Saint Empire romain germanique
en allemand Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation, en latin Sacrum Romanorum Imperium Nationis Germanicae
Désignation officielle officielle (à partir du milieu du xve siècle) de l'empire fondé par Otton Ier le Grand (962), – comprenant les royaumes de Germanie, d'Italie et, à partir de 1032, celui de Bourgogne –, qui fut dissous en 1806.
Le Saint Empire romain germanique est une institution typiquement médiévale. Associant l'Allemagne et une partie de l'Italie, il entendait continuer l'Empire carolingien, qui, de 800 à 924, avait prétendu ressusciter l'Empire romain. Très tôt, les empereurs du Saint Empire alléguèrent que l'Empire devait regrouper toute la chrétienté : l'empereur avait reçu de Dieu la mission spéciale de gouverner le monde. Cette prétention au « dominium mundi » se heurta dès le xie siècle à la conception de la théocratie pontificale, illustrée par Grégoire VII et ses Dictatus papae.
Les empereurs les plus brillants – les trois Ottons, les Saliens Henri III et Henri IV, les Hohenstaufen (ou Staufen) Frédéric Ier Barberousse, Henri IV et Frédéric II – firent rayonner à travers la chrétienté la gloire de l'Empire. Cependant, jamais leur domination territoriale ne déborda au-delà de l'Allemagne et des territoires de l'Italie septentrionale et centrale. En Allemagne même, leur autorité ne parvint pas à s'imposer, malgré les efforts d'Henri IV ou de Frédéric Ier Barberousse. Les empereurs ne purent, à la différence des Capétiens en France, imposer un système héréditaire de transmission de la couronne ; l'élection reste à la merci des princes électeurs. D'autre part, les empereurs s'épuisent à lutter contre l'insoumission des princes, puis des villes.
L'échec de Frédéric II ruine les rêves des Staufen de dominer l'Italie. Dès lors, malgré les folles tentatives d'Henri VII, l'Empire se replie sur l'Allemagne. La Bulle d'or de 1356 symbolise l'organisation de ce nouvel Empire, où s'impose le prestige de la famille Habsbourg. Les rivalités internes et l'opposition du royaume de France ne permettent pas aux Habsbourg de rendre à l'Empire son éclat.
En 1648, les traités de Westphalie mènent au démantèlement de l'Empire. Désormais, le titre d'empereur est un titre prestigieux mais creux. L'ascension de la Prusse fait perdre aux Habsbourg leur prédominance en Allemagne.
En 1806, devant les nouveaux bouleversements provoqués dans l'Empire par la Révolution française puis Napoléon Ier, les Habsbourg renoncent à leur titre impérial. Ainsi disparaissait sans gloire le Saint Empire romain germanique, vieille institution médiévale lentement dégénérée.
1. Naissance du Saint Empire
1.1. Le couronnement d'Otton Ier
La mort de Bérenger Ier de Frioul (924) marque officiellement la fin de l'Empire carolingien ; mais depuis la fin du ixe siècle, cet Empire avait perdu toute cohésion. Charles III le Gros (839-888) est le dernier empereur qui, après avoir été couronné par le pape, ait théoriquement régné sur toutes les parties de l'Empire. Cependant, le souvenir de l'Empire carolingien subsiste dans les esprits. La figure et la légende de Charlemagne restent vivantes : le chroniqueur Widukind, moine de l'abbaye de Corvey, présente en 918 le nouveau roi de Germanie, Henri Ier, duc de Saxe, comme le plus apte, selon son prédécesseur Conrad Ier, à préserver « l'intérêt général de l'ensemble du royaume des Francs ».
C'est dans cette ligne que se place le fils d'Henri, Otton (912-973, roi de Germanie en 936), pour exploiter le prestige que lui vaut sa victoire sur les envahisseurs hongrois à la bataille du Lechfeld en 955. Il intervient d'autre part en Italie pour déjouer les intrigues de Bérenger II, petit-fils de Bérenger Ier de Frioul, et, en 960, le pape Jean XII le sollicite de mettre fin à la tyrannie de Bérenger, dont Otton avait fait un vice-roi pour l'Italie.
