Italie : art : les foyers artistiques et les artistes
1. Art italien : les foyers artistiques
1.1. Création artistique et vie urbaine en Italie
C'est la topographie qui assigne l'ordre le plus facilement perceptible aux manifestations enchevêtrées de l'art italien. Leur cadre élémentaire est celui de la cité. La tradition méditerranéenne de la vie urbaine n'a pu que favoriser la création artistique dans chaque centre de quelque importance. Les divisions du passé expliquent, d'autre part, que l'Italie compte autant de villes ayant un rang de capitale, avec un art dont le développement autonome et cohérent justifierait chaque fois une histoire distincte. Cette histoire locale associe étroitement l'architecture, la sculpture, la peinture et les arts dits mineurs, souvent voués à des entreprises communes ayant pour objet l'embellissement de la cité. L'esprit d'émulation n'est pas étranger à l'éclat de chaque foyer. Il faut aussi tenir compte de l'impulsion donnée par les forces politiques ou divers éléments de la société. Sur une scène occupée d'abord par le pouvoir féodal et surtout par l'Église – dont le rôle n'a jamais faibli jusqu'à la fin du xviiie s. –, il y a eu l'apparition du mouvement communal, qui a connu au xie et au xiie un apogée dont témoignent de remarquables édifices publics, puis celle des seigneuries modernes, de style plus ou moins aristocratique jusqu'à la fin du xve s. et essentiellement aristocratique au-delà. La seigneurie, dont les jours de gloire coïncident avec la Renaissance, se traduit dans les arts – pour ne parler ni des lettres, ni des sciences – par un phénomène typiquement italien : celui du mécénat. Si la Rome des Temps modernes doit aux papes la part la plus évidente de son capital artistique, comme Venise à ses institutions, Florence ne serait pas ce qu'elle est sans les Médicis, et l'on évoque inévitablement les Montefeltro à Urbino, comme les Este à Ferrare, les Bentivoglio à Bologne, les Gonzague à Mantoue, les Visconti et les Sforza à Milan.
1.2. La ville d'art en Italie
L'autonomie, le concours des différentes techniques et les impulsions du mécénat ont contribué à définir la notion de ville d'art. La plupart des cités italiennes peuvent revendiquer ce titre. Non seulement Rome, Naples, Florence, Venise et Milan, mais beaucoup d'autres, qui ont joué à quelque moment un rôle de capitale et dont l'activité artistique justifie une histoire particulière : Pise, Lucques et Sienne en Toscane, Pérouse en Ombrie, Urbino dans les Marches, Bologne, Ferrare, Rimini, Parme, Modène et Plaisance en Émilie, Vérone, Vicence et Padoue en Vénétie, Udine dans le Frioul, Mantoue, Crémone, Brescia et Bergame en Lombardie, Ravenne , sans oublier Gênes, Turin, Palerme en Sicile.
1.3. Le rôle de l'unification politique dans l'art italien
Le rôle capital des cités n'explique cependant pas tout l'art italien. Il ne doit pas imposer à son histoire un cloisonnement trop rigide. On remarquera d'abord que la notion de foyer artistique ne concerne pas toujours des villes au développement autonome, mais parfois des entités plus vastes, fruit d'un effort d'unification politique. Deux d'entre elles ont émergé très tôt de la confusion qui s'attache à l'histoire de l'Italie médiévale : au nord, le Piémont, et, au sud, le royaume fondé par les Normands et dont les deux pôles furent Naples et Palerme. Dans l'un et l'autre de ces territoires, l'activité artistique apparaît moins liée au cadre des cités (si l'on excepte, pour le second, Naples, Palerme et Lecce, peut-être Syracuse) qu'à celui de la région. En Apulie, par exemple, on trouve un style régional d'architecture plutôt que des écoles propres à Bari, Bitonto ou Trani. La tendance au regroupement des cités, à la simplification de la, carte politique s'est d'ailleurs affirmée, d'une manière générale, à partir du xve s. et plus encore du règne de Charles Quint. Et l'hégémonie progressive de Venise en Vénétie, de Milan en Lombardie, de Florence en Toscane, de Rome en Ombrie, dans les Marches et en Émilie trouve un écho dans le domaine des arts, sans que soit effacée pour autant la personnalité des villes satellites. Il faut enfin tenir compte des échanges artistiques, dont le réseau complexe et serré, même si l'on exclut le rayonnement local de tel ou tel centre, a toujours relié des foyers plus ou moins proches les uns des autres. C'est ainsi que la Renaissance romaine, avant de gagner Gênes ou Mantoue, s'est nourrie des apports de la Toscane, de l'Ombrie, des Marches, de la Romagne. Florence, à qui revient la première place dans ce concours suscité par les chantiers pontificaux, a trouvé dans presque toute l'Italie, du xiiie s. au xvie s., des débouchés à son activité artistique. Non seulement en Toscane, à Pise, Sienne ou Arezzo, mais à Naples, Gênes, Bologne, Rimini, Padoue, Venise, Milan, etc. Venise, qui doit beaucoup à la Lombardie, a manifesté sa présence en Vénétie et dans toutes les régions riveraines de l'Adriatique.
