Italie : littérature italienne
1. Introduction
En raison de son morcellement politique, l'Italie voit tardivement se constituer une littérature nationale qui alternera périodes de renouveau, décisives pour la culture européenne – le xve s. –, et périodes de marasme – le xviie s.–, et qui posera périodiquement le problème de la langue, lié à celui de l'unité et de l'identité italiennes.
2. Les origines de la littérature italienne
2.1. Introduction
Si l'Italie n'a réalisé son unité politique qu'à la fin du xixe s., son unification linguistique est encore en cours. Il en résulte d'une part que, parmi les littératures romanes, la littérature italienne est la plus riche en œuvres dialectales de premier plan, et d'autre part que les problèmes poétiques, rhétoriques et esthétiques y ont toujours été subordonnés au débat sur la norme linguistique. Débat certes tranché dans les faits, moins d'un siècle après la naissance de la littérature italienne en langue vulgaire, par les chefs-d'œuvre de Dante Alighieri et de Pétrarque, mais tranché antithétiquement. Au-delà, en effet, de la prééminence du toscan que consacrent durablement ces deux œuvres, deux postulations linguistiques contradictoires s'y affirment et s'y opposent : l'une, sélective, de raréfaction lexicale et de rigoureuse codification morphologico-syntaxique (Pétrarque), l'autre, proprement démiurgique, de plurilinguisme et de contamination stylistique à l'intérieur même des structures historiques du toscan littéraire (la Divine Comédie de Dante). Cependant, dans les deux cas, c'est à la poésie qu'est assignée une fonction hégémonique dans la genèse de la langue littéraire italienne. D'où le caractère aristocratique que celle-ci gardera pendant des siècles, koinê utopique d'une idéale societas littéraire, tandis qu'à de rares exceptions près, du reste largement tributaires de modèles latins (Boccace), la prose de langue vulgaire connaîtra un procès d'unification beaucoup plus lent, témoignant du morcellement, des contradictions et des vicissitudes historiques des multiples sociétés (dialectales) italiennes.
Le prestige culturel et l'autorité administrative du latin ont, plus longtemps que partout ailleurs, retardé en Italie l'élaboration écrite de la langue vulgaire. Les premiers documents (i placiti cassinesi) attestant une émancipation volontaire du vulgaire à l'égard du latin datent de 960. Mais il faut attendre ensuite la fin du xie s. pour en retrouver l'équivalent, et ce n'est qu'en 1224 que le vulgaire est haussé pour la première fois à la dignité de langue littéraire, dans le Cantique des créatures de saint François d'Assise. D'autre part, la déjà longue tradition épique et lyrique des littératures d'oïl et d'oc s'impose alors si fortement en Italie que, dans les cours septentrionales, nombre de poètes italiens composent directement en provençal (Lanfranco Cigala [ou Cicala], Sordello). C'est en Sicile (Palerme et Messine), à la Magna Curia de l'empereur Frédéric II (1194-1250), que naît la première école poétique proprement italienne, fondée sur une transcription de la poétique provençale à travers une stylisation artistique du dialecte sicilien (Frédéric II, son fils Enzo, roi de Sardaigne, Pietro della Vigna, Giacomo da Lentini, Rinaldo d'Aquino, Odo delle Colonne, Giacomino Pugliese, Cielo d'Alcamo).
Avec le déclin de la cour souabe après la bataille de Bénévent (1266), la Sicile cède sa prépondérance culturelle à la Toscane, où la recherche poétique de l'école précédente est poursuivie, avec plus de complexité et de raffinement par Guittone d'Arezzo, dont le lyrisme érotique cède le pas à partir de 1266, date de son entrée dans les ordres, à une tragique inspiration religieuse. Le discrédit jeté sur lui par Dante (De vulgari eloquentia) et la naissance du mouvement du dolce stil nuovo, qui doit son nom à Dante (Purgatoire), fondé par Guido Guinizelli (avant de trouver son unité dans l'amitié liant, autour de Dante et de Cavalcanti, un groupe de jeunes poètes florentins et toscans, dont Lapo Gianni, Gianni Alfani, Cino da Pistoia). Fondée sur un aristocratique mysticisme amoureux, leur poésie célèbre dans une atmosphère de perpétuel émerveillement les vertus rédemptrices de la femme aimée, non sans exprimer parfois, en particulier chez Cavalcanti, l'angoisse existentielle du désir. À leur poésie quintessenciée, on a coutume d'opposer l'idéal bourgeois et les outrances réalistes de la poésie comique, qu'illustrent Folgore da San Gimignano (xiiie-xive s.), l'Arétin Cenne da la Chitarra (mort en 1336), le Florentin Rustico di Filippo (vers 1235-vers 1300), le Siennois Cecco Angiolieri et Dante lui-même. Il importe cependant de ne pas oublier que le comique n'est qu'un des styles prescrits par la rhétorique médiévale, et que la plupart de ces poètes ont à la même époque écrit des poésies s'inspirant des préceptes les plus raffinés du dolce stil nuovo.
2.2. La poésie religieuse italienne
La poésie religieuse que suscita la réforme franciscaine en Ombrie jouit d'une très large faveur populaire qui la priva de toute postérité littéraire en vertu des préjugés aristocratiques de la culture officielle. Les Laude, parmi lesquels Dame de Paradis (ou Lamentation de la Madone), de Jacopone da Todi n'en sont pas moins des chefs-d'œuvre d'intensité dramatique. La poésie religieuse et didactique est également florissante dans l'Italie septentrionale (Girardo Patecchio, Uguccione da Lodi, Bonvesin de la Riva, Giacomino da Verona).
2.3. Marco Polo et le français
Alors que Brunetto Latini et Rustichello da Pisa choisissent le français, l'un pour rédiger l'encyclopédie en prose de son Trésor, l'autre pour transcrire le Livre des merveilles du monde (dit encore Il Milione, ou le Devisement du monde) de Marco Polo, le Bolonais Guido Faba (ou Fava) [vers 1190-1243] s'appliqua à fonder la prose d'art italienne (Gemma purpurea, Parlamenta e epistole), et, dans ses épîtres, Guittone d'Arezzo exploite les ressources d'éloquence de la langue vulgaire. Enfin, à un moindre degré d'élaboration rhétorique, le Novellino, anonyme recueil florentin de récits et de légendes, constitue le plus riche répertoire linguistique de la prose populaire écrite au xiiie s.