Au mois d'août 961, profitant du calme qui règne en Germanie, Otton se rend en Italie. Il n'y rencontre aucune résistance, et, après avoir négocié avec Jean XII, il reçoit la couronne impériale le 2 février 962. À travers ce geste, Otton Ier le Grand pense renouer avec l'Empire carolingien. Il se pose en restaurateur de l'Empire et a pris soin, en 936, de se faire couronner roi de Germanie à Aix-la-Chapelle.
Le contrôle qu'établit le nouvel Empereur sur l'Église traduit cette volonté de restaurer l'ancien Empire carolingien : il fait ainsi déposer Jean XII pour le remplacer par un dignitaire de la Cour pontificale, Léon VIII, en 963. Le nouvel Empire est pourtant bien différent de l'Empire carolingien sur le plan territorial. Il comprend essentiellement le royaume de Germanie, avec les cinq duchés ethniques : Saxe, Franconie, Souabe, Lorraine et Bavière ainsi que la Bohême et le royaume d'Italie.
En 1032 s'agrégera à cet ensemble le royaume de Bourgogne, constitué par les pays compris entre la Saône et le Rhône à l'ouest, les confins de la Bavière et de la Souabe au nord-est, la plaine suisse, le Jura, les contrées alpines à l'est et la Méditerranée au sud. L'ancienne Francia occidentalis n'y est pas comprise. De l'ancien Empire carolingien, le nouvel Empire ne compte que les parts de Lothaire Ier et de Louis le Germanique. Son centre de gravité est ainsi fondamentalement établi en Allemagne ; mais la germanica natio ne sera accolée au Sacrum imperium qu’au xve siècle.
1.2. Le « dominium mundi »
Les nouveaux empereurs, qui se disent les continuateurs de l'Empire carolingien, prétendent, comme eux, à l'universalité, c'est-à-dire au gouvernement de tout l'Occident chrétien. L'empereur germanique entend exercer, même de façon théorique, son autorité sur tous les territoires chrétiens de l'Europe occidentale. L'empereur doit apparaître comme le premier des princes occidentaux. À travers l'Empire carolingien, les empereurs ottoniens veulent se relier à l'Empire romain.
Otton III (980-1002, roi de Germanie en 983, empereur de 996 à 1002), petit-fils par sa mère de l'empereur byzantin, peut ainsi exprimer le rêve d'un Empire universel où il aurait rassemblé tous les peuples se rattachant à la civilisation chrétienne. Pour réaliser cet idéal, Otton III s'installe d'ailleurs à Rome. Semblable idéal de souveraineté totale sur l'ancien monde romain ne cessera d'animer les grandes conceptions impériales jusqu'à Frédéric II.
Un assemblage hétéroclite
La réalisation d'un tel idéal ne correspondait guère à la réalité. Le nouvel empire, fondé sur une assise germano-italienne, permettait de donner selon les circonstances et les préoccupations des souverains la priorité soit à l'Allemagne, soit à l'Italie. L'absence de cohésion pèse vite très lourd sur les destinées du nouvel empire. En face d'une Italie où l'essor économique favorise l'ascension des villes, où les structures sociales laissent une moindre place au monde féodal et seigneurial, l'Allemagne reste un pays d'économie rurale, avec de faibles secteurs urbains jusqu'au xiiie siècle.
Il est vrai que cet assemblage de terres de structures économiques différentes aurait pu facilement se concevoir, en tant qu'ensemble complémentaire, si les empereurs avaient pu mettre sur pied un système gouvernemental et administratif cohérent. En fait, l'institution impériale se concentre en la personne de l'empereur et de sa chancellerie, héritée des chancelleries des royaumes de Germanie et d'Italie. En Germanie, le souverain gouverne comme roi, assisté de quelques officiers et ministériaux, et de la diète, qui réunit tous les seigneurs et hauts prélats ecclésiastiques.
