Joseph II
(Vienne 1741-Vienne 1790), empereur germanique et corégent des États des Habsbourg (1765-1790).
Jeunesse et éducation
Fils aîné de François de Lorraine et de Marie-Thérèse, le futur Joseph II prend conscience très tôt de sa dignité d'héritier des Habsbourg. Son précepteur, un militaire hongrois, Karl de Batthyány, assisté d'un moine augustin, Weger, et des recommandations du conseiller aulique Johann von Bartenstein, lui donne un enseignement militaire, religieux, juridique. Joseph n'aime pas les arts d'agrément, prend la religion en aversion, connaît les langues étrangères, notamment le français et l'italien. Il poursuit seul, par la lecture et la méditation, son éducation philosophique (Voltaire, les encyclopédistes). À dix-neuf ans, il épouse Isabelle de Parme, petite-fille de Philippe V d'Espagne. Il l'aime tendrement ; sa mort, en 1763, est pour lui un coup très dur : il se remarie avec Marie-Josèphe de Bavière (?-1767) et devient misogyne.
La régence (1765-1780)
L'usage veut que, de son vivant, l'empereur fasse élire son successeur, en qualité de roi des Romains, par les sept Électeurs du Saint Empire romain germanique. La cérémonie, lourde et impressionnante, commentée par Goethe et que Joseph relate à sa mère, a lieu en avril 1764.
Le 18 août 1765, après le mariage de Léopold, son second fils, avec la fille du roi d'Espagne Marie-Louise et la mort de l'empereur François Ier, Marie-Thérèse associe Joseph au gouvernement avec le titre de corégent. Joseph a vingt-quatre ans. Dans un mémoire adressé à sa mère, il définit ses méthodes et son programme : les grandes choses doivent être exécutées d'un seul coup, indice d'un tempérament énergique, impatient et d'une conviction profonde appuyée sur la logique et la réflexion. Le prince s'affirme novateur, partisan de la liberté de pensée, des mesures antiféodales, du nivellement des fortunes, auquel s'oppose W. von Kaunitz, ministre de Marie-Thérèse, opposition de deux tempéraments et de deux méthodes, de deux conceptions de l'ordre social et politique, voire du despotisme éclairé.
Prince d'une grande probité morale et intellectuelle, ennemi des fêtes, peu enclin aux confidences, défiant envers tout le monde, rabrouant ses proches, Joseph II veut tout connaître par lui-même. Il voyage d'abord dans ses États : en Hongrie (1766, 1768 et 1770), en Bohême (1766 et 1768), en Galicie (1773), se rend en France, où il rencontre sa sœur Marie-Antoinette (1777), en Russie (1778).
Réflexion et expérience – rapide – nées des voyages dictent son programme politique : faire le bien de l'État défini par la raison, qui transforme, nivelle, unifie. Joseph prône la tolérance, car l'intolérance est funeste à l'État ; il veut l'unité de commandement ; l'État est maître dans l'Église. Cette volonté de régénération des pays autrichiens, en vue du bonheur de tous, oppose souvent le corégent à ses conseillers, à Kaunitz et à sa mère, pragmatique, religieuse et prudente. À trente-neuf ans, à la mort de Marie-Thérèse (1780), solitaire, Joseph développe son programme.
Le gouvernement des États autrichiens
Bureaucratie, législation, centralisation, tels sont les trois volets de l'œuvre qu'à la suite de sa mère poursuit Joseph II pour essayer d'assurer plus de cohésion à cet État des Habsbourg aux membres dispersés. Bureaucratie et police vont de pair dans la création d'un corps de fonctionnaires instruits et dévoués, exacts et efficaces. L'œuvre législative est importante : 6 000 décrets et 11 000 lois nouvelles sont signés ; des codes juridiques (1786-1787) en réel progrès sont publiés ; la centralisation est accentuée grâce à l'instauration de nouvelles unités administratives, les cercles avec les Kreishauptleute, et à la création de chancelleries qui empiètent sur les pouvoirs des anciens États et brisent les anciennes limites ; les États ne sont plus convoqués. On lutte contre les privilèges territoriaux et fiscaux de la noblesse féodale, contre les « magistrats » des villes. Une langue unique et officielle, l'allemand, est imposée aux Magyars, aux Polonais, aux Tchèques. La tentative de création d'une armée nationale s'opère sur le modèle prussien, admiré profondément. Regroupements et simplification, tels sont les principes directeurs.
