Italie : musique
1. La musique italienne : un rôle déterminant
Le rôle de l'Italie a été déterminant pour le développement de la musique occidentale : de nombreux genres musicaux y ont pris naissance pour essaimer ensuite et prospérer dans les autres pays d'Europe.
2. La musique italienne au Moyen Âge
Alors que la Sicile connaissait depuis longtemps un art lyrique aussi raffiné que celui de la Grèce (le célèbre Stésichore a pu être comparé à Homère), les premières manifestations de la musique latine, à l'époque préromaine, sont probablement l'œuvre des Étrusques, venus d'Asie Mineure. Les Romains s'inspirèrent ensuite de l'art musical des Grecs, tragédie, comédie, dithyrambe, fêtes et cérémonies diverses, sans réelle originalité, mais en ayant le mérite d'en maintenir l'héritage jusqu'à l'heure où le chant chrétien emprunta directement ses monodies au judaïsme. À la liturgie romaine, aujourd'hui disparue, s'opposèrent cependant, dès le ive siècle, les hymnes aux mélodies et aux rythmes faciles de saint Ambroise, archevêque de Milan, qui introduit les antiennes, puis un rituel auquel travaillèrent successivement les papes Gélase Ier (492-496), Jean II (523-526) et Boniface II (530-532), et enfin, le plain-chant, développé à Rome sous l'impulsion de Grégoire Ier (590-604) et dont, un siècle après sa mort, on devait parler comme étant le chant grégorien, musique uniquement transmise par tradition orale jusqu'à sa notation en neumes (ixe s.), puis sur une portée dont l'organisateur, sinon l'inventeur, paraît être le moine Gui d'Arezzo.
Longtemps liée à l'Église, et plus particulièrement sous l'autorité de Rome, la musique eut plus de mal en Italie qu'ailleurs à se libérer de cette emprise pour exprimer d'autres sentiments et exalter d'autres élans. Peu de traces de drame liturgique né des tropes, et, dans la monodie, c'est en provençal et non en italien que les premiers troubadours transalpins (Sordello, Zorzi ou Cigala) composèrent leurs « ballate », leurs « contrasti » ou leurs « tenzoni ». Mais, cinquante ans avant l'Ars nova, les laudes du cycle franciscain s'évadaient déjà de l'austérité liturgique dans l'union de la musique et de la poésie populaire (laudes en dialecte ombrien du poète Jacopone da Todi). Le dolce stile nuovo du xiiie siècle s'appliquait aussi bien à la lyrique amoureuse qu'à l'expression de l'ardeur politique ou des thèmes moraux. C'est dans son sillage que Pietro Casella conçut les premiers madrigaux connus et que le Florentin Francesco Landini tranchait sur ses compatriotes par une subtilité et une richesse d'invention rarement égalées dans le madrigal et la canzone.
3. L'Ars nova et la Renaissance (xive et xve siècles)
3.1. L'Ars nova
En dépit des troubles qui ne cessèrent de marquer son histoire, Florence fut, au xive siècle, le principal centre culturel et artistique de l'Italie. C'est là que l'Ars nova connut son plus brillant essor, dans l'acclimatation d'une polyphonie déjà pratiquée au siècle précédent à Padoue et à Sienne, et dont l'évolution caractérise plus particulièrement le chant accompagné, propre à faire valoir la voix humaine. Aux théoriciens tels que les Padouans Marchetto et Antonio de Tempo, les madrigalistes florentins Ser Gherardello, Lorenzo Masini ou Giovanni da Caccia apportèrent alors un écho que seuls pouvaient concurrencer un Nicolo Preposito de Pérouse ou un Jacopo da Bologna. Mais leurs recherches d'une complexité parfois trop cérébrale ne purent longtemps retenir l'attention de leurs compatriotes et quand la cour pontificale revint à Rome (1377), l'essor de la polyphonie profane se trouva ralenti au bénéfice d'une influence française que le séjour en Avignon avait largement favorisée. Réciproquement, les formes poétiques et musicales créées par les représentants de l'Ars nova allaient marquer l'évolution de la chanson polyphonique française pendant plus d'un siècle et nuancer ainsi l'influence des Flamands.