L'impuissance financière du souverain
Mais le souverain ne dispose pas des ressources financières qui lui permettraient de mener à bien de grands desseins : contrairement au roi de France, il ne peut s'appuyer sur un domaine royal spécifique. Certes, les empereurs saliens Henri IV et Henri V, puis Frédéric Ier Barberousse s'efforcent bien de pallier cet inconvénient en accroissant leurs biens propres soit en Saxe, soit dans le sud-ouest de l'Allemagne. Le véritable pouvoir dont dispose le souverain en Allemagne est d'ordre judiciaire : il lui revient de faire régner l'ordre et la paix.
Les pouvoirs du souverain en Italie et en Bourgogne ne sont pas plus étendus. Le royaume d'Italie a conservé son autonomie au sein de l'Empire, et l'empereur y exerce son autorité après s'être fait couronner roi à Pavie ou à Monza. En Italie, le souverain se heurte au désir d'autonomie resté très vif parmi la population du royaume.
La suprématie des princes électeurs
Une action cohérente et suivie de la part des souverains est surtout entravée par le problème de la succession au trône impérial. L'hérédité n'est pas reconnue : les princes allemands élisent le roi de Germanie, généralement au sein d'une famille ducale ; après quoi, l'élu doit être couronné à Rome par le pape et recevoir à l'occasion les couronnes d'Italie et de Bourgogne. Le rôle des princes allemands et du pape est ainsi fort important à chaque changement de règne.
1.3. À la recherche de la domination universelle
De 962 à 1250, les empereurs s'efforcent d'imposer leur autorité en Allemagne et de soumettre l'Italie. Cette tâche finit par épuiser leurs forces et les mène à l'échec. Cependant, leurs entreprises contribuent au rayonnement de l'Empire.
Les Ottoniens
Otton Ier le Grand tente d'abord de consolider les assises du nouvel édifice impérial. En Germanie, il cherche à s'assurer le contrôle des duchés, en plaçant à leur tête, toutes les fois qu'il le peut, un membre de sa famille. Gardant la Saxe pour lui, il donne la Bavière à son frère Henri ; il installe en Lorraine son gendre Conrad le Roux et en Souabe son fils Liudolf. Il réunit à ses domaines propres le duché de Franconie. Contrôlant directement deux duchés sur cinq, il pense étendre son influence sur les autres par l'intermédiaire de ses proches parents, calcul qui va se révéler partiellement faux.
Il favorise d'autre part le clergé et délègue en ce sens aux évêques, dont il fait de véritables seigneurs temporels, l'exercice de certains droits régaliens. Il est dès lors amené, pour tenir en main l'épiscopat, à contrôler très étroitement les élections épiscopales ; l'évêque élu est investi de sa charge par le souverain, qui lui remet la crosse. L'empereur devient dans la tradition carolingienne le chef de l'Église.
Otton Ier apparaît à son époque comme le souverain le plus puissant de l'Europe occidentale. Le roi de Francia occidentalis Lothaire en 965, le roi de Bourgogne Conrad en 967, les ducs de Bohême et de Pologne en 973 paraissent à sa cour comme ses obligés.
Otton Ier fait désigner de son vivant son fils Otton (→ Otton II) comme souverain associé afin de garder la couronne dans sa famille. Otton II (955-983, roi de Germanie en 961, empereur de 973 à 983) doit d'abord rétablir l'autorité impériale en Allemagne avant d'entreprendre la conquête de l'Italie du Sud, pensant ainsi parachever l'œuvre de son père. L'entreprise tourne malheureusement au désastre en 982.