3. La littérature italienne au xive s. : Dante, Pétrarque et Boccace
3.1. Dante, Pétrarque, Boccace et leurs imitateurs
Consacrés classiques de leur vivant même, Dante, Pétrarque et Boccace font du xive s. un siècle décisif dans l'histoire de la langue et de la littérature italienne. Leur œuvre a été investie pour des siècles du prestige doublement mythique de l'origine et de la perfection. Alors que la puissance des gibelins décline et que s'affirment de nouveaux États indépendants, Dante Alighieri s'interroge sur le sens de la littérature. Avec Vita nuova (vers 1294), il se livre à une analyse critique de son expérience d'écrivain représentatif du stil nuovo, puis, avec la Divine Comédie (1306-1321), il fait de la poésie un instrument de connaissance active du monde, au même titre que les autres disciplines. Tout en restant critique à l'encontre du monde antique, Pétrarque cherche dans la tradition gréco-latine une riposte à l'effondrement de la civilisation médiévale. Son œuvre en fait le premier grand humaniste de la Renaissance, mais il est aussi un poète inspiré, avec le Canzoniere (publication posthume, 1470), qui réunit des sonnets en toscan dédiés à Laure de Noves. Dans la même perspective, Boccace s'efforce d'offrir de nouvelles valeurs à un individu libéré du poids de la hiérarchie féodale, à travers son Décaméron (1348-1353). Il connaîtra une longue crise religieuse, illuminée par l'amitié qui le lie à Pétrarque, et ses méditations seront nourries d'études austères, notamment de la culture latine et grecque. Sa démarche s'inscrit dans un phénomène qui caractérisera toute une époque : l'humanisme. Aussitôt érigée en modèle, la trilogie des grands Toscans du xive s. a été le plus puissant facteur d'unification de la langue et de la littérature italiennes. En contrepartie, la force de ces chefs-d'œuvre a confiné la plupart des auteurs du siècle dans l'imitation. Imitation de Dante : Fazio degli Uberti (les Dits du monde), Federico Frezzi (mort en 1416, Il Quadriregio), Iacopo Alighieri (fils de Dante, mort en 1348, Il Dottrinale). Imitation de Pétrarque : Sennuccio Del Bene (vers 1275-1349), Matteo Frescobaldi (mort en 1348), Fazio degli Uberti. Imitation de Boccace : Giovanni Sercambi et Ser Giovanni Fiorentino (Il Pecorone), dont l'inspiration puise aussi à des sources plus populaires. Le noble florentin Franco Sacchetti affirme cependant une personnalité originale, faite de bon sens, de réalisme et d'humour, aussi bien dans ses Lettres, dans ses poésies (dont est célèbre la ballade « O belles bergères montagnardes »), ses méditations religieuses (Présentations de l'Évangile) que surtout dans son recueil de 300 Nouvelles, dont seules 223 nous sont parvenues.
3.2. La prose historique italienne du xive s.
La prose historique s'élabore également à cette époque à Florence, qui donne le jour à deux grands chroniqueurs. La Chronique de Giovanni Villani, de structure encore médiévale, part de la tour de Babel pour s'interrompre l'année de la mort de son auteur, tandis que la Cronica delle cose occorrenti ne' tempi suoi de Dino Compagni se limite à la période contemporaine (1280-1312) et est animée par une vive passion politique alliée à un art consommé de la narration. D'autre part, l'anonyme Vita di Cola di Rienzo, écrite en dialecte romain, en dépit d'une certaine rigidité d'exposition, est un des chefs-d'œuvre de la prose du xive s.
3.3. La littérature religieuse italienne du xive s.
La littérature religieuse contemporaine est aussi riche qu'originale et contribue largement au raffinement de la langue vulgaire. En particulier : les Fioretti di san Francesco, écrits par un anonyme florentin, les Vite dei Santi Padri, du Pisan Domenico Cavalca (vers 1270-1342), et le recueil de sermons (Specchio di vera penitenza) du dominicain florentin Iacopo Passavanti (vers 1302-1357). Il Dialogo della Divine Provvidenza et les 381 Lettres [dont la plus justement célèbre relate à Raimond de Capoue la décollation de Niccolo da Toledo] de sainte Catherine de Sienne méritent une place à part, la plus haute, pour l'énergie du style et la ferveur mystique qui les enflamme.
4. La littérature italienne au xve s. : l'humanisme
4.1. Les premiers textes italiens en langue vulgaire
La mort de Boccace (1375) fut ressentie par ses contemporains comme la fin d'une époque. La culture vulgaire subit incontestablement une période de crise à la fin du xive s. et au début du xve s., tandis que la découverte de manuscrits classiques enflamme la passion des premiers humanistes pour pour les œuvres de l'Antiquité gréco-latine. Si les historiens de la civilisation choisissent volontiers la date de 1492 (découverte de l'Amérique, mort de Laurent le Magnifique) comme terme du premier âge humaniste qui s'ouvre alors, une véritable révolution s'effectue dans l'histoire de la langue et de la littérature italiennes dès 1470, avec l'impression des premiers textes en langue vulgaire : 1470, édition vénitienne du Canzoniere de Pétrarque ; 1471, édition vénitienne du Décaméron de Boccace ; 1472, trois éditions de la Divine Comédie de Dante (Foligno, Mantoue, Venise). La naissante industrie éditoriale rend, à partir de 1470, tout son lustre à la tradition littéraire italienne, tout en contribuant à l'élaboration d'une norme, aussi bien grammaticale que lexicale, et du contact même avec les chefs-d'œuvre de l'Antiquité. En fait, c'est moins contre la langue vulgaire que contre la latinité médiévale que s'exerçait l'action des humanistes. Et, après une incontestable période de crise que subit la culture vulgaire à la fin du xive s. et au début du xve s., au moment de plus grande ferveur archéologique des premiers philologues classiques (découverte par Pétrarque des Lettres à Atticus de Cicéron ; par Coluccio Salutati de son recueil Ad familiares ; par le Pogge de L'Institutio oratoria de Quintilien, des Silves de Stace et du De nature rerum de Lucrèce), il était dans la logique de l'humanisme de restituer indirectement la littérature de langue vulgaire à une nouvelle dignité, par la critique du concept médiéval d'autorité, par l'identification de l'homme à sa liberté, et à travers une expérience rhétorique enrichie au contact direct des chefs-d'œuvre de l'Antiquité. Malgré la médiocrité des concurrents qui y participent, le concours poétique en langue vulgaire qu'organise à Florence Leon Battista Alberti (Certame coronatio) témoigne d'une nouvelle autonomie des lettres italiennes, préludant au triomphe, avec Laurent de Médicis (1449-1492) et le Politien, de ce qu'on a appelé l'humanisme vulgaire.
Le grand centre de la philologie et de l'érudition humanistes fut Florence, avec Coluccio Salutati (1331-1406), le Pogge, Marsile Ficin, traducteur (en latin) et exégète de Platon et de Plotin, auteur de la Théologie platonicienne sur l'immortalité de l'âme (1482), et le génial Pic de La Mirandole (Heptaplus, 1489, De ente et uno, 1492), qui réussit en moins de trente ans à assimiler la science la plus vaste de temps, y compris la connaissance l'arabe et de l'hébreu. À Rome se distinguent Giulio Pomponio Leto et Flavio Biondo (1392-1463) (Roma instaurata, Roma triumphans, Decades), et à Naples Giovanni Pontano (Lepidina, De amore coniugali). L'Hypnerotomachia Poliphili (1499) enfin, de Francesco Colonna, est l'exemple plus saisissant de parodie linguistico-stylistique de la latinité en prose vulgaire.