3.2. La frottola
C'est encore à Florence qu'une autre facette de l'art italien s'épanouit au cours du xve siècle, tout imprégnée de sève populaire et dont l'expression la plus caractéristique est la frottola, chanson d'amour frivole et enjouée, à une voix accompagnée de luth ou à plusieurs voix obéissant à un contrepoint rudimentaire. Sa vogue ne dépassa pas une cinquantaine d'années, mais elle atteste dans l'histoire l'éveil d'un nationalisme, dont les musiciens de la Renaissance recueillirent l'héritage. C'est en elle notamment qu'il faut chercher l'origine du nouveau madrigal, expression suprême du génie italien au xvie siècle.
3.3. La musique religieuse
Depuis de longues années déjà, les grandes villes de la péninsule – Milan, Florence, Ferrare, Venise – avaient attiré de nombreux visiteurs venus du Nord, mais, plus que n'importe quelle autre, Rome, sanctuaire de la chrétienté, où maîtres de chapelle, compositeurs et virtuoses assistaient au renouveau d'une musique religieuse que les fluctuations de l'histoire avaient compromise pendant tout le xive siècle. Déjà Guillaume Dufay, natif de Cambrai, avait profité du privilège d'être chantre de la chapelle pontificale pour faire la synthèse des différentes techniques et écrire ses 9 messes polyphoniques et ses 80 motets dans un esprit qui annonce Palestrina. Cent ans plus tard, à Venise, le Brugeois Adrian Willaert donna à la musique italienne ses lettres de noblesse et ses premiers grands musiciens, Zarlino, Andrea Gabrieli et Giovanni Gabrieli, puis leurs disciples Marc Antonio Ingegneri, Luca Marenzio, Nicola Piffaro ou Bartolomeo Tromboncino. Ainsi l'école des polyphonistes franco-flamands fertilisa-t-elle un sol qui ne demandait qu'à produire, soit dans le style liturgique, soit dans une note profane qui pût intéresser un vaste public par son caractère aimable ou piquant.
3.4. Le madrigal
Le madrigal, qui répondait mieux à cette attente, n'avait plus rien alors de commun avec le petit poème à deux voix dont la mélodie passionnée enchantait les artisans de l'Ars nova. Sa forme nouvelle unissait l'esprit de la frottola et l'art des Franco-Flamands autour de poèmes inspirés de Pétrarque et de ses imitateurs, et le dessein d'en illustrer le texte et l'esprit suggérait aussitôt à la musique une dignité à laquelle tous les compositeurs allaient être attentifs autant qu'au respect d'un style polyphonique traditionnel, mais dégagé de tout académisme et dans lequel l'harmonie se développait au détriment du contrepoint. C'est pourquoi le madrigal de la Renaissance, créé par le Flamand Cyprian de Rore, et qui devait bientôt connaître une très vaste audience, atteignit progressivement son plus haut degré de perfection grâce aux subtilités de la forme et aux audaces de l'harmonie pratiquées par plusieurs générations de compositeurs : de Jiccolo Vicentino, maître de chapelle à Ferrare, et Costanzo Festa, chantre de Léon X, à Gesualdo, prince de Venosa, et à l'illustre Monteverdi.
En marge de cette glorieuse carrière, il faut rappeler que le madrigal a parfois donné lieu à des divertissements (commedia armonica) inspirés de la commedia dell'arte et qui correspondaient alors à l'épanouissement du théâtre profane. Madrigaux dits dramatiques, mais réalistes et burlesques et qui sont plus ou moins à l'origine de ces intermezzi, d'où sortit plus tard l'opéra bouffe, ils ont pour principaux représentants Orazio Vecchi (L'Amfiparnaso, 1594) et Adriano Banchieri (Zabaione musicale, 1603).