Otton III et la fin du rêve d'un empire universel
Son fils Otton III étant âgé de trois ans à la mort de son père en 983, la régence est exercée par Théophano, sa mère, et Adélaïde, sa grand-mère, qui maintiennent intact l'héritage d'Otton Ier. Otton III poursuit le rêve d'établir un empire universel dont Rome aurait été la capitale. Le pape et l'empereur résidant tous deux à Rome auraient été les chefs de cet empire universel, dont l'empereur aurait été comme Charlemagne ou Constantin le véritable maître. La réalisation d'une semblable politique exigeait que l'Italie devînt le centre du monde, le royaume de Germanie perdant sa place privilégiée au sein d'un Empire romain restauré. La domination d'Otton III sur l'Italie était trop fragile pour le succès d'une semblable entreprise. Dès février 1001, Otton III doit quitter Rome ; il meurt en janvier 1002, après avoir erré près d'un an en Italie. La mort d'Otton III marque la fin d'un rêve d'empire universel s'étendant à toute la chrétienté.
La mort prématurée d'Otton III rend à la Germanie sa place de premier plan au sein de l'Empire. Le nouveau souverain élu, Henri de Bavière (→ Henri II, 973-1024, empereur de 1002 à 1024), cousin d'Otton III, est un esprit réaliste, imprégné d'une profonde piété. Il abandonne les rêves d'Otton III et borne presque exclusivement son activité à l'Allemagne, où il favorise systématiquement l'Église.
Les Franconiens
À la mort d'Henri II en 1024, une nouvelle dynastie, issue de Franconie, accède au pouvoir. Suivant le procédé des Ottoniens d'associer au trône leur fils de leur vivant, les Franconiens se transmettent le pouvoir de père en fils entre 1024 et 1125. Un historien qualifie leur période d'« ère du progrès et de la promesse », signifiant par là que ces empereurs s'efforcent d'affermir la puissance impériale, tout en jetant les bases d'une nouvelle ébauche d'empire universel.
Très prudent, Conrad II (vers 990-1039, roi de Germanie en 1024, empereur de 1027 à 1039) s'engage timidement dans les affaires italiennes ; en Germanie, il s'appuie sur les comtes et la petite noblesse contre les ducs, qu'il estime dangereux pour la monarchie. Il accorde à la petite et moyenne aristocratie l'hérédité des charges et prépare ainsi le morcellement des petites unités territoriales.
Henri III (1017-1056, empereur de 1039 à 1056), imbu d'une haute idée de la dignité impériale, entend se faire obéir de tous, clercs et laïques. Il établit une étroite collaboration avec l'épiscopat et la papauté et favorise l'action réformatrice au sein de l'Église.
Henri IV (vers 1050-1106, empereur de 1056 à 1106) renforce la position des empereurs franconiens en Germanie. Il prend appui sur les membres de la moyenne aristocratie, à qui il concède de hautes dignités : le bénéficiaire le plus important de cette politique est le seigneur de Beuren, de Waiblingen et de Staufen, qu'Henri IV investit du duché de Souabe. Il s'efforce de créer en Allemagne et en Italie un domaine foncier propre à la monarchie. La réforme grégorienne et la querelle des Investitures, qui en résulte, entraînent la rupture avec le pape Grégoire VII, qui refuse toute intervention laïque dans les élections épiscopales. Le système ottonien s'en trouve dès lors détruit.
Le fils d'Henri IV, Henri V (1081-1125, empereur de 1106 à 1125), après avoir poursuivi la lutte commencée par son père contre la papauté, signe en 1122 le concordat de Worms qui laisse à l'empereur l'investiture temporelle des évêques et donne au pape l'investiture spirituelle.
Le règne d'Henri V est suivi d'une période de troubles en Allemagne, où s'opposent les familles des Welfs (ou → Guelfes) et des Staufen, d'abord sous Lothaire de Supplinburg (vers 1060-1137, empereur de 1125 à 1137), allié aux Welfs, puis sous Conrad III, un Staufen (1093 ou 1094, empereur de 1138 à 1152).
Le règne de Frédéric Ier Barberousse
À la mort de Conrad III, les princes électeurs portent au trône le duc de Souabe, Staufen, Frédéric Ier Barberousse, allié par sa mère à la famille des Welfs. Sitôt élu, le nouveau souverain entreprend la restauration de l'autorité impériale. Poursuivant la chimère d'un empire universel, il tente d'établir solidement son autorité en Italie, où il fait reconnaître ses droits par les communes italiennes à la diète de Roncaglia en 1158. Il ne peut cependant obtenir la soumission de la commune de Milan, qu'il fait raser en 1162.
