre, qui attire les fonds européens. Les cours baissent, détruisant les illusions d'une opinion qui croyait à leur hausse continue : l'indice des valeurs n'a-t-il pas quadruplé en quatre ans, doublé dans l'été 1929, et l'Amérique n'est-elle pas en pleine prospérité ? Des courtiers, des banques, des entreprises ont prêté de l'argent à vue (c'est-à-dire avec droit de réclamer à tout moment remboursement) à des spéculateurs, qui ont acheté des actions à crédit, comptant sur la hausse pour rembourser. On s'inquiète de la solvabilité des débiteurs, on exige d'eux un paiement immédiat. Pour rembourser, les débiteurs doivent vendre les titres de toute urgence. Ainsi se déclenche la spirale de l'offre et de la demande : plus on vend, plus les cours baissent et plus on vend encore pour liquider les dettes, d'autant qu'on s'aperçoit que bien des entreprises sont surcotées.
2.2. Le « jeudi noir »
Le lendemain, le mouvement connaît une accélération : c'est le « jeudi noir ». 13 millions d'actions sont vendues. Les banques tentent de soutenir les cours. Le lundi, elles doivent y renoncer. Le mardi, 16 millions d'actions sont vendues, les cours continuent à baisser. En 22 jours, la chute des valeurs industrielles est de plus de 40 %. L'effondrement est le résultat d'une surcote qui dure depuis des années, mais aussi celui d'une panique qui saisit possesseurs d'actions et courtiers.
L'économiste américain John K. Galbraith, lorsqu'il analyse le phénomène, parle de « mêlée folle et effrénée pour vendre » et de « frayeur aveugle et sans merci ». Les pires rumeurs circulent ; la réalité est dramatique. Des spéculateurs gros et petits sont ruinés ; une douzaine de personnes se suicident. Malgré les bonnes paroles du président Herbert Hoover, qui voit « la prospérité au coin de la rue », la crise boursière tourne à la débâcle.
3. Les conséquences économiques de la crise et la déflation
3.1. Aggravation de la crise économique
La crise économique préexiste à la crise boursière, mais elle est aggravée par celle-ci : les spéculateurs ruinés vident leurs comptes bancaires, les banques ne peuvent faire face, d'autant que les autres déposants, inquiets, demandent à être remboursés. 600 établissements environ font faillite en 1929, 1 300 en 1930, 2 300 en 1931. Ceux qui survivent restreignent les crédits.
Comme les spéculateurs ruinés ne sont plus des clients possibles, production et consommation souffrent. Des entreprises ferment : 22 000 en 1929, 26 000 en 1930, 28 000 en 1931. En 1932, quatre fois moins d'automobiles qu'en 1929 arrivent sur le marché, le revenu national américain a chuté de plus de moitié, la masse salariale également, le chômage – total ou partiel – frappe le quart de la population active.
Cela aggrave encore la mévente, d'où une baisse des prix qui déclenche d'autres faillites, d'autres licenciements, d'autres méventes. Mais si la production industrielle diminue de 30 %, la production agricole est réduite de 60 % : les agriculteurs sont particulièrement touchés. Beaucoup, ruinés, expropriés, deviennent des errants, tels ceux dépeints par l'écrivain Steinbeck dans les Raisins de la colère.
3.2. La déflation
Des États-Unis, la crise s'étend au monde entier. Les Américains rapatrient d'Europe leurs avoirs, mettant en crise les systèmes boursier et bancaire du Vieux Continent. Leurs mesures protectionnistes (la loi Hawley-Smoot, du 17 juin 1930, impose des droits de douane de 52 % de la valeur des importations, entraînant des mesures de rétorsion des pays pénalisés) et la chute de leurs importations provoquent l'effondrement du commerce international, qui diminue des deux tiers en valeur, d'un quart en volume.
Cette contraction entraîne une baisse générale de l'activité économique. La notion de déflation, qui correspond à une conjoncture économique dans laquelle la demande se contracte par rapport au volume de biens et de services produits, provoquant une baisse des prix et des revenus, caractérise donc bien la crise de 1929. Ainsi le PNB américain passe-t-il de 104 milliards de dollars en 1929 à 56 en 1933, au prix de 11 à 12 millions de chômeurs.
3.3. Les répercussions en France…
En France, le rapatriement des avoirs américains affecte durement, entre autres, la Banque d'Alsace-Lorraine, l'Union Parisienne et surtout la Banque Nationale de Crédit. Or, bénéficiant de la monnaie la plus forte du monde, toujours garantie par l'or, la France subit elle aussi un contexte déflationniste et le contrecoup des dévaluations des autres monnaies, notamment de la livre sterling (en septembre 1931), provoquant un renchérissement du prix des biens français sur le marché mondial qui freine les exportations de la nation, creuse le déficit commercial et accentue un chômage qui atteint 400 000 personnes en mars 1933 et 1 200 000 en mars 1934 (auxquelles il faut ajouter de 1,5 à 2 millions en chômage partiel).
La politique de Laval, en 1935, en imposant une déflation brutale, va accentuer la spirale dans laquelle sombre le pays, et précipite l'accession au pouvoir d'un Front Populaire (en 1936) qui va mettre en œuvre une politique alternative et opposée (de nature keynésienne). En effet, le gouvernement Laval décide d'une baisse de 10 % de tous les salaires publics, crée des impôts nouveaux affectant les très gros revenus et les fournisseurs de guerre, et opère une révision des pensions afin d'en réduire les abus.