3.5. Palestrina
Dans le même temps, et sans demeurer insensible au charme du madrigal, Giovanni Pierluigi da Palestrina fut avant tout un maître de la musique religieuse à laquelle il rendit la simplicité et la noblesse souhaitées par le concile de Trente, en réaction contre le faste des offices vénitiens, et l'introduction d'éléments profanes dans la liturgie. 103 messes et 600 motets disent assez l'importance de cette œuvre, dont la perfection est faite d'équilibre et d'apaisement extatique et qui réalise avec une aisance stupéfiante l'union de l'harmonie et du contrepoint. Avec lui s'achève l'âge d'or de la polyphonie, car, bien qu'il ait été reconnu comme le chef de tous les musiciens de son temps, de nouveaux courants venus de Florence n'en préparaient pas moins une révolution inspirée par le désir d'un style monodique expressif et visant ainsi l'émancipation du chant mélodique. Depuis longtemps, en effet, les jeux abstraits de la science contrapuntique étaient trahis par l'usage de confier à un seul soprano la partie supérieure d'une polyphonie et à des instruments (luths ou violes) les voix inférieures. Il convient toutefois de noter que deux musiciens de génie écriront encore des madrigaux dans le style polyphonique traditionnel : Claudio Monteverdi, avant ses premiers opéras, et Carlo Gesualdo qui fut probablement l'harmoniste le plus intrépide que l'Italie ait jamais produit.
4. Du madrigal à l'opéra (xvie et xviie siècles)
4.1. La réforme
La réforme entreprise par le cénacle d'humanistes et de musiciens florentins, réunis chez le comte Bardi ou chez le mécène Jacopo Corsi, cherchait, sous le nom de Camerata fiorentina, à adapter un nouveau style, le style représentatif, aux besoins de représentations théâtrales dans lesquelles ils voyaient une résurrection de la tragédie grecque. Vicenzo Galilei, dont les études sur Aristoxène et Mésomède faisaient autorité, et le compositeur Giulio Caccini se firent les promoteurs du « parler en musique » dans des essais qui annoncent l'opéra moderne.
Après la Dafne de Caccini (perdue), l'Euridice de Peri (1600) est la première œuvre importante de cette réforme. Elle comporte une série de solos avec ritournelles, chœurs et trios, intermèdes instrumentaux et danse finale qui ne fait que reprendre un certain nombre d'idées remontant au siècle précédent, mais dans laquelle on a pu voir l'ancêtre de l'opéra.
La même année, à Rome, Emilio de Cavalieri donnait son mélodrame sacré La Rappresentazione di Anima e di Corpo, écrit suivant les mêmes principes et utilisant pour la première fois la basse continue, autre invention de la Renaissance déjà connue dans le style concertant (Concerti ecclesiastici, de Viadana). Il annonçait ainsi le futur oratorio classique.
4.2. Monteverdi
Il faut cependant attendre Monteverdi pour dépasser le stade de ces ébauches encore rudimentaires et pour que cette réforme un peu arbitraire donne naissance au véritable drame musical. Son évolution avait été significative depuis les gracieuses Canzonette à 3 voix de ses dix-sept ans et les premiers livres de madrigaux où il se montrait attentif à toutes les possibilités expressives, modulations abruptes, audaces chromatiques, basse chiffrée, « mesure à l'antique » prônée par l'académie de Baïf, etc. Ce fut le premier acte de son génie d'en réaliser la synthèse en recueillant les tendances les plus diverses que les compositeurs italiens avaient admises depuis des siècles. Ensuite, et de plus en plus préoccupé par le style dramatique, il réalisa une expression aussi proche que possible de la vérité humaine dans une union parfaite du chant syllabique et du chant orné. Si L'Orfeo est encore lié à la fiction mythologique, le Retour d'Ulysse dans sa patrie et le Couronnement de Poppée éclairent le sens de sa démarche dans l'évocation d'une humanité vivante et sensible. Et tout en demeurant fondées sur l'alternance des récitatifs et des airs, ces deux partitions répartissent l'action sur une trame musicale continue, dont Gluck et Wagner allaient généraliser le principe.