Mais le système despotique qu'il instaure par l'intermédiaire de ses podestats provoque le soulèvement des communes italiennes, soutenues par la papauté, inquiète des théories de Frédéric sur la domination universelle du monde. La longue lutte qui résulte de cette situation mène Frédéric Barberousse à reconnaître l'autonomie des communes italiennes.
Dans le royaume de Germanie, Frédéric Barberousse favorise la haute aristocratie en créant de nouveaux duchés qu'il distribue à de puissants vassaux (l'Autriche à Henri Jasomirgott) ; il cherche à se constituer un domaine, sur lequel il puisse fonder sa puissance au cœur de l'Allemagne.
Le règne de Frédéric Barberousse est sans nul doute le plus glorieux des règnes des empereurs allemands du Moyen Âge ; mais le mirage italien lui a vraisemblablement masqué les voies d'une politique réaliste. Frédéric Barberousse enlise la politique impériale en Italie, où il fait épouser à son fils Henri l'héritière du trône de Sicile. En Allemagne, l'empereur favorise la constitution de principautés territoriales par sa politique de faveurs à l'aristocratie.
Frédéric II et le morcellement de l'Empire
L'action de Frédéric Barberousse ne peut être poursuivie par ses successeurs. Son fils, Henri VI (1165-1197, empereur de 1190 à 1197), rêve de nouveau d'un empire universel, mais sa politique d'installation en Italie de seigneurs allemands mécontente gravement la population italienne. Le fils d'Henri VI et de Constance de Sicile, Frédéric, n'était âgé que de six ans à la mort de son père. Les princes allemands ne peuvent alors se mettre d'accord pour élire un nouveau monarque ; un Welf, Otton de Brunswick, et un Staufen, Philippe de Souabe, se disputent le trône.
Le pape Innocent III, à la suite de l'échec des deux rivaux, favorise l'accession à l'Empire du fils d'Henri VI, Frédéric II, qui est couronné empereur en 1220, non sans que le pape lui ait fait prendre divers engagements pour tenter de séparer le royaume de Sicile de l'Empire.
Frédéric II reprend à son compte la théorie de la supériorité impériale sur un empire universel dont l'Italie serait le centre. Toute son action politique est dès lors centrée sur l'Italie. Appuyé sur le royaume de Sicile qu'il organise pour se donner les moyens d'une grande politique, Frédéric II se heurte de nouveau aux communes italiennes et à la papauté, qu'il combat avec âpreté. Sa longue absence d'Allemagne permet aux princes territoriaux d'organiser et de fortifier leurs principautés.
À sa mort, en 1250, Frédéric II laisse un empire affaibli : l'Italie est en proie aux luttes de factions (guelfes et gibelins) ; l'Allemagne est désormais morcelée en de multiples territoires autonomes. L'Empire, tel que l'avaient conçu les Ottoniens puis Frédéric Barberousse, avait vécu. L'Allemagne et l'Italie, longtemps associées, devaient suivre désormais leur propre destin.
2. L'Empire allemand
2.1. Le repli sur l'Allemagne
Le Grand Interrègne (1250-1273)
À la mort de Frédéric II, le royaume de Germanie est disputé entre deux rois, Guillaume de Hollande (1227-1256) et Conrad IV de Hohenstaufen (1228-1254), qui ont tous deux leurs partisans et dominent l'un la Rhénanie, l'autre la Souabe. La papauté semble d'abord soutenir Guillaume de Hollande. En fait, toute la politique pontificale vise à écarter systématiquement de l'accès au trône impérial les descendants des Staufen. Pendant vingt-trois ans, aucun des candidats à l'Empire ne peut ainsi être élu.
