Jean Monnet
Administrateur français (Cognac 1888-Houjarray, commune de Bazoches-sur-Guyonne, Yvelines, 1979).
Grand visionnaire du xxe siècle, Jean Monnet défendit le principe de supranationalité dans une Europe traumatisée par deux guerres successives. Son action en faveur de la paix et de la construction européenne en fait incontestablement un des principaux « pères de l'Europe ».
1. Le commis voyageur
Né dans une famille de négociants en cognac, Jean Monnet quitte l'école à l'âge de 16 ans pour travailler avec son père, qui lui confie la responsabilité des marchés extérieurs : il voyage ainsi en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord, à la recherche de nouveaux clients. Outre les nombreux contacts qu'il noue, il fait preuve de réelles aptitudes de gestionnaire.
Quand éclate la Première Guerre mondiale, Monnet œuvre en tant que délégué au ministère français du Ravitaillement, puis intègre le comité allié chargé de la répartition des ressources communes. En 1917-1918, il contribue à la création du premier pool maritime interallié, qui vise à coordonner l'approvisionnement des armées. Secrétaire général adjoint de la Société des Nations (SDN) de 1919 à 1923, il prend conscience de l'impuissance de cette organisation.
Commencent alors les pérégrinations d'un globe-trotter de la finance internationale : expert financier d'une banque américaine dès 1926, Monnet assainit les finances de la Pologne en 1927, puis redresse l'économie roumaine un an plus tard. En 1933, il est en poste en Chine, auprès de Jiang Jieshi, en qualité de conseiller du gouvernement chargé du développement des chemins de fer.
2. Le serviteur de la France
En 1940, Jean Monnet refuse la capitulation française. Après avoir tenté de réaliser l'union politique et militaire entre la France et la Grande-Bretagne, il se met à la disposition du gouvernement américain. Conseiller du président Roosevelt de 1940 à 1943, il est associé à l'élaboration du Victory Program (1941), qui fait des États-Unis l'« arsenal des démocraties ». Une fois l'économie de guerre américaine planifiée, Roosevelt charge Monnet de prendre contact avec le général de Gaulle. Cela lui vaut de faire partie du Comité français de libération nationale (CFLN) lorsqu'il se constitue à Alger, en juin 1943. Dès lors, Monnet organise l'armement des forces françaises et pourvoit au ravitaillement nécessaire au pays en vue de sa prochaine libération.
En 1946-1947, Monnet lance le « plan de modernisation et d'équipement » de l'économie française, appelé « plan Monnet ». Sa réussite au poste de commissaire général au Plan, qu'il occupera jusqu'en 1952, tient en grande partie à sa conception de la planification : celle-ci, qui doit être indicative et concertée, fixe des objectifs quantifiés suffisamment réalistes pour permettre la mobilisation de l'ensemble des forces vives de la nation. En encourageant la modernisation de l'appareil productif et les investissements massifs, Monnet parvient à donner l'impulsion nécessaire au renouveau économique français.
3. Un Européen convaincu
Dans l'idée de Jean Monnet, le développement durable de la France est avant tout lié à une Europe stable et définitivement pacifiée. Il définit alors les trois conditions préalables à la réalisation de ce vaste chantier : la réconciliation franco-allemande, la création d'une fédération et la reconnaissance du principe de supranationalité. Choisissant l'économie comme principal vecteur d'intégration européenne, il rédige le plan Schuman du 9 mai 1950, dont est issue la Communauté européenne du charbon et de l'acier( CECA) qui voit le jour le 18 avril 1951 ; lui-même en présidera la Haute Autorité.
Après l'amorce de marché commun, l'union militaire est l'étape suivante qui doit mener à l'union politique. Dès 1950, Monnet avait proposé la réalisation d'une Communauté européenne de défense (CED). Connu sous le nom de « plan Pleven » (ce dernier étant alors président du Conseil), ce projet prévoit la constitution d'une armée européenne incluant les forces allemandes. Les députés gaullistes et communistes s'y opposant fermement, l'Assemblée nationale refuse de ratifier le traité instituant la CED (signé en 1952). Affecté par cet échec, Monnet démissionne de la Haute Autorité de la CECA en 1955, mais ses efforts sont récompensés par la signature du traité de Rome de 1957, qui marque la naissance de la Communauté économique européenne (CEE).
Se consacrant ensuite à la diffusion de l'idée européenne, Monnet crée le « Comité d'action pour les États-Unis d'Europe ». Sa dernière initiative, celle d'un Conseil européen, aboutit en 1974. Un an plus tard, Monnet se retire de la vie publique et rédige ses Mémoires. Ses cendres seront transférées au Panthéon en 1988.
4. Un projet utopique
En 1938-1939, dans la perspective du réarmement de la France, le président du Conseil Édouard Daladier chargea Jean Monnet d'acheter des avions militaires américains. Mais il était trop tard : l'armée allemande déferlait déjà sur l'Europe et la France menaçait de céder.
Une fois de plus, Monnet allait chercher à stimuler la coordination des forces alliées. En juin 1940, il rédigea une « Déclaration d'Union franco-britannique », dans laquelle il proposait de réunir l'Angleterre et la France en une seule et même nation. Les institutions respectives de chaque pays auraient été remplacées par un seul cabinet, un unique Parlement et une armée commune. Mais la défaite française de 1940 et l'arrivée au pouvoir du maréchal Pétain firent échouer ce projet utopique, qui préfigurait pourtant la construction d'une communauté européenne.
Pour en savoir plus, voir l'article Union européenne.