4.3. Les successeurs de Monteverdi
Les successeurs de Monteverdi – Manelli, Cesti, Cavalli – bénéficièrent à la fois de son exemple et de l'essor qu'il avait donné à l'opéra vénitien. En 1637, trois théâtres nouveaux étaient inaugurés à Venise, l'un d'eux réservé à un public plus populaire et où on commença à applaudir aux prouesses des castrats.
4.4. L'opéra napolitain
À cette esthétique s'opposèrent temporairement l'école romaine, plus friande de thèmes religieux (Luigi Rossi), allégoriques (Mazzocchi) ou propres à inspirer la comédie musicale (Marazzoli) et, dans la seconde moitié du siècle, l'école napolitaine à ses débuts (Provenzale, Legrenzi, Alessandro Scarlatti) appelée à connaître un triomphe dans toute l'Italie et à travers l'Europe par le rayonnement de son bel canto. C'est, en fait, l'opéra napolitain que les capitales accueillirent pendant plusieurs siècles et dont procédèrent non seulement des compositeurs tels Vivaldi, Hasse et même Mozart, mais certains maîtres du style concertant et de la musique instrumentale.
5. L'essor de la musique instrumentale (du xvie au xviiie siècle)
Bien avant la Renaissance, dilettantes, amateurs et professionnels jouaient d'instruments dont la nomenclature fut à peu près la même en Italie que dans les autres pays d'Europe : flûtes, rebecs, luths, violes, harpes, etc., l'orgue étant réservé à l'église et les cuivres destinés aux fêtes de plein air. Tout porte à croire que la musique instrumentale fut longtemps liée à la musique vocale et conçue dans le même style. À la suite de la parution des tablatures d'orgue et de luth (Venise, 1507), son évolution fut rapide. L'art du luth semblait alors atteindre à son apogée, avec une musique inspirée des danses populaires (saltarelle, pasamezzo, pavane). Les épinettes et clavicordes, orgueil des facteurs vénitiens, y étaient en bonne place et l'orgue, qui avait son propre répertoire depuis le xive siècle, y connut une fortune nouvelle, grâce à des virtuoses et compositeurs comme Cavazzoni, Merulo et Andrea Gabrieli et Giovanni Gabrieli. Définitivement étranger à l'écriture vocale, le style d'orgue y acquit quelques-uns des aspects que développa, de toute la puissance de son génie, le plus grand organiste du siècle, Frescobaldi.
Réciproquement, les instruments à archet n'eurent ni virtuoses ni littérature appréciables avant le xviie siècle, époque où les violes et la lira da braccio s'effacèrent derrière le violon, étonnante réalisation des luthiers de Brescia et de Crémone (Maggini, Amati, Guarneri, Stradivari). Les concertos de Stradella, les sonates d'église de Vitali et les concertos grossos de Corelli et de Torelli sont eux-mêmes bien postérieurs à la naissance des merveilleux instruments dont disposaient enfin les virtuoses, car l'Italie – moins cependant que d'autres nations – ne les avait pas admis sans réserves. Si Corelli n'en créa ni la technique ni le style, il leur confia des pages admirables d'équilibre, de justesse des proportions et de noblesse d'inspiration, et tandis que Stradella développait l'idée spécifiquement italienne d'opposer le concertino (groupe de solistes) au ripieno (ensemble plus fourni de cordes), Torelli était l'initiateur du concerto à coupe ternaire, dont allait s'emparer Vivaldi.
Le clavecin, jusqu'alors instrument à clavier à peine différencié de l'orgue, prenait, dans le même temps, son indépendance, grâce à Bernardo Pasquini, l'un de ses plus grands maîtres et le précurseur le plus original de Scarlatti.