D'autre part, si Leon Batista Alberti écrit en latin son De re aedificatoria, il rédige en italien le traité Della pittura (1436) et les trois livres Della famiglia (1443). De même le Napolitain Iacopo Sannazzaro doit sa gloire moins à sa virtuosité de versificateur latin (Eclogae piscatoriae, 1486, Elegiarum libritres, v. 1500, De partu Virginis, 1526), qu'à son roman pastoral italien l'Arcadie (1504), inspiré de Boccace, comme le Novellino, édité après la mort de son auteur, Masuccio Salernitano (vers 1415-1475). Quant à Léonard de Vinci, qui proclamait volontiers son ignorance des « lettres », il ne recourut jamais qu'au vulgaire, bien pour son Trattato della pittura, que pour ses Pensieri. Saint Bernardin de Sienne et Jérôme Savonarole comptent également parmi les plus grands prosateur du siècle.
4.2. La production poétique italienne de langue vulgaire
De qualité inégale, la production poétique de langue vulgaire est au xve s. fort abondante et puise largement dans le répertoire populaire (Sacre rappresentazioni : chansonnettes giustiniane du Vénitien Leonardo Giustinian [vers 1388-1446], genre burchiellesco, dérivé du surnom – Burchiello – de son fondateur, le barbier florentin Domenico di Giovanni [1404-1449]). Ces traditions populaires étaient vivement appréciées dans l'entourage de Laurent de Médicis, et l'œuvre éclectique de celui-ci en conserve mainte trace à côté d'éléments empruntés à culture néo-platonicienne contemporaine (Altercazione, Selve d'aurore, Rappresentazione di San Giovanni e Paolo, Caccia col falcone, peinture de la cour médicéenne, Beoni, catalogue plus grands buveurs du temps, Nencia da Barberino, idylle rustique d'un grâce bouffonne, Canti carnascialeschi, Ambra, Corinto), alors que dans les Stanze du Politien cette même cour médicéenne est idéalisée avec un art d'une extrême subtilité. C'est également en Toscane que renaît la vogue populaire des poèmes chevaleresques français, qui, de transposition en transposition, aboutiront au chef-d'oeuvre de l'Arioste, le Roland furieux : d'Antonio Pucci (vers 1310-1388) à Andrea da Barberino (vers 1370-vers 1431, I Reali di Francia, en prose) et Luigi Pulci (Il Morgante), jusqu'à l'Orlando innamorato de l'aristocrate émilien Boiardo, dernier relais avant le Roland furieux.
5. La littérature italienne au xvie s. : la Renaissance
5.1. La langue de la littérature italienne : le choix du toscan
Si l'expédition de Charles VIII (1494) inaugure pour l'Italie plusieurs siècles de morcellement politique et de domination étrangère, la conscience d'une unité culturelle italienne ne cesse désormais de s'affirmer à travers même les innombrables polémiques, linguistiques et esthétiques, qui caractérisent la vie intellectuelle du xvie s. Celle-ci se partage inégalement entre les nombreux petits États – républiques ou principautés – qui assurent une existence parfois brillante, mais souvent précaire, aux écrivains courtisans, employés à des fonctions administratives ou diplomatiques. L'instabilité de ces emplois est grande, et les échanges fréquents entre les cours. le Tasse par exemple, né à Sorrente de père bergamasque et de mère napolitaine, mais d'origine toscane, passa sa jeunesse à Salerne, Rome, Urbino, Venise, Padoue et Bologne avant de s'établir, provisoirement, à Ferrare. La plupart des cours favorisent souvent l'essor d'académies qui, luttant contre les citadelles conservatrices de la latinité que sont les universités, travaillent à la diffusion de la langue et de la littérature italiennes et, sans porter encore atteinte au primat du latin, l'édition de textes en langue vulgaire progresse rapidement.
Outre les polémiques proprement littéraires à propos de Pétrarque et du pétrarquisme, de Dante et de Boccace, outre la violente querelle éthicopolitique d'Annibale Caro et de Lodovico Castelvetro (1505-1571), et celle qui opposa aux fervents du Tasse ses détracteurs aristotéliciens, le débat central du xvie s. porte sur le « problème de la langue ». La norme sera-t-elle celle, empirique et pluridialectale à prédominance toscane, qui régit l'usage des cours (cf. B. Castiglione, il Calmeta, le Trissin) ? Adoptera-t-on (Machiavel, P. Giambullari) le florentin moderne ? le toscan (C. Tolomei [vers 1492-1556]) ? Les Proses de la langue vulgaire (1525) de Pietro Bembo, dont l'influence fut décisive, tranchent en faveur de la tradition littéraire toscane, passée au crible d'un purisme rigoureux.
La langue littéraire a désormais acquis une telle autonomie et un tel degré de normalisation qu'elle peut se permettre de jouer, à des fins parodiques, avec ses origines latine et dialectale. Triple contamination qui fait toute la saveur de la poésie macaronique (dont le ressort comique tient à l'insertion de formes italiennes et dialectales dans un contexte latin), genre né au siècle précédent et qui a son chef-d'œuvre dans le Baldus (1517) de Merlin Cocai, pseudonyme de Teofilo Folengo, l'un des maîtres de Rabelais et également l'auteur de Orlandino, la Moschaea, la Zanitonella, Il Caos del Triperuno. Le style pédantesque, ou fidenziano (de Fidenzio, pseudonyme de Camillo Scroffa [1526-1565]), qui consiste en revanche à truffer de latinismes le discours italien, sert aux innombrables caricatures de pédants qui peuplent la comédie du xvie s. (Il Pedante de Francesco Belo, 1529, Il Marescalco de l'Arétin, 1533, Il Candelaio de Giordano Bruno, 1582). Le dialecte enfin est fréquemment utilisé au théâtre pour diversifier et accentuer les « caractères », comme dans l'anonyme comédie vénitienne La Veniexiana, et entièrement dialectale est l'œuvre de l'acteur et auteur comique padouan Angelo Beolco, surnommé Ruzzante, puissant metteur en scène de la condition paysanne et génial précurseur de la « commedia dell'arte » (Pastorale, La Moscheta, La Fiorina, Anconitana, La Piovana, Vaccaria et trois Dialoghi dont le premier, Parlamento de Ruzzante che fera vegnu de campo, est une démystification de la guerre).