2. Les artistes en Italie
2.1. Le rôle personnel des artistes italiens
Le nombre et l'importance des courants d'échange font ressortir le rôle personnel des artistes. C'est en Italie que, dès la période médiévale, l'artiste a franchi la distance qui sépare l'invention de la pratique anonyme du métier, qu'il a fait reconnaître sa dignité de créateur. Son oeuvre a une histoire qui n'est pas forcément tributaire d'un foyer unique. Certes, on citerait beaucoup d'artistes italiens dont la carrière s'est bornée, ou peu s'en faut, à un cercle local, parfois distinct du lieu de naissance : les peintres Carpaccio, Giorgione, le Tintoret, Pietro Longhi ou les Guardi à Venise, le Corrège à Parme, le Moretto, à Brescia, beaucoup de Napolitains du xviie s. , Giuseppe Bazzani (v. 1690-1769) à Mantoue, l'architecte Biagio Rossetti (v. 1447-1516) à Ferrare, le sculpteur Serpette à Palerme, etc. Nombreux sont cependant les artistes dont le champ d'activité, élargi par des voyages, des séjours hors du foyer habituel ou au moins des envois d'ouvrages, a pris des dimensions nationales, voire européennes. Un exemple notoire en est donné par les Florentins, de naissance ou d'adoption : Arnolfo di Cambio, que l'on retrouve à Rome, Giotto à Assise, à Rome et à Padoue, Alberti à Rimini et à Mantoue, Donatello à Sienne, à Rome, à Naples, à Venise et surtout à Padoue, Michelozzo à Milan, Fra Angelico à Rome et à Orvieto, B. Gozzoli à Pise, à San Gimignano et à Montefalco, Andrea del Castagno à Venise, Agostino di Duccio (1418-apr. 1481) à Pérouse et à Rimini, Antonio Averlino, dit le Filarete, à Rome et à Milan, Antonio Rossellino et Bernardo Rossellino à Rome et à Pienza; Botticelli à Rome, il Verrocchio à Venise, Léonard de Vinci à Milan, Michel-Ange à Rome, Giambologna à Bologne et à Gênes. On pourrait aussi rappeler l'activité : des Siennois Simone Martini à Assise et à Avignon, Jacopo della Quercia à Bologne et à Lucques, Francesco di Giorgio Martini à Urbino, des peintres toscans Piero della Francesca à Urbino, à Ferrare et à Rome, Luca Signorelli à Orvieto et à Lorette, du Padouan Mantegna à Rome, à Vérone et à Mantoue, d'Antonello da Messina à Venise, des peintres ferrarais Francesco Del Cossa et Lorenzo Costa à Bologne, du Caravage, Romain d'adoption, à Naples, en Sicile et à Malte, du Napolitain Luca Giordano à Venise et à Florence. L'activité de ce dernier en Espagne amènerait à évoquer la carrière européenne du Rosso, de Titien, des Tiepolo, de Il Canaletto, etc. Pour s'en tenir au milieu italien, il faut citer aussi certains artistes dont l'école d'origine compte beaucoup moins que le théâtre d'activité. Si les Marches, par exemple, ont été le berceau du peintre Gentile da Fabriano, de Bramante et de Raphaël, le premier doit sa gloire à Rome, à Florence et à Venise, le deuxième à Milan et à Rome, le troisième à Florence et à Rome. En revanche, elles ont offert une nouvelle patrie aux peintres vénitiens Crivelli et Lorenzo Lotto. L'architecte Galeazzo Alessi, de Pérouse, a donné sa mesure à Milan et surtout à Gênes, comme le Sicilien Juvarra en Piémont et en Lombardie. Le cas le plus exemplaire est peut-être celui des peintres bolonais du xviie s. – les Carrache, Guido Reni, le Dominiquin, le Guerchin (lié à l'académisme) –, dont la carrière a été essentiellement romaine.
2.2. Des artistes italiens qui pratiquent plusieurs techniques
Contribuant par leurs voyages et leurs rencontres à l'élaboration d'un langage national, les artistes ont souvent assumé à titre personnel la convergence des techniques. Beaucoup d'entre eux, par exemple, ont pratiqué tour à tour ou même en même temps l'architecture ou la sculpture : en Toscane, Nicola Pisano et Giovanni Pisano, Michelozzo, Benedetto da Maiano, Bartolomeo Ammannati, en Lombardie, Giovanni Antonio Amadeo, à Venise, les Lombardo et Jacopo Sansovino, à Rome, l'Algarde. D'autres ont partagé, dans des proportions variables, leur temps entre l'architecture et la peinture : Giotto, Bramante, Raphaël et ses disciples Baldassare Peruzzi et J. Romain, Vasari, Pierre de Cortone. L'architecte Piranèse est plus célèbre comme graveur, le dessin et la peinture ont occupé le médailleur Pisanello. Antonio et Piero del Pollaiolo, comme Verrocchio, ont autant de mérite en peinture qu'en sculpture. L'artiste italien tend à l'universalité, dont Francesco di Giorgio Martini, architecte, sculpteur et peintre, s'est approché avant Léonard de Vinci, Michel-Ange et le le Bernin. C'est en Italie, enfin, que l'on compte le plus grand nombre d'artistes écrivains : des poètes comme Michel-Ange, des auteurs de mémoires comme B. Cellini, des historiographes comme Vasari et surtout des théoriciens, dont les traités ont eu parfois plus de retentissement que les ouvrages, tels Alberti, Piero della Francesca, Francesco di Giorgio, le Filarete, Léonard, les architectes Vignole et Vincenzo Scamozzi, le peintre Andrea Pozzo, spécialiste de la perspective.