Bien que Bologne abritât alors une remarquable école autour du célèbre padre Martini, Rome, Naples et Venise, heureuses rivales, demeurèrent, au xviiie siècle, les principaux centres artistiques de l'Italie. À Venise, Vivaldi, Albinoni et Marcello représentaient, à eux seuls, l'apogée de la musique instrumentale à une époque qui vit pourtant le Piémontais Somis, le Toscan Geminiani, le Florentin Veracini, le Triestin Tartini et le Bolonais Vitali, sans oublier Bonporti, qui connut, de son vivant, une gloire européenne et dont on commence seulement à redécouvrir l'œuvre et l'influence. Le génie fécond et multiforme de Vivaldi éclipsa peut-être injustement les autres violonistes-compositeurs de sa génération, même si l'audience des Quatre Saisons ne s'étendait pas encore à la totalité de sa musique religieuse et à ses 47 opéras. Sa maîtrise technique, sa force expressive et son lyrisme humainement vibrant le désignaient, en effet, comme l'une des personnalités les plus attachantes de toute la musique italienne. Il n'en est pas moins légitime d'avoir ressuscité l'œuvre d'Albinoni et de Marcello, deux musiciens doués d'une richesse inventive peu commune et d'une nature aristocratique, dont les idées s'imposent par leur grande beauté plastique. Deux pionniers également : Albinoni a devancé Sammartinidans la répartition en 4 mouvements de ses Symphonies qui ouvrent la voie à celles de Haydn et à ses quatuors. Marcello a composé son Estro poetico armonico sur le texte italien du psautier dans un principe de déclamation que va retrouver Debussy.
Le triomphe de l'opéra napolitain affecta si peu les autres formes de la musique que son propre fondateur, Alessandro Scarlatti – qui en écrivit 115 – fut également l'auteur de 700 cantates, 200 psaumes, 30 oratorios, et fut, par surcroît, le père de Domenico Scarlatti, le plus illustre claveciniste de tous les temps. Ce dernier produisit 555 sonates, animées d'une vitalité intense et recelant des trésors d'invention, qui constituaient un monument unique dans l'histoire de la musique. Auprès de lui, et quels que fussent leurs mérites, les autres clavecinistes de son temps faisaient figure d'amateurs (Zipoli, Galuppi, Paradies, Durante ou Rutini).
6. L'opéra au xviiie siècle
6.1. Les castrats
Mais Naples était avant tout le haut lieu de l'opéra, même si la musique s'y trouva, peu à peu, reléguée au rôle d'humble servante des chanteurs et des castrats. Le texte perdit toute importance : les 40 livrets de Métastase, le plus célèbre librettiste de cette époque, alimentèrent 1 200 opéras qui ne consistaient, en général, qu'en une suite de récitatifs et d'airs que les interprètes pouvaient agrémenter de traits brillants et de vocalises. La caractérisation des situations et des sentiments, qui était la grande préoccupation des maîtres vénitiens, disparut derrière un formalisme de plus en plus abstrait et le talent des compositeurs ne joua plus que dans la mise au point des « airs », leur place dans le spectacle, la nuance de leur style. Le castrat devint l'objet d'un fanatisme qui dépassait l'imagination. Le célèbre Farinelli, dit « le chanteur des rois » (1705-1782), fut le virtuose le plus réputé pour sa technique extraordinaire et l'expression de son chant.
6.2. L'opéra napolitain
En dépit du haut niveau d'un conservatoire où enseignaient des maîtres comme Porpora, Duranteou A. Scarlatti, l'opéra napolitain n'apparut plus que comme un prétexte à exhibitions, où l'apport des compositeurs (Leo, Vinci, Galuppi) était presque nul. Cependant, sa vogue fut si grande dans toute l'Europe que nombre de musiciens italiens se fixèrent dans les capitales étrangères, Londres et Vienne notamment.
6.3. L'opéra bouffe
Un événement inattendu allait alors porter un coup sévère à l'opera seria et sauver l'art lyrique de l'impasse où il le conduisait. Pour se réserver les suffrages de toutes les couches du public et divertir les auditeurs les plus attentifs, l'opera seria accueillit, vers 1710, pendant ses entr'actes, de petits intermèdes musicaux, en dialecte local et directement inspirés de la commedia dell'arte par ses personnages, ses situations simples, sa bonne humeur spirituelle et l'absence de tout symbolisme. Ce fut l'éclosion de l'opéra bouffe, dont l'influence allait être capitale sur l'avenir du théâtre lyrique : l'écriture vocale reprit ses droits en créant, par ailleurs, un nouveau style d'interprètes (les voix de basse faisaient une rentrée spectaculaire) et la nature même de l'action garda le compositeur de l'attitude rigide qui était de mise dans l'opera seria. Illustrée à l'origine par des musiciens obscurs, cette forme originale devait tenter les grands maîtres, tels A. Scarlatti, Galuppi et surtout Pergolèse, dont la Servante maîtresse joua un rôle de premier plan, en France, dans la querelle des Bouffons (1752).
