La bombe atomique du pauvre

L'armée iraqienne a-t-elle eu recours à l'arme chimique contre les populations kurdes du nord du pays ? Oui, massivement, selon un rapport d'Amnesty International publié le 2 septembre, qui dénonce « la politique systématique et délibérée » de l'Iraq en vue d'éliminer les Kurdes. Non, aux dires des autorités iraqiennes, qui ne nient pas l'offensive menée entre le 27 août et le 5 septembre contre les autonomistes du Kurdistan, mais dénoncent la campagne de « désinformation » de l'Occident et refusent d'accueillir la mission d'enquête de l'ONU réclamée par douze pays.

Les témoignages des organisations sanitaires internationales présentes en Turquie dans les camps de réfugiés, où s'entassent des dizaines de milliers de Kurdes iraqiens ne permettent pas de trancher entre ces deux affirmations contradictoires. Mais la mort due aux gaz de 5 000 villageois kurdes à Halabja, en mars est en revanche un fait avéré, tout comme l'utilisation des armes chimiques dans la guerre irano-iraqienne par les deux parties concernées.

Peu sensible au martyre du peuple kurde, sacrifié au règlement du conflit entre l'Iran et l'Iraq, l'Occident s'inquiète toutefois de la prolifération dans le tiers monde d'armements chimiques faciles à fabriquer – ypérite ou gaz moutarde, vésicants mortels ou neurotoxiques –, qui risquent de devenir, selon le secrétaire d'État américain George Shultz, « la bombe atomique du pauvre ».

À New York, le 26 septembre, dans son discours d'ouverture de la 43^e session de l'Assemblée générale de l'ONU, le président Ronald Reagan propose la réunion d'une conférence internationale visant à interdire la fabrication, et non plus seulement l'emploi, comme le prévoyait le protocole de 1925, des armes chimiques. Son initiative est accueillie favorablement tant par les pays de l'OTAN que par l'URSS. Trois jours plus tard, à la même tribune, M. François Mitterrand déclare que la France renonce à sa doctrine qui prévoyait de se doter d'un stock minimum de ce type d'armes tant que l'URSS n'aurait pas démantelé ses propres arsenaux chimiques

Paris étant dépositaire du traité de 1925, la conférence y est fixée du 7 au 11 janvier 1989.

Tout un pays sous l'eau

Régulièrement, à l'époque de la mousson, un tiers environ de la surface du Bangladesh, ce « pays delta », est inondé par le débordement des trois principaux fleuves du bassin, le Gange, le Brahmapoutre et le Meghna.

Cette année, à partir du 29 août et en quelques heures, ce sont les trois quarts de son territoire qui disparaissent sous les eaux brunes dévalant des contreforts de l'Him�laya. Le président Ershad accuse l'Inde et ses barrages sur le Gange, mais le Bangladesh n'a jamais rien fait pour aménager son propre bassin hydraulique. Le 2 septembre, l'aéroport inondé de la capitale, Dacca, est fermé au trafic.

Dans un pays quatre fois plus petit que la France mais deux fois plus peuplé, l'un des plus pauvres du monde, ces inondations prennent la tournure d'une gigantesque catastrophe. Le nombre officiel des victimes, probablement sous-estimé, s'élève à 1 500 ; les unes sont emportées par les flots, les autres sont frappées de dysenterie ou mordues par les serpents. On estime à 30 millions le nombre des sans-abri. Réfugiés sur les rares digues ou terrasses émergées, ceux-ci sont ravitaillés – insuffisamment – par hélicoptère ou recueillis dans les étages supérieurs des bâtiments officiels dans des conditions d'hygiène déplorables. Les dégâts économiques sont impossibles à chiffrer : routes, voies ferrées et réseau électrique balayés cheptel noyé et récoltes anéanties.