Économie et société
L'économie est, au premier chef, affaire d'État et repose sur le travail de tous, sujets et dirigeants. Écarter les obstacles, développer tous les facteurs de richesse, assurer la prospérité de l'ensemble, tel est le programme. Les obstacles ? Ce sont les entraves que constituent les corporations ; la liberté du travail est établie en 1782 ; la mainmorte (Leibeigenschaft) est abolie ; sont supprimés également les abus (droit de chasse), les monopoles seigneuriaux ; corvées et redevances sont réglementées (1781-1785).
Joseph II est à la fois physiocrate et mercantiliste. La source de la richesse est la terre, qu'il faut cadastrer (le cadastre sera achevé en 1789), peupler (malgré les famines de 1770 et les épidémies de 1781 en Bohême), imposer équitablement (en frappant les revenus des nobles). Aux impôts directs s'ajoutent les taxes indirectes (accises, douanes, timbre, sel, tabac, loterie). Un budget régulier est établi. Mercantiliste, l'empereur, au sein de cet immense empire rural, veut moins développer l'industrie que protéger ce qui existe : éviter les importations coûteuses (café, chocolat, verreries, velours), qui entraînent une augmentation du coût de la vie. Hostile à l'idée d'une banque d'État, il vient en aide aux banques privées. Le commerce, source de richesses, l'intéresse : l'empereur permet aux nobles de commercer sans déroger, encourage les foires (Lemberg), signe des traités de commerce avec la Turquie et le Maroc, rêve de faire de son empire une puissance maritime. Il s'intéresse à Ostende, sans parler d'Anvers – bloqué depuis 1648 – à Trieste, au bas Danube, d'où s'exportent blé et bovins. Il supprime les monopoles commerciaux et, lors d'une famine, introduit la liberté de commerce à l'intérieur de la monarchie.
La politique religieuse
L'anticléricalisme est issu de l'esprit philosophique. L'édit de tolérance de 1781 apparaît comme une concession à l'esprit du siècle (l'Aufklärung) et à l'utilité de l'État. Il accorde la liberté de conscience aux dissidents, permet l'édification de maisons de prière – les temples – sans clocher, accorde aux Juifs des conditions de résidence et de culte (privé) plus favorables.
La suppression de l'ordre des Jésuites, effectuée sous le règne de sa mère, accompagnée de la confiscation des biens, attribués au Studienfonds (1774), entraîne en 1781 une réorganisation générale des ordres monastiques (suppression des établissements ne se livrant ni à l'enseignement, ni à l'assistance) et de l'éducation, déjà commencée sous le règne précédent. Les revenus récupérés sont utilisés pour la modernisation des hôpitaux, pour la multiplication des « écoles moyennes » et des universités, dont celle de Vienne, pour l'établissement de séminaires, où les élèves sont formés selon les principes de l'Aufklärung.
La formation du clergé, qui reçoit un traitement, appartient à l'État ; le catholicisme reste religion officielle. Le pape Pie VI est accueilli à Vienne en 1782, mais l'empereur, soutenu par Kaunitz et Ludwig Cobenzl, reste ferme sur ses positions. Il se rend à Rome l'année suivante ; un concordat est signé pour la Lombardie. Le fébronianisme se manifeste par l'adhésion de Joseph II aux vingt-trois articles de la Punctation d'Ems (1786), qui tend à réduire les pouvoirs des papes à leurs attributions du iiie s. Instrument de lutte intérieure, le joséphisme apparaît également comme un article d'exportation.
La politique extérieure
Le but de cette politique est d'assurer plus de cohésion à ses États, d'arrondir ses possessions en suivant non plus l'esprit de l'Aufklärung, mais les principes les plus traditionnels de l'ambition monarchique : question allemande, politique des partages, question d'Orient, autant d'éléments à considérer successivement.
Le premier élément, qui tourne autour de la Bavière, objet des convoitises de l'empereur, a débuté au temps de la régence, Joseph II ayant épousé en secondes noces la fille de l'Électeur Maximilien III Joseph, mort en 1777 sans laisser d'héritiers. La guerre éclate entre l'Autriche et la Prusse ; engagée en Amérique, la France reste neutre. Par la paix de Teschen (13 mai 1779), l'Autriche renonce à la succession de Bavière. En 1785, Joseph II reprend ses projets, essaie à la fois d'obtenir la libre navigation sur l'Escaut et le troc de la Bavière contre les Pays-Bas autrichiens. Nouvel échec du fait de l'appui tiède de la France et de la constitution en Allemagne d'une ligue des Princes (Fürstenbund) sous l'inspiration de Frédéric II. En 1788 éclate la révolution brabançonne, qui ruine la domination autrichienne aux Pays-Bas.
