Torquato Tasso, en fr. le Tasse
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain italien (Sorrente 1544 – Rome 1595).
Élevé par son père, Bernardo Tasso, Torquato le suit dans ses pérégrinations de poète courtisan à Urbino, à Venise, à Padoue puis à Mantoue, où il était passé au service des Gonzague. En 1564, il rencontre Laura Peperara, qui lui inspirera quelques-uns de ses plus beaux poèmes d'amour. En 1565, il s'établit à Ferrare, au service du cardinal Louis d'Este. En 1572, il entre au service du duc Alphonse II d'Este. Ses fonctions ne lui laissent pas moins de nombreux loisirs, qu'atteste la régulière croissance, de 1559 à 1575, de la Jérusalem délivrée.
Poème épique en 20 chants, dédié à Alphonse II d'Este, la Jérusalem délivrée raconte la lutte des chrétiens commandée par Godefroy de Bouillon contre les troupes infidèles de Soliman et d'Argant. Les principaux épisodes narratifs qui se greffent sur ce thème central ont trait à l'amour du chrétien Tancrède pour la païenne Clorinde, à celui d'Herminie pour Tancrède, et aux artifices par lesquels la magicienne Armide tente de séduire Renaud, qui finira par la convertir. L'éloge de la maison d'Este, dont Renaud est le fondateur mythique, fait l'objet de somptueuses digressions. Son œuvre soulève alors la vivacité des discussions, aussi bien littéraires que doctrinales, lesquelles seront rassemblées plus tard sous le titre de Lettres poétiques. Mais ce sont les critiques d'ordre religieux qui l'affectent le plus. En 1575, il traverse une violente crise de culpabilité, qui tourne bientôt à la manie : il s'accuse lui-même d'hérésie auprès de l'inquisiteur de Bologne. Souffrant également d'un délire de persécution, il s'abandonne à des gestes violents, qui nécessitent son internement : d'abord, en juin 1577, dans le couvent ferrarais de San Francesco, d'où il s'échappe, puis à l'hôpital de Sant'Anna, où il reste enfermé de 1579 à 1586, non sans poursuivre une intense activité épistolaire et poétique. Après un bref séjour à Mantoue, à sa libération, il passe ses dernières années, au mépris d'une santé chancelante, en de perpétuels déplacements. Avec sa longue suite d'errances et d'internements, la folie du Tasse est aussi célèbre que sa Jérusalem délivrée, puisqu'elle lui fit désavouer son chef-d'œuvre à peine accompli (dès 1575), s'opposer à sa publication jusqu'en 1581, puis passer le reste de sa vie à le censurer et à le mutiler : ce fut la Jérusalem conquise (1592-1593). L'écrivain, en effet, se préoccupait essentiellement de la conformité de son poème aux règles qu'il énonce dans ses Discours de l'art poétique (1566) et ses Discours du poème héroïque (1595), concernant aussi bien la finalité religieuse et la vraisemblance historique du poème « héroïque » lui-même que le choix des personnages et les péripéties narratives. Mais, paradoxalement, le processus d'autocensure, rhétorique et doctrinale, qui aboutit à la Jérusalem conquise, s'accompagne d'un formalisme exaspéré, qui annonce les excès de la poésie baroque.
Tout en composant la Jérusalem, le Tasse écrit un poème chevaleresque, Renaud (1562), et Amyntas (1573), qui connaît un grand succès. Représentée en 1573 à Ferrare, Amyntas est une fable pastorale construite comme une tragédie. Avec la complicité compatissante de Tirsis et de Daphné, qui ont déjà connu les tourments de l'amour, Amyntas tente de surprendre au bain l'innocente Silvia, qui s'est vouée à la chaste Diane. Ses plans sont troublés par l'arrivée d'un satyre ; en repoussant ses assauts, Amyntas a l'occasion de briller par son courage aux yeux de la jeune fille, mais l'ingrate chasseresse le fuit de plus belle. Découvrant sur un sentier son voile ensanglanté et la croyant dévorée par quelque bête sauvage, il tente, désespéré, de trouver la mort en se précipitant dans un ravin. Soudain éveillée à l'amour par le sacrifice de son amant, Silvia veut le rejoindre dans la mort. Mais celui-ci a été sauvé dans sa chute par un buisson et les deux amants connaissent un bonheur partagé. L'atmosphère onirique de l'œuvre et sa subtilité musicale ont exercé une profonde influence sur toute la poésie baroque.
Enfermé à l'asile de Sainte-Anne de Ferrare, il compose la chanson Aux princesses de Ferrare. Libéré en 1586, il reprend une vie vagabonde et meurt au moment où le pape va faire de lui son poète lauréat. Quant aux dernières œuvres poétiques du Tasse, elles relèvent encore plus nettement d'une esthétique prébaroque, qu'il s'agisse de la lourde machinerie tragique de Torrismond (1587), ou de l'imagerie, aussi fastueuse que glacée, des Sept Journées de la création (1607). Outre sa très vaste correspondance, vingt-six dialogues et quelque deux mille poésies, en grande partie autobiographiques, mettent au jour les contradictions d'un homme d'autant plus attaché à l'ordre et à la loi (la poétique d'Aristote, les ordonnances de la Contre-Réforme, la cour, la monarchie, la papauté) qu'il avait douloureusement éprouvé la précarité de la condition et de la raison humaines.