Mais deux fléaux plus graves vont encore frapper le pays. Il s'agit tout d'abord des épidémies liées à l'eau, et en premier lieu du choléra. Cette maladie, qui existe à l'état endémique dans cette région du globe, est déjà la cause du quart des admissions hospitalières et menace de se propager. La famine constitue le second fléau. Le gouvernement affirme que, dans un premier temps, les stocks existants peuvent en principe compenser la destruction de la récolte de riz d'automne. Mais l'inquiétude porte sur la situation des paysans privés de travail et donc d'argent.

La lente décrue qui s'amorce à partir du 8 septembre permet à l'aide internationale, d'un montant global de 250 millions de dollars de parvenir au Bangladesh. Mais, souvent inadaptée, celle-ci se heurte en outre à l'inefficacité des organisations gouvernementales chargées de la répartition.

La révolte des lucarnes

En cette soirée du lundi 12 septembre, la France est coupée en deux. D'un côté, 18,2 % des foyers assistent au retour de Christine Ockrent au journal télévisé d'Antenne 2, tandis que, de l'autre, les 26,8 % de fidèles de Patrick Poivre d'Arvor suivent l'édition de 20 h que celui-ci présente sur TF1. L'enjeu de la bataille d'audience quotidienne autour du « prime time », cette heure de grande écoute, entre 19 h 30 et 20 h 30, où les trente secondes de publicité valent entre 200 000 F et 500 000 F, justifie-t-il le montant du salaire des stars des médias ? Les 120 000 F mensuels consentis par la chaîne publique à la « reine Christine » contrastent avec le faible budget réservé à l'information et cristallisent le mécontentement des autres journalistes de la rédaction. Paul Amar, chef du service politique, se met « en vacance » de la chaîne, mais la révolte s'étend rapidement aux « obscurs », aux « sans-grade » de la télévision. Les revendications portent tant sur la disparité des rémunérations que sur les conditions de travail et le déroulement des carrières.

Dès le 14, un préavis de grève est déposé pour le 21. Malgré l'ouverture de négociations et la démission du directeur de l'information d'A2, M. Élie Vannier – auquel succède M. Claude Carré –, et en dépit des interventions, jugées parfois intempestives, de Mme Catherine Tasca, ministre délégué chargé de la Communication, la grève débute le 21, à 0 h 20, interrompant la retransmission des jeux Olympiques. Le lendemain, FR3 et Radio-France se joignent au mouvement. Le 24, la traditionnelle cérémonie de remise des 7 d'or ne peut être retransmise, évitant ainsi aux téléspectateurs d'assister en direct à quelques échanges acerbes entre professionnels de l'audiovisuel...

Le jeudi 29 marque l'apogée du mouvement : la grève touche l'ensemble des sociétés publiques, à l'exception de Radio-France Outre-mer (RFO), et s'étend également aux chaînes privées ; une partie du personnel de TF1 arrête le travail, tandis que certaines régions sont totalement privées d'images en raison de l'arrêt des émetteurs de TDF. Pourtant, le soir même, les grévistes d'A2, qui ont obtenu le paiement de la moitié des jours de grève, votent la reprise du travail, suivis, le lendemain, par ceux de TDF, de TINA, de la SFP et de Radio-France, qui constatent de « notables avancées » dans les négociations. Mais ce n'est que le 4 octobre que FR3 et Radio-France International (RFI) cessent le mouvement, mettant ainsi un terme à l'un des plus longs conflits de l'audiovisuel public.

Le coup d'éclat de Gorbatchev

Le 12 septembre à Krasnoïarsk, en Sibérie, alors qu'il est en train de prendre un bain de foule, M. Mikhaïl Gorbatchev est vigoureusement interpellé sur le manque de résultats de sa politique. Cet incident lui permet de mesurer les dangers pour sa crédibilité, de la lenteur de la perestroïka. Il décide alors d'accélérer le calendrier de ses réformes afin de conserver son avance.