Au cours de cette période du « Grand Interrègne », villes et princes consolident leurs avantages acquis et accroissent la large autonomie dont ils jouissent. En Italie, la mort de Frédéric II entraîne l'écroulement de la domination des Hohenstaufen. Le pape Urbain IV négocie avec Charles Ier d'Anjou, frère de Saint Louis, et l'investit du royaume de Sicile en juin 1263. Le 26 février 1266, Charles d'Anjou triomphe à Bénévent de Manfred, bâtard de Frédéric II.
La rupture entre l'Empire et la papauté
La mort en 1272 d'un des deux candidats de la diète de 1257, Richard de Cornouailles, amène une nouvelle élection (1273). Les princes choisissent alors Rodolphe de Habsbourg, un comte de la région de Zurich, au détriment du plus puissant prince de Germanie, le roi de Bohême Otakar (ou Ottokar) II. Cette élection inaugure une nouvelle phase de l'histoire allemande.
L'Empire se réduira désormais progressivement au royaume de Germanie. Certains empereurs, successeurs de Rodolphe, tel Henri VII de Luxembourg (vers 1269-1313, empereur de 1308 à 1313), n'en poursuivent pas moins des ambitions irréalistes dans la péninsule italienne. Si en 1330 l'empereur Louis IV de Bavière (1287-1347, empereur de 1328 à 1346) tente de déposer le pape, il trouve trop peu d'appuis en Italie pour mener à bien sa politique. Mais, en Germanie, Louis IV de Bavière est soutenu par les Électeurs, qui affirment avec force la légitimité de son pouvoir face au pape Jean XXII et proclament le droit absolu des Allemands de prendre pour empereur et roi le prince de leur choix.
Le pape Clément VI, avec l'appui des archevêques rhénans, obtient l'élection de Charles IV de Luxembourg (1316-1378), fils de Jean de Bohême, en 1347, à la mort de Louis IV de Bavière. Le 5 avril 1355, Charles peut venir recevoir à Rome la couronne impériale, mais il se garde désormais de toute intervention en Italie. Le 25 décembre 1356, Charles édicte la Bulle d'or, qui fixe les règles de l'élection royale et impériale. Le nombre des Électeurs est désormais de sept : les archevêques de Mayence, de Trèves et de Cologne, le roi de Bohême, le duc de Saxe, le margrave de Brandebourg et le comte palatin du Rhin. Les sept Électeurs élisent le roi des Romains, mais aucune allusion n'est faite à une quelconque intervention du pape.
L'Empire est devenu une royauté purement allemande, même si l'appellation Nationis Germanicae n’apparaît pas encore, et « l'empereur des Romains » porte désormais un titre honorifique, creux, qui l'élève cependant au rang de chef théorique d’un conglomérat de principautés par ailleurs indivisibles et jouissant de droits régaliens.
Une mosaïque de petites principautés
L'Empire, ou plutôt les Allemagnes, est devenu une mosaïque de petites principautés où les seigneurs de la terre se sont emparés de ce qu'ils ont pu saisir de la puissance publique et des domaines du fisc. Mais, au milieu du xive siècle, aucun État territorial princier n'est encore véritablement constitué : « Le prince précède la principauté. » Des potentats de cet Empire se dégagent quelques princes plus puissants, tels les trois archevêques électeurs, des ducs (Brunswick), des comtes palatins, des margraves (Brandebourg, Bade), des landgraves (Hesse, Thuringe) le roi de Bohême et les ducs d’Autriche qui ont étendu leurs possessions (Styrie, Carinthie, Carniole, Tyrol).
L'affaiblissement du pouvoir royal, propice à l'ascension des princes, autorise l'émancipation des villes, d'une part villes d'Empire qui dépendent sans intermédiaire de l'empereur, d'autre part villes libres. Quant aux territoires occidentaux, de l'ancienne Lotharingie ou de l'ancien royaume de Bourgogne, ils ne sont plus rattachés à l'Empire, au Reich, que par une vague tradition d'obédience. Sur l'ensemble de ces territoires, l'empereur ne dispose d'aucun pouvoir que lui conférerait l'élection. Ses qualités personnelles peuvent seules lui permettre d'imposer de temps à autre son prestige : en 1414, l'empereur Sigismond de Luxembourg (1368-1437, roi des Romains de 1411 à 1433, empereur de 1433 à 1437) convoque le concile de Constance pour mettre fin au grand schisme d'Occident.