5.2. Le théâtre italien au xvie s.
Le théâtre est alors avant tout un divertissement de cour. Les auteurs comiques empruntent au répertoire gréco-latin des intrigues et des situations toutes faites, qu'ils se contentent de combiner, voire de compliquer à l'envi, et la production est aussi abondante que monotone. Méritent cependant une mention : La Calandria (1513), du cardinal Bernardo Dovizi, dit le Bibbiena, Gl'Ingannati, d'un anonyme siennois (1531), Il Vecchio amoroso, de Donato Giannotti (1492-1573), Gli Straccioni, d'Annibale Caro, le Siennois Anton Francesco Grazzini, dit il Lasca, le Florentin Giovanni Maria Cecchi (1518-1587), le Napolitain Giambattista Della Porta, outre bien sûr l'Arioste, l'Arétin et Machiavel, dont la Mandragore (1518) est le chef-d'œuvre du genre. La tragédie, inaugurée en 1515 par la Sofonisba du Trissin, est prisonnière d'une trop stricte observance de la poétique aristotélicienne. Le Discorso sulle commedie e sulle tragedie (1554) de Giambattista Giraldi Cintio (1504-1573) relance, en s'inspirant de Sénèque, la vogue de l'horrible, où s'illustre Sperone Speroni. Le drame pastoral, d'abord conçu comme simple intermède (cf. l'Orfeo du Politien et la Tirsi de B. Castiglione), conquiert son autonomie en 1554 avec le Sacrificio d'Agostino Beccari (vers 1510-1590), et ses lettres de noblesse avec l'Aminta (1573) du Tasse et Il Pastor fido (1590) de Battista Guarini. À Florence enfin, à la Camerata de'Bardi, naît le mélodrame avec le concours du poète Ottavio Rinuccini, librettiste de la Dafne (1598) et de l'Euridice (1600) de Jacopo Peri ainsi que de l'Arianna (1608) de Claudio Monteverdi.
5.3. Un nouvel idéal humain au xvie s.
L'élite des cours élabore à son propre usage un nouvel idéal humain qu'incarne le Courtisan (1528) de B. Castiglione. Dans le Galateo (1555), Giovanni Della Casa fixe le code des bienséances. La casuistique amoureuse, le dialogue humaniste et la nouvelle comptent également parmi les passe-temps rituels des cénacles courtisans : Agnolo Firenzuola (Ragionamenti d'amore, Discorsi della bellezza delle donne, Prima veste dei discorsi degli animali), Giambattista Gelli (La Circe, I Capricci del bottaio), Matteo Bandello, le plus célèbre et le plus licencieux conteur du siècle. Le Cene (vers 1540) de Grazzini et Le Piacevoli Notti (1550-1553) de Giovan Francesco Straparola puisent à des sources plus populaires, et les Ecatommiti (1565) de Giraldi, auquel Shakespeare emprunta la trame d'Othello, confirment le goût de l'horrible qu'il préconisait déjà pour la tragédie.
5.4. La réflexion politique et historique italienne au xvie s.
Les vicissitudes de l'Italie contemporaine sollicitent avec urgence la réflexion politique et historique, où s'illustre Machiavel. Si l'incompréhension à laquelle celui-ci se heurte est d'ordinaire d'ordre moral ou religieux, dans ses Considerazioni sui Discorsi del Machiavelli (1527-1529) François Guichardin le réfute sur le plan de l'objectivité politique, en contestant le bien-fondé de son perpétuel recours à l'histoire romaine. S'il n'a pas le génie conceptuel de Machiavel, Guichardin possède une plus vaste expérience des affaires publiques, qui, alliée à une plus grande modernité d'écriture et de composition, fait tout le prix de ses Ricordi politici e civili et de l'Histoire de l'Italie, dont l'exposé (1492-1534) complète celui des juvéniles Storie fiorentine (1378-1509) et des Cose fiorentine (1375-1441). Par ailleurs, l'historiographie est de caractère trop souvent régional ou hagiographique (Istorie della citiez di Firenze de Iacopo Nardi [1476-1563], Storia fiorentina de Benedetto Varchi). La théorie politique dans ses rapports avec l'éthique fait l'objet de Della perfezione nella vita politica (1579) de Paolo Parutta (1540-1598) et de Ragion di Stato (1589) de Giovanni Botero. Les Vies d'artistes italiens (1550) de Giorgio Vasari sont un texte fondamental dans l'histoire de la critique d'art.
5.5. Individualisme et aventure : les Mémoires
Les documents abondent qui jettent une vive lumière sur l'instabilité de la société du xvie s., fondée sur l'individualisme et l'aventure. Parmi les plus remarquables : les Mémoires de Benvenuto Cellini, les Lettres de l'Arétin, celles de Anton Francesco Doni (1513-1574) et, à un moindre degré, celles d'Annibale Caro, célèbre d'autre part pour sa traduction de l'Énéide.
5.6. La poésie lyrique italienne au xvie s.
À l'exception de Michel-Ange, les poètes lyriques sont entièrement assujettis aux modèles pétrarquesques : Bembo, Gaspara Stampa (1523-1554), Vittoria Colonna (1490-1547), Galeazzo di Tarsia (1520-1553), Luigi Tansillo, Giovanni Della Casa. Giovanni Rucellai (1475-1525), Luigi Alamanni (1495-1556) et Tansillo composent en vers libres des traités d'agriculture et d'élevage dans la tradition des Géorgiques, et Francesco Berni (Orlando innamorato) représente avec brio la poésie burlesque. Au nom de la poétique aristotélicienne, récemment remise à l'honneur, le poème épique est au centre de nombreuses polémiques, et la tyrannie des règles contraint fâcheusement l'inspiration de Trissino (L'Italia liberata dai Goti), d'Alamanni (Girone il Cortese, l'Avarchide) et de Giraldi (Ercole). Le chef-d'œuvre poétique du siècle n'en est pas moins le Roland furieux de l'Arioste, expression la plus harmonieuse des idéaux esthétiques de la Renaissance. Quant à la vie et à l'œuvre du Tasse, elles appartiennent déjà, à maint égard, à la civilisation qui, issue de la Contre-Réforme, allait conduire au triomphe du baroque.
6. La littérature italienne au xviie s. : l'âge baroque
Plus encore que du discrédit jeté sur le baroque par le néo-classicisme, la littérature du xviie s. a longtemps souffert de préjugés d'ordre moral et politique. De De Sanctis à Croce, au nom de la « Nouvelle Italie » une, laïque et indépendante, on lui a reproché d'être l'expression d'une société figée, asservie à l'Église depuis le concile de Trente (1545-1563) et à l'étranger depuis le traité du Cateau-Cambrésis (1559). En fait, si la littérature baroque n'innove guère linguistiquement, elle se signale par une extraordinaire expérimentation rhétorique, accompagnée d'une vaste réflexion sur la rhétorique elle-même. Son conservatisme linguistique d'autre part est lié à l'œuvre de lexicographie la plus systématique qui ait été jusqu'alors entreprise en Europe : le Dictionnaire de l'Académie della Crusca (fondée en 1582 et réformée en 1583 par Leonardo Salviati), publié en 1612, 1623 et 1691. Ouvrage dont le purisme archaïsant suscita nombre de résistances, mais qui contribua puissamment à unifier la langue littéraire italienne. Celle-ci commence à supplanter le latin même dans le domaine scientifique, en particulier avec Galilée, que, pour cette raison, Kepler accuse de « lèse-humanité ». Le dialecte, qui régit toujours l'usage parlé, n'apparaît dans les textes qu'à des fins proprement littéraires. Ainsi du célèbre recueil de fables napolitaines dont s'inspira Perrault, Il Cunto de li cunti de Giambattista Basile, par ailleurs mariniste des plus raffinés. Bertoldo et Bertoldino, de G. C. Croce, fait exception : œuvre populaire écrite dans sa langue par un homme du peuple.