Conséquence d'un sabotage de la part des conservateurs ou simple effet d'un marasme structurel ? Toujours est-il que la vie quotidienne des Soviétiques continue de se dégrader. Les mesures d'assouplissement de la loi antialcoolique de 1985, décrétées en septembre, ne peuvent susciter qu'un regain de popularité passager. Mikhaïl Gorbatchev sait que dans sa lutte contre l'inadaptation d'une structure – celle de L'État-parti soviétique – à une nécessité – celle, pour l'URSS, de devenir un pays moderne et dont la perestroïka n'est que l'instrument –, le temps joue contre lui. « Nous perdons du temps et cela signifie que nous perdons la partie », déclare-t-il le 23 septembre aux responsables des médias soviétiques. Il lui faut donc reprendre l'initiative sur le terrain politique.

Il le fait, de la façon spectaculaire qu'il affectionne, en convoquant de manière impromptue le Comité central du parti le 30 septembre. En avance sur le calendrier prévu, il veut ainsi traduire dans les faits le principe, acquis en juin lors de la XIX^e conférence du PCUS, des réformes politiques. Celles-ci visent à établir une séparation – à la notable exception de la tête de l'État – des fonctions d'un parti assurant les choix politiques et de celles d'un gouvernement qui serait enfin responsable de la gestion du pays.

Le remaniement du bureau politique qui s'ensuit est destiné, de façon plus symbolique que décisive, à illustrer cette volonté. Le départ avec honneurs d'Andreï Gromyko (79 ans) accompagne celui de plusieurs membres de la vieille garde. La principale innovation est la nomination de Vadim Medvedev au poste de responsable de l'idéologie, qu'occupait Egor Ligatchev, numéro deux du parti et chef de file des conservateurs, auquel échoit le délicat dossier de l'agriculture.

Le 1^er octobre, le Soviet suprême consacre le coup d'éclat de Mikhaïl Gorbatchev en l'élisant à l'unanimité au poste de chef de l'État, dont Andreï Gromyko avait demandé à être déchargé.

L'ordre règne à Rangoon

Le 18 septembre, en Birmanie, un coup d'État met fin à près de deux mois de troubles et d'effervescence populaires.

Dans un pays qu'une dictature militaire a isolé du reste du monde pendant vingt-cinq ans, l'histoire s'accélère à partir du 23 juillet ; les émeutes étudiantes de mars et de juin en faveur de la démocratie, réprimées dans le sang, et l'échec de sa politique économique contraignent alors le général Ne Win, président du Parti (unique) du programme socialiste birman (BSPP) et homme fort du pays depuis 1962, à démissionner, provoquant aussitôt la chute du général San Yu, président de la République.

Le général Sein Lwin, surnommé par les étudiants le « boucher de Rangoon », leur succède à la tête du parti et de l'État. Devant l'échec de la répression, qui fait 3 000 victimes, et la recrudescence des manifestations qui s'étendent en province et reçoivent le soutien de la population ainsi que d'une partie des fonctionnaires et du clergé bouddhiste, le général Sein Lwin renonce au pouvoir le 12 août.

Jouant alors la modération, le BSPP et le Parlement désignent pour le remplacer un civil, M. Maung Maung. Partisan de la négociation, celui-ci refuse toutefois d'abolir le système de parti unique et se heurte à son tour à la détermination des centaines de milliers de manifestants. L'opposition s'organise autour de l'ancien Premier ministre U Nu, de l'ancien ministre de la Défense Tin U et de la fille du père de l'indépendance, Mme Aung San Suu Kyi, tandis que les ouvriers se joignent au mouvement et que des divisions apparaissent au sein même de l'armée.

M. Maung Maung commence alors à céder ; le 1^er septembre, il admet la constitution du premier syndicat étudiant après vingt-six ans d'interdiction. L'annonce, le 10, de la tenue prochaine d'élections générales dans le cadre d'un multipartisme ne calme toujours pas l'opposition, qui réclame la formation d'un gouvernement intérimaire et la dissolution du BSPP. Le pouvoir se terre tandis que les grandes villes du pays passent sous le contrôle de « comités populaires ».