Mais ce malthusianisme économique ne suffit pas à sortir de la dépression, et le déficit budgétaire, provoqué par un montant de dépenses publiques supérieur au montant des recettes, est à peine diminué (10 milliards en 1935, contre 13 en 1933).
3.4. … et hors d'Europe
Les pays extra-européens, exportateurs de matières premières et de denrées agricoles, sont les plus durement frappés : ils n'ont plus de débouchés, les prix s'effondrent – on brûle le café, devenu inutile, dans les locomotives brésiliennes. En retour, les importations de ces pays cessent, ce qui gêne l'économie des États industriels exportateurs et compromet leur reprise économique.
4. L'immigration dans la crise
La crise a pour conséquence un phénomène de repli sur soi ; des mesures protectionnistes ou autarciques sont décidées, des réactions xénophobes se produisent.
4.1. Accès de xénophobie, tension raciale, antisémitisme
En France, la haine de l'étranger affecte tous les milieux : le monde ouvrier n'est pas épargné, des travailleurs belges, italiens, marocains, polonais sont assassinés. Des revendications xénophobes se font jour jusque dans les syndicats communistes.
Les milieux bourgeois sont aussi touchés : les médecins font interdire l'exercice de leur art aux étrangers, la profession d'avocat se ferme aux nouveaux naturalisés. Avec d'importantes nuances, des restrictions à l'immigration sont réclamées par un socialiste comme Roger Salengro et par un homme de droite comme Charles Maurras.
En vain, l'extrême gauche ou un patronat favorable (avec Paul Reynaud) à l'afflux d'une main-d'œuvre étrangère cherchent à se faire entendre. On assène de fausses évidences, on fixe des quotas, on pourchasse les « clandestins ». Officiellement, il n'y a pas de départs forcés ; mais on fait signer « librement » à des immigrés des demandes de rapatriement, et l'écrivain Saint-Exupéry, dans Terre des hommes, peut ainsi décrire le pitoyable convoi des Polonais chassés de France.
Ailleurs, c'est la tension raciale qui augmente : le chômage atteint plus les Noirs que les Blancs aux États-Unis, plus les indigènes que les Européens en Afrique du Nord ; en Europe centrale et surtout dans l'Allemagne hitlérienne, l'antisémitisme, exutoire traditionnel du mécontentement, reparaît en force.
5. La crise, tournant politique mondial
La crise entraîne un bouleversement du paysage social et politique.
5.1. Misère et agitation sociale
Elle touche inégalement les différentes couches de population. Les revenus des fonctionnaires et des retraités baissent plus que les salaires du secteur privé : encore faut-il garder son travail, et le chômage, généralement, n'est pas indemnisé.
Les classes moyennes (travailleurs indépendants, rentiers et agriculteurs) sont aussi touchées : en France, les revenus commerciaux et industriels chutent d'un quart en 1931, de moitié en 1935. Cette situation engendre des troubles graves :
– aux États-Unis, des « marches de la faim », avec des morts lorsque la police intervient, comme dans la banlieue de Détroit ;
– en Grande-Bretagne, des manifestations de chômeurs, et même une mutinerie de la flotte ;
– en France, l'émeute du 6 févier 1934, liée aux difficultés des classes moyennes ;
– dans l'Italie fasciste même, des manifestations secouent le régime et font autoriser l'émigration des mécontents.
5.2. Instabilité politique et tensions internationales
Ces troubles expliquent l'instabilité politique. Dans les démocraties, les équipes en place sont écartées : républicains américains en 1932, droites françaises la même année, puis, de nouveau, en 1936 après que l'émeute de 1934 leur a redonné le pouvoir. Souvent, l'échec du libéralisme économique suscite le rejet du libéralisme politique : agitateurs et partisans de solutions autoritaires sont volontiers écoutés — d'où le poids des ligues en France, le développement d'un parti fasciste anglais autour du leader Oswald Mosley et surtout, en Allemagne, la lame de fond qui apporte au national-socialisme plusieurs millions de voix.
En Amérique latine, des coups d'État mettent aux prises les oligarques classiques, liés aux États-Unis, et des populistes partisans d'un développement autonome, admirateurs des régimes fascistes.
Ces difficultés ont leur pendant international. Après les États-Unis, tous les pays décident des mesures protectionnistes. La Grande-Bretagne met même fin en 1932 à 86 ans de libre-échange. Les pays « nantis », grâce à leur or (États-Unis, Grande-Bretagne et France possèdent 80 % du stock mondial), leurs matières premières, leurs colonies, maintiennent toutefois des échanges presque normaux et s'entendent pour éviter le contrôle des changes.
D'autres choisissent l'autarcie ou prônent la conquête de marchés par la voie de l'annexion. Dès avant Hitler, l'Allemagne, faute de devises, se ferme économiquement et fait du troc avec des pays ruraux d'Europe de l'Est et d'Amérique latine : elle est en 1936 le premier fournisseur du Brésil et du Chili — et cela facilite la contamination idéologique.
Pour d'autres États, la maîtrise de marchés passe par une politique coloniale. L'Italie se lance dans l'affaire éthiopienne en 1935 (→ campagnes d'Éthiopie). Le Japon, en 1931, établit sa domination sur la Mandchourie, puis commence en 1937 la conquête du reste de la Chine.
Ainsi, nulle région n'échappe à la crise ou à ses conséquences. Si l'URSS paraît épargnée, au point que son modèle suscite un regain d'intérêt en Occident, la vérité est qu'elle se replie sur elle-même, ce qui explique en partie la régression stalinienne : pour elle aussi, 1929 est un tournant politique majeur.
Pour en savoir plus, voir l'article États-Unis : histoire.