Des otages ballottés

Le 5 avril, un Boeing koweïtien effectuant la liaison Bangkok-Koweït avec 112 personnes à bord, dont 3 membres de la famille royale, est détourné vers l'aéroport de Mechhed, en Iran. Les pirates menacent de faire sauter l'avion si 17 extrémistes chiites pro-iraniens détenus au Koweït ne sont pas libérés ce que les autorités refusent catégoriquement. Une soixantaine de passagers sont libérés avant que les Iraniens acceptent de faire le plein de carburant et que l'avion s'envole, le 8, en direction du Liban. Mais les pistes de l'aéroport de Beyrouth ayant été fermées c'est finalement à Larnaca (Chypre) que l'avion se pose, après sept heures de vol.

Devant le refus des autorités de leur fournir du carburant, les pirates s'en prennent aux passagers et tuent deux Koweïtiens dont ils jettent ensuite les corps en dehors de l'avion, tandis qu'à Beyrouth, le Djihad islamique menace d'exécuter tous les Occidentaux qu'il détient en otage si un assaut est tenté contre l'appareil.

Le 12, après une médiation de l'OLP, l'Algérie accepte d'accueillir le Boeing. Douze passagers sont libérés en échange de kérosène et l'avion décolle dans la nuit pour Alger, où les négociateurs algériens obtiennent la promesse qu'aucune violence ne sera exercée sur les otages. Les jours suivants n'apportent aucun progrès les pirates se montrant aussi intraitables que le Koweït. Par la radio du bord certains otages lancent des appels pathétiques et une « conférence de presse » est même organisée, le 16, du haut de la passerelle ; les pirates renouvellent leurs exigences et demandent du kérosène pour que « le massacre ne se passe pas dans l'Algérie amie ».

Ce n'est que le 20 à l'aube, après plusieurs contacts directs entre pirates et négociateurs algériens que les 31 derniers otages, détenus depuis 16 jours, sont enfin libérés. Le mystère reste entier sur les termes de l'accord conclu avec les auteurs du détournement, si ce n'est qu'ils obtiennent l'impunité. L'Iran est gravement mis en cause, car les pirates auraient reçu des instructions de Téhéran et certains d'entre eux seraient montés à bord du Boeing lors de l'escale de Mechhed.

Myc Mouse

Le 12 avril, pour la première fois, un mammifère au patrimoine génétique transformé fait l'objet d'une demande de brevet. Jusqu'alors cette protection ne pouvait s'appliquer, en matière de vivant, qu'à des micro-organismes dont on avait modifié l'organisation du génome, généralement à des fins industrielles. En accordant une protection à Myc Mouse, l'Office américain des brevets franchit donc une nouvelle étape dans l'histoire ambiguë des rapports entre la recherche biologique et les intérêts économiques.

Myc Mouse est une souris dans le patrimoine génétique de laquelle deux chercheurs américains de l'université Harvard, Philip Leder et Timothy Stewart, ont réussi à introduire un gène du cancer. Cette manipulation vise à disposer d'un modèle animal permettant de mieux étudier le cancer du sein. La demande de brevet, déposée aussi en Europe, a pour but de protéger la « propriété industrielle » des chercheurs et toutes les applications médicales qui pourraient en résulter.

Mais l'émergence de telles procédures dans le champ du vivant soulève de sérieuses questions d'ordre éthique. En théorie, en effet, le vivant n'est pas brevetable. « Nous ne brevetons pas un organisme vivant, répondent les autorités américaines mais une création humaine. » En 1980, la Cour suprême avait déjà déclaré que la loi sur les brevets permettait d'« inclure tout ce qui sous le soleil est créé par l'homme ». D'autres voient, au contraire, dans la protection par brevet d'animaux supérieurs un vrai bouleversement dans les rapports entre l'homme et la nature ; Ils estiment qu'un nouveau et dangereux pas est franchi dans l'appropriation par certains de structures biologiques qui, à leur avis, font partie intégrante du patrimoine de la collectivité humaine. Cette inquiétude paraît d'autant plus légitime que les mêmes techniques que celles employées pour produire Myc Mouse sont utilisées pour découvrir l'agencement et l'organisation moléculaire du patrimoine génétique humain. Pour le compte de multinationales pharmaceutiques, des brevets protègent déjà des gènes humains qui dirigent la synthèse de substances utilisées à des fins thérapeutiques (insuline, interférons hormones).

Des intérêts particuliers vont-ils alors réussir à s'approprier, dans un but commercial, ce qui appartient de droit à l'humanité tout entière ? La question est posée, et les gouvernements devront y répondre.

L'assassinat d'Abou Jihad

Le samedi 16 avril, à 1 heure du matin, un commando d'hommes armés pénètre dans une villa de Sidi-Bou-Saïd, près de Tunis, et assassine Khalil el Wazir, dit Abou Jihad, le numéro deux de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) et le bras droit de Yasser Arafat. Parfaitement conçue et réalisée, l'opération n'a duré que quelques minutes le temps de cribler de balles la victime, dont l'épouse et les enfants sont épargnés L'attentat n'est pas revendiqué, mais la presse internationale publie des enquêtes mettant directement en cause le Mossad, c'est-à-dire les services secrets israéliens.

Chargé de l'organisation des militants dans les territoires occupés ainsi que des opérations militaires contre Israël, Abou Jihad était devenu l'adversaire implacable de l'État hébreu, surtout depuis le mois de décembre 1987, date du début des affrontements entre les jeunes Palestiniens et l'armée israélienne.

