Des délits et des peines

Ouvrage publié en italien (1764, traduit en français dès 1766) par le marquis de Beccaria, dénonçant l’archaïsme du droit pénal de l'Ancien Régime et qui est à la base des législations modernes.

1. Le contenu

1.1. La loi, garantie contre l’arbitraire

Un délit ou un crime est ce qui est contraire à la loi (ce qui n’est pas puni par la loi est autorisé) et au contrat social, donc ce qui est nuisible à la nation. Le contrat social fonde le droit de punir ; la loi pénale doit chercher à protéger la société.

La loi doit fixer la peine encourue, afin que :
– tout criminel potentiel sache à quoi il s’expose ;
– tous (accusés et condamnés) soient traités équitablement et non pas soumis à l’appréciation arbitraire du juge.

1.2. L'échelle des peines

Les peines doivent être graduées, proportionnelles aux dommages causés à la société (atteinte à la sûreté des personnes et des biens, atteinte à la sûreté de l’État). Le but, pour la société, étant de prévenir le crime ou le délit, c’est-à-dire d’empêcher qu’il soit commis, le législateur (c’est-à-dire celui qui fait la loi) doit se demander si la procédure et la peine et, a fortiori, les tourments infligés au condamné, sont utiles ou nécessaires : le condamné peut-il causer de nouveaux dommages, et la peine peut-elle dissuader les autres de commettre ce même crime ?

Sont donc inutiles parce qu’inefficaces :
– la disproportion (nature et durée) de la sanction par rapport au crime ;
– la cruauté de la procédure ou de la peine encourue, en particulier la torture : pour Beccaria, la douleur de l’accusé ne contribuera pas à la manifestation de la vérité ; le spectacle de la douleur du condamné ne sera pas dissuasive pour les témoins de l’exécution de la peine.

Sont utiles parce que dissuasifs :
– l’humanité, la modération de la sanction prévue ;
– l’application impitoyable, sans états d’âme, de cette même sanction à quiconque aura commis le crime, une fois celui-ci avéré ;
– une peine plus grande que le profit que pourrait procurer le crime ;
– le délai le plus faible entre le délit avéré et la peine ;
–  le caractère public de la peine ;
– la présomption d’innocence (plus le crime est grave, plus l’innocence est vraisemblable).

En résumé, n’est juste qu’une peine « publique, prompte, nécessaire, la moins sévère possible dans les circonstances données, proportionnée au délit et déterminée par la loi. »

2. L'influence

2.1. Les réactions des contemporains

L’ouvrage déclenche la polémique, en France et en Europe. Disciple italien déclaré des philosophes français des Lumières, en particulier des contributeurs de l’Encyclopédie en cours de parution, Beccaria a repris plusieurs idées présentes déjà chez Montesquieu (De l’esprit des lois, 1748) et Rousseau, pour les appliquer à la justice criminelle et inspirer un législateur qui serait guidé par l’esprit d’humanité et la raison.

La réaction des encyclopédistes est donc dûment enthousiaste, voire dithyrambique. Et bien sûr Voltaire prend la plume pour souligner la justesse des propos de Beccaria, notamment dans son Commentaire du livre « Des délits et des peines », le Prix de la justice et de l'humanité (1766), d’autant que l’ouvrage paraît, pour Voltaire, au milieu de deux tourmentes judiciaires, l’affaire Calas et l’affaire du chevalier de la Barre.

La position de Diderot est beaucoup plus nuancée. Il critique surtout la classification parallèle des crimes et de leurs sanctions, puisque, selon lui, la matière elle-même est inclassable et que tout classement relève de l’arbitraire. L’arbitraire ne serait-il alors que déplacé du juge de l’Ancien Régime au législateur de l’époque moderne ?

2.2. L'apport au droit moderne

Certains souverains s’en inspirent pour des amendements, voire des réformes, de leur Code pénal (en Suède, en Toscane, en Russie, aux États-Unis...), mais c’est la Révolution française qui le consacre comme inspiration politique moderne en faisant des principes qu’il énonce des droits de l’homme et du citoyen.