Le deuxième élément tourne autour de la crise polonaise, ouverte, après la mort d'Auguste III en 1763, par l'élection, sous la pression russe, de Stanislas-Auguste Poniatowski. Le traité de partage de février-mars 1772 entre l'Autriche, la Prusse et la Russie, véritable attentat contre le droit des gens, accorde à l'Autriche 2 300 000 âmes en Galicie orientale et la Petite Pologne moins Cracovie.
Le dernier élément traite des rapports avec les Turcs, au moment où la Russie de Catherine II fonce vers la mer Noire, qu'elle atteint au traité de Kutchuk-Kaïnardji (1774), l'Autriche obtenant en 1775 la Bucovine. L'idée d'un partage de l'Empire turc fait du chemin : Joseph II déclare la guerre aux Turcs en février 1788, mais la situation est mauvaise : le Saint Empire est en effervescence, et la Prusse est menaçante. Selim III succède en 1789 au faible Abdülhamid Ier. Laudon s'empare de Belgrade en octobre de la même année. L'empereur meurt le 20 février 1790. Une paix peu glorieuse est conclue à Sistova (Svištov) par Léopold II (4 août 1791), au moment où, mettant en jeu principes et territoires, va s'ouvrir le grand conflit qui opposera l'Autriche des Habsbourg à la France révolutionnaire, qui a rejeté les Bourbons.
Le joséphisme
« Dans quelle mesure les différentes mesures qui constituent l'œuvre de Joseph II forment-elles un système coordonné méritant le nom de joséphisme, concept désignant un mythe ou plutôt deux mythes antagonistes, objet lui-même de bien des vicissitudes ? » (R. Bauer.) On s'accorde aujourd'hui à penser que les réformes de Joseph II ont été le couronnement et l'aboutissement d'une évolution fort longue, la personnalité de l'empereur disparaissant derrière la trame de la conjoncture politique, administrative, religieuse alors dominante dans l'Europe. Ce n'est plus l'empereur, mais le contenu spirituel lui-même auquel on a donné son nom qui est maintenant mythifié : d'un côté, le baroque autrichien, impérial, aristocratique, catholique et terrien ; de l'autre, le joséphisme anticatholique, voltairien, fébronien, laïque, voire libéral et étatique.
En fait, les idées de Joseph II, aussi éloignées de la philosophie du Siècle des lumières que du libéralisme d'inspiration française ou de l'utilitarisme britannique, aboutissent à renforcer l'absolutisme monarchique à l'image d'un empereur fonctionnaire, serviteur de l'État, épousant le germanisme par nécessité administrative, au sein d'un État supranational, ennemi des privilèges de la noblesse terrienne et courtisane, favorisant la naissance, difficile et tardive, d'une bourgeoisie nouvelle, support d'une vie intellectuelle rénovée, s'imposant d'elle-même à l'Église, dans laquelle elle voit une institution d'État, le prêtre étant considéré comme un professeur de morale et un administrateur – tolérant – des âmes.
Ainsi s'expliquent et la complexité de la notion de « joséphisme », qui a été souvent l'objet d'interprétations partisanes et passionnées, et les résistances diverses – sociale, linguistique, religieuse, nobiliaire, économique – qu'a rencontrées l'empereur face à une société dont il voulait faire le bonheur et qui ne l'aimait pas. Plus que la nécessité du changement inéluctable, au moment des grandes mutations structurelles de l'Occident européen, c'est cependant la méthode employée par Joseph II (rupture brutale avec le passé) qui a fait l'objet des critiques les plus vives. Mais, était-il possible de faire autrement pour créer un État moderne, pour affirmer dans la bureaucratie la synthèse des forces rationnelles (M. Weber), pour éveiller au sein des différents peuples une conscience nouvelle dans une tentative – peut-être utopique – d'État supranational et autour d'une capitale, Vienne, en plein éclat, pour libérer l'homme tout en assurant la prospérité de tous, ?