Mais l'armée réagit le 18 septembre. Le ministre de la Défense, le général Saw Maung, prend le pouvoir à Rangoon à la tête d'un comité de militaires « pour la restauration de la paix ». Le bilan de la répression qui s'ensuit s'élève à un millier de morts. Alors que le travail reprend le 3 octobre après six semaines de grève, la junte engage l'opposition à former des partis politiques en prévision des élections, qu'elle déclare maintenir. Dans l'ombre, le vieux général Ne Win continue en fait à décider de l'avenir du pays ; à la tête de l'État, ce sont trois de ses proches qui se sont succédé en moins de deux mois.

Le mois de Nelson Paillou

J'ai eu la joie de vivre à Séoul un mois de septembre historique pour l'olympisme.

Historique parce que. pour la première fois, ces XXIV^e jeux Olympiques d'été ont été réellement universels avec la participation effective d'athlètes émanant de 160 pays des cinq continents. Seuls les jeux Olympiques sont capables de rassembler pendant trois semaines plus de 10 000 athlètes du monde entier dans un même village ; 10 000 jeunes pour lesquels les différences de langue, de religion, de race, de politique, de coutumes et de mœurs n'ont jamais nui à une communication authentique ni à des échanges fructueux.

Le maire du village pouvait annoncer avec fierté, au moment de la cérémonie de clôture, qu'il n'avait eu à déplorer aucun incident, aucun conflit, aucun comportement excessif. On a pu vérifier, dans le vécu quotidien du village, que la richesse de la convivialité, le respect de l'autre, le droit à la différence constituaient bien les règles d'or de ce gigantesque rassemblement de la jeunesse sportive du monde. Quelle leçon, quel magnifique exemple pour les trois milliards et demi de téléspectateurs disséminés dans un monde où la « sagesse » est rarement la ligne de conduite.

Comment ne pas ajouter que le Comité international olympique n'a pas eu à regretter sa témérité en désignant, pour théâtre des jeux, la Corée du Sud, où les craintes d'incidents graves étaient justifiées tant aux frontières du nord qu'à l'intérieur même du pays. La trêve antique durant les jeux, vertu de l'olympisme, a été scrupuleusement respectée.

Historiques, ces jeux l'ont été aussi par l'exemplarité des mesures prises par le CIO pour lutter contre les « tricheurs ». En osant frapper fort et haut (on ne pouvait trouver mieux que Ben Johnson à cet égard), le CIO a affiché, aux yeux du monde, sa volonté inébranlable de mener une lutte sans merci contre le dopage. Par la même occasion, il a crédibilisé les performances de l'ensemble des lauréats. Nous disons oui à l'exploit sportif, à la haute performance, mais nous repoussons énergiquement les moyens illicites pour y parvenir. Si la barre des records est placée aujourd'hui tellement haut, dans certaines disciplines, que les possibilités humaines, à elles seules, ne suffisent plus pour les dépasser, alors on applaudira le champion, le meilleur de l'heure, avec le même enthousiasme que s'il était recordman. On n'hésitera pas à le bannir s'il fait appel à la chimie pour améliorer ses résultats. En imposant cette règle de conduite, les dirigeants des temps modernes de l'olympisme s'inscrivent dans le droit fil de la philosophie humaniste de Coubertin. Ne tuons pas l'homme pour préparer l'athlète !

Qu'on me pardonne enfin de laisser vibrer la corde patriotique, l'espace de quelques lignes, pour me réjouir des résultats de nos Français à Séoul : 16 médailles, dont 6 d'or, et une excellente 9^e place mondiale au classement général, voilà un résultat d'ensemble honorable, même s'il nous faut prendre conscience que des améliorations peuvent nous rendre encore plus opérationnels en 1992 ; la France n'a pas le droit de manquer les rendez-vous d'Albertville et de Barcelone.

Nelson Paillou
président du Comité national olympique et sportif français