6.4. L'opéra bouffe et ses suites
Un tel effort vers la vérité et la gaieté allait trouver un écho dans le théâtre de Goldoni, et les intermezzi lui doivent une grande partie de leur évolution vers l'opéra bouffe, véritable comédie musicale, plus développée, plus raffinée, s'inspirant de sujets plus divers et pas seulement dans l'esprit de la farce. Piccini, Paisiello et Domenico Cimarosa en furent les principaux artisans. Le Mariage secret, créé en 1792, est l'un des chefs-d'œuvre du genre. Et le sillage de l'opéra bouffe, manifeste dans la formation de Mozart et de Rossini, se maintint à travers le Gianni Schicchi de Puccini et le Falstaff de Verdi, jusqu'à l'époque contemporaine. Le règne des castrats tirait, du reste, à sa fin – le dernier fut Giambattista Velluti (1781-1861) – et les prouesses vocales se heurtaient à l'autorité des compositeurs qui entendaient faire respecter l'authenticité de leurs partitions.
6.5. La fin des instrumentistes
La vogue de l'opéra italien allait pourtant se poursuivre près d'un siècle durant. En Italie même, les instrumentistes, maîtres de chapelle et défenseurs de la musique pure, qui avaient fait sa gloire depuis la Renaissance, disparurent peu à peu. Derniers en date de cette prestigieuse lignée, le Lucquois Luigi Boccherini laissait à sa mort près de 500 compositions instrumentales, dont 20 symphonies, 102 quatuors et 125 quintettes, et le Romain Muzio Clementi, plus de 100 sonates attestant un exceptionnel talent pédagogique et pianistique.
7. La musique italienne au xixe siècle : l'opéra
7.1. Rossini
De la mort de Cimarosa (1801) aux premiers succès de Rossini (le Contrat de mariage, 1810), la transition s'établit essentiellement autour de Johann (Giovanni) Simon Mayr, Gluck et Spontini restant à peu près inconnus. Mais, avant que le grand opéra romantique ne trouve sa totale expression grâce au lumineux génie de Bellini, ou les opéras historiques à grand spectacle avec les successeurs de Spontini, le prestige transalpin n'eut qu'un seul défenseur, mais de choix : Rossini. Célèbre à vingt-trois ans grâce à 15 opéras élaborés avec une facilité exceptionnelle, ce dernier passait allègrement de l'opera seria (Tancrède) à l'opéra bouffe (le Barbier de Séville) en apportant à l'un et à l'autre la même invention, la même verve, le même esprit. Rossini fut l'artisan d'un renouveau auquel Mozart avait puissamment contribué en dépouillant l'opéra de tout formalisme conventionnel, apportant une dimension nouvelle à l'opera seria, mettant son brio volubile au service d'un opéra bouffe plus humain, où le sérieux et le comique allaient de pair et créant enfin, avec Guillaume Tell, le grand opéra romantique. Les extravagances du chant étaient définitivement bannies et les vocalises prenaient un caractère fonctionnel qu'elles gardèrent chez Donizetti, son successeur, doué d'une même facilité et d'une même imagination dramatique. En marge de ces productions marquées par une vie frénétique, le lyrisme mélancolique et tendre de Bellini pouvait passer pour plus représentatif de l'âme romantique. Ses mélodies, élégantes et flexibles, sont très voisines de celles de Chopin.