6.1. Le marinisme
Si l'on excepte Giordano Bruno et T. Campanella, que leur génie visionnaire place au-dessus des genres, le phénomène poétique le plus spectaculaire du siècle, celui du moins auquel on assimile d'ordinaire le baroque littéraire italien, fut le marinisme. L'art de Giambattista Marino, en effet, a influencé aussi bien l'écriture de ses admirateurs les plus proches (Girolamo Preti, 1582-1626, Claudio Achillini, 1574-1640) que celle de ses ennemis (Tommaso Stigliani, 1573-1651). Excepté Ciro Di Pers (1599-1663) et le jésuite napolitain Giacomo Lubrano (1619-1693, Scintille poetiche), la plupart des marinistes se distinguent de Marino par une originalité moins poétique que thématique, un goût exacerbé du bizarre saisi dans ses manifestations les plus quotidiennes, la passion de l'actualité (machines, architectures et catastrophes naturelles) et d'infinies variations sur le thème de la beauté paradoxale (« la belle édentée », « la belle bègue », « la belle boiteuse », « la belle pouilleuse », etc.) : Gian Francesco Maia Materdona (de Lecce), les deux frères napolitains Lorenzo et Pietro Casaburi, Antonio Muscettola (1628-1679), Marcello Giovannetti (1598-1631), Scipione Errico (1592-1670), Girolamo Fontanella (1610-1644), Ludovico Leporeo (1582-vers 1655), Francesco Melosio (1609-1670), Lodovico Tingoli (1602-1669), Maffeo Barberini (Urbain VIII, 1568-1644), Giambattista Manso (1561-1641), Giuseppe Artale (1628-1679), Antonio Bruni (1593-1635). Dans une tradition plus classique, où le baroque se tempère en préciosité et s'anime d'intentions morales, Gabriello Chiabrera (1552-1638) et Giovanni Ciampoli (1589-1643) font école, suivis de Fulvio Testi, Alessandro Guidi (1650-1712) et Vincenzo da Filicaia (1642-1707). Le poème épique sacrifie pesamment aux conventions (Gabriello Chiabrera, Gotiade, Francesco Bracciolini, Croce racquistata, Girolamo Graziani, Il Conquisto di Granata), tandis que le poème héroï-comique d'Alessandro Tassoni, La Secchia rapita, est d'une grandiose bouffonnerie. Iacopo Soldani (1579-1641) et le peintre napolitain Salvator Rosa excellent dans la satire. Bacco in Toscana de Francesco Redi est un des chefs-d'œuvre de la poésie burlesque italienne.
Après la satire antiaristotélicienne conduite par Traiano Boccalini (1556-1613) dans ses Ragguagli di Parnaso et la critique de Pétrarque par Tassoni, la poétique de Marino fut au centre des plus vives polémiques littéraires (cf. l'Occhiale de Stigliani). Vers le milieu du siècle, celles-ci font place à une réflexion plus sereine et plus ample sur la rhétorique, avec Matteo Pellegrini (1595-1652, Delle acutezze), Pietro Sforza Pallavicino (1607-1667, Considerazione sopra l'arte dello stile e del dialogo) et surtout Emmanuele Tesauro (1592-1675, Il Cannocchiale aristotelico), génial théoricien d'une prodigieuse érudi-tion. Secondo Lancellotti (1583-1643) dans l'Oggidi se fait le Il Cannocchiale aristotelico), génial théoricien d'une prodigieuse érudition, se fait le champion inconditionnel de la modernité. Daniello Bartoli, qui selon Leopardi est à la prose ce que Dante est à la poésie, a laissé une œuvre immense allant de l'éloquence sacrée à l'histoire, de l'essai rhétorico-philosophique au traité scientifique (Della storia della Compagnia di Gesù, L'Uomo di lettere difeso ed emendato, La Ricreazione del savio, Del ghiaccio e della coagulazione). L'Istoria del Concilio tridentino de Paolo Sarpi (1552-1623) et l'Istoria del Concilio di Trento du cardinal Pietro Sforza Pallavicino, réfutation de la précédente, sont des textes essentiels à l'interprétation de la Contre-Réforme. Le jésuite Paolo Segneri (1624-1692, Quaresimale) est le plus justement célèbre parmi les prédicateurs d'un siècle qui en fut aussi riche que d'épistoliers de talent.
Sur le modèle de Galilée, la prose scientifique italienne, encouragée par de remarquables académies (Accademia nazionale dei Lincei, fondée en 1603 par Federico Cesi, Accademia del Cimento, fondée en 1657 par Léopold de Médicis), est illustrée par Francesco Redi (Osservazioni intorno aile vipere, Expériences sur la génération des insectes),
6.2. Le roman
Le roman, qui, à l'intérieur de structures chevaleresques, pastorales ou historiques, amalgame les expériences stylistiques, politiques et existentielles les plus disparates, est de loin le genre le plus populaire de l'époque : Giovan Francesco Biondi (1572-1644, Eromena, La Donzella des terrata, Coralbo), Gian Francesco Loredano (1606-1661, Dianea), Giovanni Ambrogio Marini (le Calloandre fidèle), Francesco Fulvio Frugoni (Il Cane di Diogene), Girolamo Brusoni (1614-1686, Gondola a tre remi, Carrozzino alla moda, Peota smarrita).
6.3. Le théâtre
L'intense activité théâtrale du xviie s. se partage entre la « commedia dell'arte », le drame didactique d'inspiration religieuse et les tragédies ou comédies « régulières », bridées par la poétique aristotélicienne ou flattant le goût de « horrible », dérivé de Sénèque. Deux noms dominent la scène tragique : Federico Della Valle (ludit, La Reina di Scozia) et Carlo Dottori (1618-1685, Aristodemo), et pour la comédie : Michelangelo Buonarroti le Jeune, La Tancia, La Foire).
7. L'Arcadie et l'illuminisme (xviiie s.)
La fondation, en 1690, de l'académie des Arcades consacre et accélère le déclin de la poétique baroque. Cette académie, née à Rome dans l'entourage de Christine de Suède et sous l'autorité législatrice de Gian Vincenzo Gravina (1664-1718), se ramifie en de nombreuses « colonies » à travers toute l'Italie. Le retour au classicisme (Théocrite, Virgile, Sannazzaro), qu'elle préconise, ne s'oppose en fait au maniérisme baroque que pour créer une nouvelle « manière », archaïsante et pastorale, qu'illustrent entre tant d'autres Giovan Battista Zappi, Carlo Innocenzo Frugoni, Aurelio Bertola de Giorgi (1753-1798), Jacopo Vittorelli, Paolo Rolli, tandis que Métastase, disciple et successeur à la cour de Vienne de Apostolo Zeno, triomphe dans le mélodrame (Didone abbandonata, Ohmpiade, Demofoonte, La Clemenza di Tito, Temistocle, Attilio Regolo). Le Palermitain Giovanni Meli anime, par l'usage du dialecte, ce que l'inspiration arcadique pouvait avoir de trop compassé.