2.2. Les Habsbourg
Malgré le peu d'éclat de l'institution impériale, les princes Habsbourg accaparent la couronne à partir de 1438 (élection d'Albert II) et entreprennent une politique qui vise à accroître leurs propres États en se servant du prestige du titre impérial. L'Empire est pour eux source de gloire et moyen de satisfaire leurs ambitions. Le mariage de Maximilien de Habsbourg avec Marie de Bourgogne (1477) leur apporte les Pays-Bas et la Franche-Comté, avant que sur les États de Charles Quint, petit-fils de Maximilien, « le soleil se couche jamais ».
Mais le titre impérial que porte Charles Quint de 1519 à 1557 est désormais purement honorifique. Certes subsiste un mythe impérial : au cours du xve siècle, des plans de réforme sont apparus, en 1427, 1434, 1438 et 1444, au Reichstag. Maximilien Ier de Habsbourg a proclamé une paix générale en 1486, puis a fait créer un Tribunal d'Empire et un impôt commun, un Conseil impérial et des circonscriptions militaires. Toutes ces mesures ont redonné temporairement vie à une institution moribonde, mais n'ont pas reçu d'application.
L'Empire que reçoit Charles Quint est un « un corps débile », agglomérat de principautés, États et villes. Charles Quint éprouve les plus vives difficultés à éviter un nouveau morcellement territorial. La Réforme, à l'extension de laquelle ne peut s'opposer Charles Quint, favorise les seigneurs qui, sous couvert de religion, accaparent les droits régaliens exercés jusqu'alors par les seigneurs plus puissants. La paix d'Augsbourg (1555), à travers le principe cujus regio, ejus religio, consacre la liberté religieuse des États luthériens. L'empereur n'avait pu maintenir l'unité de foi dans l'Empire, et les princes s'abritent derrière la religion pour maintenir leur indépendance contre les entreprises des Habsbourg.
Lorsque au début du xviie siècle les Habsbourg veulent reprendre en main l'Empire et y étendre l'influence du catholicisme, ils provoquent l'éclatement de nouvelles guerres de Religion qui débouchent sur la guerre de Trente Ans, avec l'intervention de la Suède, puis de la France dans les affaires impériales.
La France s'introduit en arbitre dans les affaires allemandes par les traités de Westphalie (1648), qui confirment et accentuent le morcellement territorial de l'Empire. Ces mêmes traités font porter à huit le nombre des Électeurs, en adjoignant aux sept de la Bulle d'or le duc de Bavière. Les pouvoirs de l'empereur étaient réduits à néant ; le Reichstag, regroupant les représentants des trois cent cinquante États autonomes de l'Empire, était le seul organisme de liaison entre les princes. Les Habsbourg avaient échoué dans leur entreprise de restaurer la puissance impériale.
2.3. L'agonie
Les menaces française et turque
Malgré leur défaite de la guerre de Trente Ans, les Habsbourg ne renoncent pas à user des préséances que leur confère le titre impérial et tentent de jouer un rôle de premier plan dans l'Empire. Ils recherchent particulièrement l'appui des Électeurs et princes catholiques pour la réalisation de leurs desseins. Mais ils se heurtent à Louis XIV et doivent accepter en 1684 les réunions de territoires (Montbernard, duche de Deux-Ponts, Sarrebourg, Sarrelouis, Pont-à-Mousson, Strasbourg) réalisées par la France (→ politique des réunions).
Ils doivent d'autre part faire face à la menace turque sur le Danube : les Turcs sont finalement arrêtés en 1683 sous les murs de Vienne à la bataille du Kahlenberg. Les Habsbourg en profitent alors pour renforcer leur autorité sur la Hongrie et certains territoires slaves au sud de leurs domaines patrimoniaux. Enfin, à l'intérieur de l'Empire, à la fin du xviie siècle, le margrave de Brandebourg, Frédéric Ier de Hohenzollern, acquiert en 1700 le titre de roi de Prusse (il sera couronné en 1701) et regroupe dès lors autour de lui les princes protestants du nord de l'Empire.