7.2. Verdi
Quatre ans après la mort de Bellini, un nouveau maillon de la chaîne se noua avec Oberto (1839), premier opéra de Giuseppe Verdi, un nom qui emplit tout le siècle et qui pourrait symboliser le génie lyrique de l'Italie. Ayant construit ses premières partitions sur des formules issues du bel canto, Verdi mit de plus en plus son don mélodique au service d'une expression riche d'émotion directe et d'efficacité dramatique. De Nabucco à la trilogie populaire Rigoletto, le Trouvère et La Traviata, puis aux derniers chefs-d'œuvre Don Carlos, Aïda, Otello et Falstaff, le renouvellement fut constant dans la tendance au continuo scénique, la sève intarissable et la maîtrise technique de plus en plus rare. Falstaff, somme de toutes ses expériences artistiques, fut le triomphe de l'opéra bouffe.
7.3. L'école vériste
Entre-temps, et comme pour s'opposer à l'influence de Wagner qui commençait à s'étendre à toute l'Europe (et même, disait-on, à Verdi), un groupe de jeunes compositeurs s'était réfugié dans une esthétique mise à la portée de la foule en ne mettant en scène que des « tranches de vie » quotidiennes traitées musicalement avec un lyrisme chaleureux et percutant. Ce fut le vérisme à laquelle se rattachent Mascagni (Cavalleria rusticana, 1890), Leoncavallo (Paillasse, 1892) et Puccini (la Bohème, 1896 ; la Tosca, 1900 ; Madame Butterfly, 1904 ; La Fanciulla del West, 1910 ; Turandot, 1926), puis Giordano (André Chénier et Fedora), Cilea (Adriana Lecouvreur) et Zandonai (Francesca da Rimini).
En quinze ans, cependant, cette école avait épuisé ses recettes et seul Giancarlo Menotti (le Consul, le Médium) continua d'exploiter cette conception démagogique de l'opéra.
8. La musique italienne au xxe siècle
Pendant tout le xixe siècle, l'Italie ne cultiva ni la symphonie, ni la musique de chambre, ni le lied, ni la musique instrumentale – à l'exception de l'illustre Nicolo Paganini, dont la virtuosité transcendante porta au plus haut point la technique du violon. Une réaction fatale, amorcée par certains créateurs comme Sgambati, Martucci, Bossi ou Sinigaglia, devait éclater en pleine période vériste au nom d'une conscience nationale se réclamant des grands exemples du passé. Les opéras de Pizzetti, dont la déclamation s'apparentait au plain-chant, furent l'un des éléments de ce renouveau, comme les poèmes symphoniques de Respighi, qui unissaient dans une éblouissante palette orchestrale un esprit néoclassique et un goût néoromantique. Plus intransigeants se montrèrent alors un Alfredo Casella, élève de Fauré, et surtout un Gianfranco Malipiero, influencé par l'école française et la Renaissance italienne, et qui sut être novateur tout en restant fidèle à la tradition. Outre ces promoteurs généreux, le prophète le plus avisé de la musique nouvelle fut cependant Ferrucio Busoni, illustre pianiste et pédagogue, croisement le plus original de la latinité et du germanisme, et dont le Projet d'une nouvelle esthétique musicale (1907) pressentit cinquante ans d'exploration d'un monde sonore encore inconnu. Citons enfin les artisans du futurismemusical calqué sur le mouvement fondé par Marinetti, et notamment Balilla Pratella, dont les manifestes réclamaient, dès 1912, la négation absolue de tout le passé.
Ces différentes initiatives provoquèrent non seulement un renouveau symphonique, mais aussi un mouvement de curiosité et d'intérêt pour tous les courants susceptibles de permettre à la jeune école italienne de trouver sa place dans le concert. Si la précédente génération subit forcément l'influence des impressionnnistes français, celle de Zecchi, Petrassi et Dallapiccola fut plus sensible aux théories dodécaphonistes, traitant, du reste, la méthode des Viennois dans un pur esprit de liberté et conservant ses attaches avec le lyrisme traditionnel.