Mais l'« Arcadie » ne fut pas seulement un courant littéraire, à travers ses cénacles où se réunissaient librement les hommes les plus éclairés (de Vico à Goldoni, de Parini et Alfieri à Goethe). Elle contribua au renouvellement de la culture italienne qui coïncida avec l'illuminisme. Renouvellement dont les premiers effets se manifestent dans le domaine de l'érudition historique : Lodovico Antonio Muratori, Pietro Giannone, Girolamo Tiraboschi (1731-1794, Storia della letteratura italiana).
Si Vico est le plus grand penseur de son temps, il ignorait tout des langues vivantes, véhicules, en particulier le français et l'anglais, des nouvelles idées. Les principaux centre de l'illuminisme sont Milan et Naples. À Milan, l'économiste Pietro Verri fonde Il Caffe (1764-1766) le plus célèbre périodique cosmopolite, et le juriste Cesare Beccaria s'attire une renommée européenne avec Des délits et des peines. À Naples se distinguent Antonin Genovesi, Gaetano Filangieri, Francesco Mario Pagano (1748-1799, Del civile corso delle nazioni, tandis que l'abbé Ferdinando Galiani, formé dans les cercle illuministes napolitains, vécut dix ans à Paris, où il écrivit en français ses Dialogues sur le commerce des blés (1770).
Nombre des idées nouvelles confluent dans l'essai et la critique littéraires : Francesco Algarotti, Saverio Bettinelli, Melchiorre Cesarotti. Giuseppe Baretti, fondateur du périodique vénitien La Frusta Letteraria (1763-1765), brillant polémiste et remarquable lexicographe, écrivit en français son Discours sur Shakespeare et monsieur Voltaire (1777) et en anglais son Account of the Manners and Custon of Italy (1768).
C'est au théâtre que le xviiie s. italien doit ses chefs-d'œuvre, avec Goldoni pour la comédie et Alfieri pour la tragédie. Mais c'est au poète lombard Giuseppe Parini que revient le mérite d'avoir le premier ouvert le formalisme académique de l'« Arcadie » à l'expression d'une nouvelle conscience civile et moral annonçant ainsi, plus encore que néo-classicisme et le romantisme du Risorgimento, le « classicisme engagé » de Manzoni et de Leopardi, voire de Carducci, et autant par ses Odi (1758-1795) que pour son poème satirique la Journée, où la vanité de la noblesse contemporaine est illustrée à travers l'emblématique rituel quotidien, aussi frivole que harassant, d'un giovin signore et de sa dame (le Matin, le Midi, le Soir, la Nuit).
Au xviiie s. dominent les séduisantes autobiographies de Da Ponte (Mémoires, 1823-1827) et de Casanova (Mémoires, rédigés à partir de 1789).
8. La littérature italienne au xixe s.
8.1. Le romantisme
Le romantisme en Italie fut un produit d'importation, et relativement tardif. La querelle romantique s'engage en 1816 à propos d'un article de Mme de Staël, paru à Milan, Sulla maniera e Putilitet delle traduzioni, auquel fit écho la Lettera semiseria di Grisostomo de Giovanni Berchet. Au romantisme, la littérature italienne emprunte moins une esthétique ou une poétique que le concept de littérature nationale, interprété dans un sens soit politique (littérature comme instrument de la libération nationale), soit plus proprement linguistique : Manzoni fondant (anticipant) dans son œuvre (les Fiancés) la langue de la « Nouvelle Italie », fusion de la langue littéraire classique et du toscan parlé. D'autre part, les deux plus grands poètes italiens du xixe s., Foscolo et Leopardi, expriment les tourments d'une sensibilité romantique à l'intérieur d'une rhétorique rigoureusement classique, à l'école du néo-classicisme, qui coïncida en Italie avec la période de domination napoléonienne et dont la figure capitale fut le poète Vincenzo Monti, versificateur d'une grande fécondité et d'une remarquable habileté technique, auteur d'une traduction de l'Iliade (1810) qui fait date. Au même courant appartiennent Ippolito Pindemonte, traducteur de l'Odyssée (1822) et dédicataire des Sepolcri de Foscolo, et le puriste Pietro Giordani, célèbre pour avoir deviné le génie de Leopardi.
Les poètes qui s'engagèrent directement dans la bataille romantique furent avant tout des « poètes de la patrie » : Giovanni Berchet, Giuseppe Giusti, le dramaturge Giovanni Battista Niccolini, Gabriele Rossetti, Luigi Mercantini (1821-1872, L'Inno di Garibaldi), Arnaldo Fusinato (1817-1888), Goffredo Mameli, auteur de l'hymne national italien : Fratelli d'Italia.
Sans autre ambition que de représenter la société (même si Porta a formellement adhéré au mouvement romantique), deux poètes dialectaux de génie, pour la première fois dans la littérature moderne italienne, donnent la parole au peuple : plus théâtral et plus fabuleux le Romain Giuseppe Gioacchino Belli, auteur de plus de deux mille sonnets, plus réaliste et incisif le Milanais Carlo Porta.
8.2. L'histoire et la politique
L'histoire et la politique se partagent presque exclusivement la prose de l'époque. L'intérêt romantique pour le Moyen Age inspire, à la suite de Manzoni, Carlo Troya (1784-1858, Storia nel media evo), Gino Capponi (1792-1876, Storia della repubblica di Firenze), Cesare Balbo (1789-1853, Sommario della storia d'Italia), Cesare Cantu, tandis qu'une conception plus scientifique de l'histoire s'élabore à travers les travaux de Vincenzo Cuoco et de Carlo Cattaneo (1801-1869, Notizie naturali e civili sulla Lombardia). La réflexion politique, d'autre part, est pour l'essentiel l'œuvre d'hommes politiques, tels Giuseppe Mazzini, Vincenzo Gioberti, Cesare Balbo, Massimo d'Azeglio. Les mêmes préoccupations historico-politiques se retrouvent dans le roman, avec Tommaso Grossi, D'Azeglio, Francesco Domenico Guerrazzi, Giovanni Ruffini (1807-1881, Il Dottor Antonio) et surtout Ippolito Nievo, dont Confessions d'un octogénaire est un remarquable témoignage littéraire sur l'évolution de la société italienne contemporaine. Le Mie Prigioni de S. Pellico, I Miei Ricordi de Massimo D'Azeglio et les Ricordanze della mia vita de Luigi Settembrini (1813-1876) apportent une dimension héroïque ou didactique à l'autobiographie.
8.3. L'essoufflement de la poésie romantique
Vers le milieu du xixe s., la poésie romantique s'essouffle avec Aleardo Aleardi et Giovanni Prati. Entre 1860 et 1880, en Piémont et en Lombardie se constitue la « Scapigliatura », mouvement d'avant-garde ouvert aux influences symbolistes et promoteur d'une expérimentation linguistique parfois fort hardie : Carlo Dossi, Giovanni Faldella (1846-1928), Giuseppe Rovani, Emilio Praga (1839-1875), Arrigo Boito, génial librettiste de Verdi. Le Romain Cesare Pascarella (1858-1940) et le Napolitain Salvatore Di Giacomo enrichissent avec talent la tradition dialectale.