Le sort de l'Empire se joue ainsi au xviiie siècle à partir de ces données. Au cours de la guerre de la Succession d'Espagne, les Habsbourg ont pu croire possible de rétablir leur hégémonie en Europe par l'union des couronnes impériale et espagnole. Au traité de Rastatt (1714), ils renoncent à tout droit sur le trône espagnol, mais acquièrent le Milanais et, en 1715, les Pays-Bas au traité d'Anvers. L'Électeur de Bavière est rétabli dans ses droits et possessions. L'équilibre des États des Habsbourg se trouve dès lors modifié : les possessions allemandes (Autriche, Styrie, Tyrol, Carinthie, Carniole) ont un poids moindre que les territoires « extérieurs » (Bohême, Hongrie, territoires slaves, Lombardie). L'empereur Habsbourg est de plus en plus rejeté des affaires allemandes du Reich.
La rivalité entre Habsbourg et Hohenzollern
En Allemagne, les Habsbourg se heurtent à l'ascension et aux prétentions des Hohenzollern. La rivalité entre Habsbourg et Hohenzollern s'inscrit dans le cadre des luttes entre grandes puissances européennes au xviiie siècle. L'année 1740, l'empereur Charles VI meurt sans héritiers mâles et par la → pragmatique sanction il avait disposé de ses États en faveur de sa fille Marie-Thérèse.
Ne pouvant recevoir la couronne impériale, Marie-Thérèse s'efforce de faire couronner son mari, François de Lorraine. Au traité d'Aix-la-Chapelle (1748), Marie-Thérèse cède la Silésie à Frédéric II de Prusse, mais obtient la confirmation de la pragmatique sanction et la reconnaissance de son mari comme empereur.
De 1756 à 1763, Marie-Thérèse noue une coalition avec la France, la Russie et la Suède contre la Prusse, « de façon à réduire la puissance du roi de Prusse dans de telles bornes qu'il ne soit plus en son pouvoir de troubler à l'avenir la tranquillité publique ». Les traités qui mettent fin à la guerre de Sept Ans consacrent l'échec de cette politique de revanche. Ces deux guerres ont fait apparaître que désormais se joue la direction de l'Allemagne entre Hohenzollern et Habsbourg, plus que le sort même de l'Empire.
La France, arbitre de l'Allemagne
Les entreprises françaises de la Révolution, puis de Napoléon Ier, viennent retarder le règlement de compte définitif entre Hohenzollern et Habsbourg. L'empereur Léopold II, réconcilié un temps avec le roi de Prusse, tente de s'opposer à la poussée révolutionnaire et de sauvegarder le statu quo.
La réorganisation brutale de l'Allemagne par Bonaparte en 1803 montre alors la faiblesse du pouvoir impérial, incapable de s'opposer valablement aux desseins du Premier consul : le recez imposé par Bonaparte à la diète remanie profondément l'Allemagne, en accord avec la Prusse. L'influence autrichienne recule devant le protectorat français sur les princes allemands de l'Ouest et du Sud. La France devient l'arbitre de l'Allemagne.
Après le traité de Presbourg (1805), qui favorise les principautés du sud de l'Allemagne (Bavière, Wurtemberg), Napoléon crée la Confédération du Rhin (12 juillet 1806), où entrent seize princes allemands qui se séparent de l'Empire. Le 1er août 1806, la diète d'Empire se sépare et le 6 août 1806 François II renonce à son titre d'empereur du Saint Empire, pour s'appeler François Ier empereur d'Autriche.
Le Saint Empire romain germanique a vécu et le problème de l'unité allemande reste posé entre Hohenzollern et Habsbourg.
Pour en savoir plus, voir l'article Allemagne : histoire.