Il était, par ailleurs, fréquent de rencontrer, dans la démarche des compositeurs, une formation de base largement inspirée du fonds national et une première période néoclassique dans les réalisations sous l'influence de personnalités comme Hindemith, Bartók ou Stravinsky (Turchi, Bibalo, Donatoni, Zafred, Togni, etc.). Certains s'en tinrent à cette technique compositionnelle : Mario Labroca, Adriano Lualdi, Nino Rotta, Bruno Bettinelli, Mario Castelnuovo-Tedesco, Ennio Porrino, Luciano Chailly et la plupart des élèves de Respighi. Les autres tentèrent une utilisation personnelle du style postsériel en adaptant le langage dodécaphonique à leurs propres tendances. L'un des plus anciens, Giacinto Scelsi, et qui en fut le premier représentant en Italie, évolua par la suite vers des recherches sonores parallèles à celles de Varèse. Roman Vlad, élève de Casella et autre pionnier du dodécaphonisme, opta réciproquement pour plus de liberté romantique. Carlo Jachino, l'aîné de tous (1887-1971), en codifia les articles dans un traité, Tecnica dodecafonica, qui fit autorité. Mario Peragallo, parti du vérisme, traversa le système sériel en totale indépendance pour s'orienter ensuite vers des recherches sonores rappelant le pointillisme. Carlo Prosperi revint au langage tonal, Vittorio Fellegara à un éclectisme souriant, Valentino Bucci, élève de Dallapiccola, à un néoclassicisme de fantaisie et Girolamo Arrigo, après quelques partitions explosives, ne craignit pas de laisser chanter son lyrisme intérieur dans la grande tradition polyphonique des Vénitiens ou dans la sensualité des combinaisons sonores.
Le même éclectisme affecte, du reste, depuis plusieurs décennies, le monde de l'opéra, pour lequel les Italiens conservent un penchant indéfectible, y compris depuis la fin du vérisme auquel ses promoteurs avaient eux-mêmes renoncé (un incessant renouvellement se remarque dans la carrière de Mascagni, comme dans celle de Puccini et de Leoncavallo). Du traditionalisme de Renzo Rossellini (Vu du pont) à l'opéra atonal de Giacomo Manzoni (Atomtod), la gamme des différentes conceptions lyriques englobe, pêle-mêle, Arrigo Pedrollo, Ricardo Malipiero, Guido Pannain, Vieni Tosatti, Cesare Brero, le turbulent Angelo Paccagnini et même Dallapiccola (Vol de nuit, Ulisse), Nono (Intolleranza) et Berio (Opera).
Si le nom de Dallapiccola est, aujourd'hui encore en Italie, l'autorité suprême à laquelle les compositeurs des différents styles peuvent se référer, les chefs de file du mouvement postwebernien, Luigi Nono, Bruno Maderna, Luciano Berio, Aldo Clementi, Franco Evangelisti et Sylvano Bussotti représentèrent jusque vers 1970 l'essentiel de l'école contemporaine, influencée à des titres divers par les symphonistes du dernier romantisme, Messiaen, Stockhausen, Boulez ou John Cage. La création (par Berio et Maderna, en 1955) du Studio de phonologie musicale rattaché à la branche milanaise de la RAI a été également à l'origine d'expériences électroniques du plus haut intérêt : de jeunes créateurs comme Niccolo Castiglioni ou Salvatore Sciarrino y partent en quête d'un monde sonore strictement individuel, où la superposition des techniques modernes et de l'esprit du passé demeure un gage d'originalité.
Les différents festivals ou concerts d'avant-garde comme ceux de Venise, Palerme, Florence (Mai florentin), Turin (Antidogma Musica) ou Rome (Nuova Consonanza, fondé par Evangelisti en 1961), apportèrent alors et continuent d'apporter un soutien puissant à l'activité d'une école musicale en plein essor.
À partir des années 1970, se sont confirmés ou imposés les noms de Franco Donatoni, Paolo Castaldi, Guido Baggiani, Giacomo Manzoni, Francesco Pennisi, Paolo Renosto, Romano Pezzati, Guiliano Zosi, Aimone Mantero, Fernando Grillo, Luca Lombardi, Giuseppe Sinopoli, Salvatore Sciarrino, Sandro Gorli, Claudio Ambrosini, Fabio Vacchi, Lorenzo Ferrero, Gilberto Cappelli, Giorgio Battistelli, Gianpolo Testoni, Giorgio Tedde.