8.4. Le roman et le vérisme
Le roman est le miroir le plus riche de la nouvelle société italienne. Le vérisme a son théoricien en Luigi Capuana et son maître en Giovanni Verga. La bourgeoisie éduque ses enfants à la lecture de Pinocchio de Collodi, fait ses délices sentimentales de Cuore et de La Vita militare d'Edmond De Amicis, est déchirée par les cas de conscience des drames d'Antonio Fogazzaro et de Grazia Deledda. À l'image de celle-ci, la Napolitaine Matilde Serao et le Toscan Renato Fucini (1843-1921, All'aria aperta, Le Veglie di Neri) s'exercent avec bonheur dans le roman régional.
8.5. À l'aube de la littérature italienne moderne
Chantres de la Nouvelle Italie, dont De Sanctis est le père spirituel, Carducci, Pascoli et surtout D'Annunzio représentent le triple seuil au-delà duquel commence la littérature moderne italienne.
9. La littérature italienne au xxe s.
9.1. La littérature italienne et le fascisme
Le fascisme a moins divisé la culture italienne contemporaine qu'il ne l'a empêchée de se constituer comme telle. Pavese écrit en 1949 : « La culture italienne aujourd'hui n'existe pas : il existe une culture européenne, voire mondiale ; et l'on ne peut dire un mot valable que si l'on a digéré tout le contemporain. » Et pas plus qu'il n'existait de culture italienne, il n'existait avant la chute du fascisme de société littéraire italienne. La prolifération des revues littéraires au début du siècle et entre les deux guerres ne doit point faire illusion à cet égard : l'irrationalisme d'Il Leonardo (1903-1907), l'esthétisme de La Voce (1908-1916), le futurisme de Lacerba (1913-1915), le classicisme de La Ronda (1919-1923), le modernisme de Novecento (1926-1929), le nationalisme de l'organe fasciste Il Selvaggio (1924, chantre de « Strapaese ») ne touchent guère que des cercles restreints, sporadiques, et suscitent des polémiques aussi tapageuses qu'éphémères. Il en est de même du feu de paille du futurisme, dont Filippo Tommaso Marinetti rédige le premier manifeste dans le Figaro du 20 février 1909.
Étrange paradoxe au demeurant que cette naissance « française » d'un mouvement qui allait bientôt proclamer son nationalisme, puis son adhésion au régime mussolinien, tout en ayant hors d'Italie des répercussions de portée internationale. Une contradiction fondamentale est à l'origine de ce paradoxe, comme de tant d'autres qui caractériseront la vie littéraire italienne jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : autant la littérature italienne est alors riche en oeuvres et en écrivains de valeur, autant la culture italienne, sous la férule de Benedetto Croce, se révèle incapable de prendre conscience de ces valeurs et de renouveler ses instruments critiques à leur contact. Le cas de I. Svevo est en ce sens exemplaire : découvert in extremis, trente ans après ses débuts, par James Joyce, il fut consacré à Paris, comme plus tard Ungaretti et Pirandello. Trieste, patrie de Svevo et de Saba, ouverte à toutes les influences européennes et coupée de l'Italie, témoigne emblématiquement de l'isolement de la littérature moderne italienne entre les deux guerres. Isolement, de surcroît, non seulement culturel par rapport à la critique officielle, mais aussi de province à province, d'une ville à l'autre. Si bien qu'un découpage géographique de la littérature contemporaine italienne se révélerait souvent plus pertinent qu'un classement chronologique.
À Florence, cependant, au plus fort du raidissement dictatorial mussolinien, au sein des revues Solaria (1926-1936), puis Letteratura (1937) se regroupent des écrivains de toutes provenances qui, plutôt qu'une école, composent pour la première fois une authentique société littéraire italienne, de culture européenne et se réclamant de celle-ci dans sa résistance à la non-culture fasciste. C'est dans ce contexte qu'apparaissent les premiers écrits de Pavese et de Gadda, que se poursuit l'œuvre d'Umberto Saba et de Montale, que naît l'« hermétisme », mouvement qu'animent les poètes Mario Luzi, Carlo Betocchi (1899-1986), Alessandro Parronchi, Alfonso Gatto, Vittorio Sereni, Piero Bigongiari (1914-1997) et qui jette de façon décisive les bases de l'historiographie poétique du xxe s. (cf. P. Bigongiari, Poesia italiana del novecento, 1960, 0. Macri, Realtà del Simbolo, 1967) en s'interrogeant sur ses origines : de D. Campana et Saba à Arturo Onofri, Clemente Rebora, Vincenzo Cardarelli, Camillo Sbarbaro, Piero Jahier, Ungaretti, Montale et Quasimodo (tandis que dans le sillage de Sanguineti les néo-avant-gardes se cherchent plutôt des parentés du côté du futurisme, et surtout des « Crépusculaires » : Guido Gozzano, les Colloques, Sergio Corazzini, Corrado Govoni). C'est également à l'époque de « Solaria » que remontent les débuts de Gianna Manzini (1896-1974, La Lettera all'editore) et de la plus douée des romancières italiennes contemporaines : Anna Banti (Artemisia, Campi Elisi). Les romans d'Elsa Morante, L'Île d'Arturo, Mensonge et Sortilège) appartiennent au contraire à l'après-guerre.
9.2. La littérature italienne au milieu du xxe s.
Si l'on dresse un premier bilan de la littérature italienne du xxe s. à la veille de la libération, on s'aperçoit qu'elle a déjà produit nombre de ses textes fondamentaux. Au théâtre, avec Pirandello, avec Ungaretti et Montale, autour desquels gravite désormais la poésie moderne, dans le roman, avec Svevo (la Conscience de Zeno), Federigo Tozzi (Trois Croix, Il Podere), Giuseppe Antonio Borgese (Rubé), Corrado Alvaro (Gens en Aspromonte, Vent'anni), Buzzati (le Désert des Tartares), Aldo Palazzeschi (les Codes de Perelà, les Sœurs Materassi), Giovanni Comisso (Au vent de l'Adriatique, 1928, Jours de guerre, 1930), Riccardo Bacchelli (les Moulins du Pô), Alessandro Bonsanti (1904-1984, Racconto militare), Moravia, et s'ils ne les ont pas encore publiés en volume, Romano Bilenchi (1909-1989), génial précurseur du néo-réalisme et de Pavese, a déjà écrit ses Racconti, et Gadda la Connaissance de la douleur et l'Affreux Pastis de la rue des Merles. Mais, à cette date, si les textes existent, ils demeurent épars, ils n'ont pas encore été intégrés dans un contexte culturel unitaire qui fonde la littérature moderne italienne comme telle. Cette prise de conscience sera l'œuvre des générations suivantes. À cet égard, l'opération critique de G. Contini assignant à l'écriture de Gadda une fonction cardinale dans la littérature moderne italienne est historiquement aussi importante que l'œuvre entière de Pavese ou celle de Pasolini, pour ne citer que les plus grands. De même, en redécouvrant Palazzeschi, les néo-avant-gardes ont enrichi la bibliothèque des années 1960 de quelques-uns de ses plus beaux textes.
9.3. La littérature italienne après la Seconde Guerre mondiale
Le néoréalisme, qui marque le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, renouvelle, sous le signe de Gramsci et sous l'influence des romanciers américains, la tradition italienne du vérisme. Il se poursuit encore, bien au-delà de Pavese et de Vittorini, dans des œuvres comme celles de Moravia, d'Elsa Morante, de Pasolini et de Sciascia. Aux motivations existentielles, morales et politiques de ceux-ci s'oppose le goût de l'expérimentation linguistique de tout un courant de la littérature moderne italienne, qui trouve ses expressions les plus intéressantes chez Gadda et ses ancêtres parmi les « Scapigliati » lombards de la fin du xixe s., et dans le Groupe 63, dont Arbasino, Balestrini, Umberto Eco, Manganelli et d'autres auteurs parmi le plus importants de l'après-guerre ont fait partie. Malaparte propose un tableau de la guerre et de la vie moderne (la Peau, 1949). À partir de la moitié des années 1940, l'œuvre de Calvino incarne une autre tendance du renouvellement de la littérature italienne. En partant de positions « réalistes », il a revitalisé la veine fantastique de la narration italienne dans les structures de plus en plus sophistiquées de ses « machines ». L'histoire de la Sicile est prétexte pour Giuseppe Tomasi Di Lampedusa à recréer la saga d'une famille aristocratique sicilienne (le Guépard, 1958).
Outre la révélation d'un des romanciers les plus originaux, Paolo Volponi (Memo riche, La Macchina mondiale), les années 1960 voient le triomphe des poétiques et des œuvres d'avant-garde. Avant-garde comme pastiche chez Alberto Arbasino, comme divertissement linguistique chez Antonio Pizzuto, comme impasse expressive chez Tommaso Landolfi, comme révolution chez Edoardo Sanguineti, critique, poète, chef de file des Novissimi (Elio Pagliarini, Alfredo Giuliani, Nanni Balestrini, Antonio Porta) et romancier (Caprice italien, le Noble Jeu de l'Oye). Mais l'expérience poétique la plus radicalement révolutionnaire est sans doute celle du vénitien Andrea Zanzotto, conduite sous le double signe d'Holderlin et de Lacan (Derrière le paysage, 1951, la Beauté, 1968).
Le bouillonnement des années 1950 et 1960 s'étant épuisé, la littérature italienne semble plonger dans une crise qui a été exacerbée par l'avènement d'une société de consommation. Dominée par la télévision, elle envahit tous les domaines de la vie publique italienne d'une façon très particulière. Aujourd'hui, on peut toutefois remarquer différentes tendances qui expriment une forte résistance, ce qui permet d'espérer que la littérature puisse avoir un avenir même à l'époque « post-moderne ». Certains écrivains reprennent la leçon de Calvino (De Carlo, Del Giudice), d'autres mêlent leur écriture narrative à une grande culture, philosophique (Calasso, Corti, U. Eco, Magris) ou biblique (De Luca), d'autres encore fondent leur écriture sur les mécanismes qui règlent la « société du spectacle » (les Cannibales). De plus, on enregistre un renouveau du roman policier (Camilleri, Fois, etc.) et de la science fiction (Evangelisti) de même qu'une nouvelle vague dans la littérature féminine (Campo, Loy, Rasy). Quant à la poésie moderne italienne, elle a su à la fois sauvegarder sa rigueur formelle tout en se rafraîchissant (avec Montale, Ungaretti, Zanzotto) et procéder à de nouvelles expériences (Leonetti, Roversi, Sanguineti). La poésie de Caproni, en reprenant en partie l'enseignement de Saba, occupe une place à part car elle est moins un instrument pour avancer des positions intellectuelles qu'un moyen pour exprimer les aspects immédiats de la vie quotidienne à la lumière toutefois de la culture la plus riche du xxe s.
10. La littérature italienne dialectale
À de rares exceptions près, dont la plus célèbre est l'anonyme Vita di Cola di Rienzo, écrite au xive s. en dialecte romain, l'essor de la littérature italienne d'expression dialectale est contemporain du procès de codification qui fixe, à l'époque de la Renaissance, les normes littéraires de la langue vulgaire. D'inspiration populaire et d'intention polémique, elle n'en est pas moins l'œuvre, généralement, d'authentiques lettrés, qui s'expriment parallèlement en italien, voire en latin, et se situent souvent à la pointe des modes littéraires et des courants d'idées de leur temps. C'est ainsi, par exemple, que G. B. Basile, auteur du recueil de fables le Conte des contes pour amuser les enfants (1634-1636), en dialecte napolitain, est également connu pour ses poèmes marinistes. De même, au xviiie s., c'est en dialecte palermitain que le poète Giovanni Meli exprime ses convictions illuministes. Le cas de Bertoldo et Bertoldino, du Bolonais G. C. Croce, œuvre populaire écrite dans sa langue par un homme du peuple, est à tous égards exceptionnel.
Les genres de prédilection de la littérature dialectale sont le théâtre et la poésie satirique. Le dialecte est en particulier fréquemment utilisé dans la comédie du xvie s. pour diversifier et accentuer les caractères, comme dans l'œuvre du Piémontais Alione, dans l'anonyme comédie vénitienne La Venexiana, dans les pièces d'Andrea Calmo, également vénitien, et surtout dans le théâtre du Padouan Ruzzante, puissant metteur en scène de la condition paysanne. Cette tradition de la Vénétie se poursuit jusque chez Goldoni, dont plusieurs chefs-d'œuvre (notamment les Rustres et Baroufe à Chioggia) mêlent le dialecte de Venise à ceux des différentes régions de la Vénétie, et même aujourd'hui dans une partie du théâtre de Dario Fo, comique militant (Mystère bouffe, 1969, prix Nobel en 1997). Au xixe s., le théâtre dialectal est particulièrement vivant à Milan : populiste avec E. Ferravilla, socialisant avec C. Bertolazzi (El nost Milan). Pirandello aussi composera directement ou traduira en sicilien plusieurs de ses pièces, dont Liolà.
Parmi les grandes œuvres satiriques de la poésie dialectale, il faut au moins citer celles du Napolitain G. C. Cortese, contemporain et ami de Basile, des Milanais C. M. Maggi (xviiie s.) et Carlo Porta (début du xixe s.) et des Romains G. G. Belli (xixe s.), Trilussa et Pascarella (xxe s.).
C'est à la poésie lyrique qu'appartiennent les œuvres les plus remarquables de la littérature dialectale contemporaine, celles du Napolitain S. Di Giacomo, du Sicilien I. Buttitta, du Romagnole A. Guerra, du Lucanien A. Pierro, du Milanais F. Loi, ainsi que les poésies de jeunesse, en frioulan, de Pasolini, également auteur d'une précieuse anthologie de la poésie dialectale au xxe s. Dans ses romans, d'autre part, Pasolini fait un usage du dialecte romain qui rappelle la contamination de l'italien et du sicilien qui faisait l'originalité linguistique des romans de Verga.