Dans un premier temps l'assassinat d'Abou Jihad favorise la reprise du dialogue, non seulement entre les différentes factions palestiniennes, mais aussi entre celles-ci et le gouvernement de Damas « J'espère que le sang pur d'Abou Jihad permettra la réconciliation entre la Syrie et l'OLP », déclare sa veuve, le 20 avril, lors de ses obsèques célébrées au cimetière des martyrs du camp palestinien de Yarmouk, au sud de Damas. Cinq ans après leur expulsion du Liban par l'armée syrienne, les dirigeants de l'OLP sont autorisés à revenir pour assister aux funérailles. Ils sont tous présents à l'exception de Yasser Arafat, et tous expriment leur souhait d'un nouveau rapprochement syro-palestinien. Les retrouvailles officielles ont lieu le 25 avril dans la capitale syrienne et sont marquées par une rencontre de quatre heures entre Yasser Arafat et le président Hafez el Assad. Mais chacun campe sur ses positions et le chef de l'OLP réaffirme sa détermination à demeurer le seul maître de la « décision palestinienne ». Dès le 30 avril, dans le camp de Chatila, les combats reprennent entre arafistes et dissidents prosyriens ; l'échec des tentatives de réconciliation entre la Syrie et les Palestiniens est alors confirmé.

Lettres : Tchicaya U Tam'Si

Auteur d'une œuvre variée, riche en poèmes, en contes, en romans, en pièces de théâtre, et dans laquelle l'inspiration et l'élan poétiques dominent, Gérald Tchicaya U Tam'Si, qui meurt le 22 avril d'une crise cardiaque dans sa maison de Bazancourt (Oise), restera l'une des voix les plus fécondes de la littérature africaine d'expression française.

Né en 1931 à Mpili, au Congo, fils de Félix Tchicaya, militant nationaliste, député du Moyen-Congo au Palais-Bourbon de 1946 à 1956, Gérald Tchicaya U Tam'Si, tout en restant fidèle à ses origines et à son identité africaine, a su exprimer dans son œuvre sa personnalité propre. Il l'a fait avec passion, dans un lyrisme âpre et fougueux (« Mon visage est de proue, j'affronte à jeun l'orage. Sur la mer chaque éclair me sustente et m'enivre »).

Ses « années de formation », Tchicaya les passe en France, à partir de l'âge de quinze ans ; elles sont marquées par une certaine instabilité, un désir d'indépendance, par la découverte enfin de sa vocation d'écrivain. En 1960, lors de l'indépendance du Congo belge, il milite auprès de Lumumba et dirige durant quelques mois le journal Congo, organe du Mouvement national congolais. Celte expérience le marque en profondeur. Installé en France, Tchicaya U Tam'Si, en marge de ses activités littéraires mène une carrière de fonctionnaire international auprès de l'UNESCO.

« Homme de rêve et de passion », selon Léopold Sedar Senghor, qui préface en 1962 son livre de poèmes Épitomé, Tchicaya U Tam'Si avait publié son premier recueil, le Mauvais Sang, en 1955, puis Feu de brousse en 1957 et À triche-cœur en 1960.... « Je veux créer un nouvel imaginaire, une terre nouvelle où intégrer tous les éléments syncrétiques », explique-t-il. De fait, son œuvre ne craint pas de montrer les turbulences, le chaos d'images et de rêves dont cette création est l'occasion. Cette puissance d'imagination et d'évocation, Tchicaya l'exerce également dans son œuvre en prose. Sa trilogie romanesque – les Cancrelats (publié en 1980, mais rédigé en 1954), les Méduses (1982) et les Phalèses (1984) – retrace, sur un mode souvent onirique et volontairement outré, l'histoire du Congo depuis la fin du xix^e siècle jusqu'à l'aube de l'indépendance.

Enfin, outre un recueil de Légendes africaines (1969) et des nouvelles – la Main sèche (1980) – Tchicaya U Tam'Si a composé une œuvre théâtrale originale dans laquelle la satire féroce et provocatrice se mêle à l'humour, qui est chez lui une forme de sagesse. Citons le Zulu, pièce créée à Avignon en 1976, et la « comédie-farce-sinistre », le Destin glorieux du maréchal Nnikon Nniku, prince qu'on sort (1979).

Le mois de Joseph Sitruk

Voilà 3 300 ans cette année, selon un compte précisément tenu par les sages d'Israël, que le peuple juif quittait le pays d'Égypte sous la conduite de Moïse. Pour les Hébreux, cet événement avait une triple signification : il rendait la présence divine explicite dans le monde par les miracles extraordinaires dont les hommes étaient témoins et, ainsi, concrétisait la promesse faite aux patriarches, des siècles auparavant ; il libérait de façon spectaculaire un peuple asservi et marquait la fin de l'esclavage de l'homme par l'homme ; enfin, il indiquait ce que serait la vocation d'Israël : recevoir la loi au désert du Sinaï, étape indispensable avant l'entrée en Terre promise.

Cette triple dimension de la Providence, de la Liberté et de la Vocation s'est ancrée profondément dans lame juive, en particulier lors de la célébration annuelle de la fête de Pessah (Pâque), où le Seder (soirée commémorative de louanges) s'achevait par ces mots : « L'an prochain à Jérusalem ». Il y a quarante ans, le rêve est devenu réalité : le peuple juif retrouvait la terre biblique.

Les aspects politiques complexes de la situation de l'État d'Israël ne doivent pas nous faire perdre de vue le caractère extraordinaire de ce retour. Même si, depuis 2 000 ans les juifs n'ont jamais quitté la terre d'Israël, l'immense majorité d'entre eux se trouvait disséminée dans tous les coins du monde. Minorité souvent persécutée qui a payé un très lourd tribut pour la survivance de son identité.

L'affection particulière que les juifs du monde entier portent à l'État d'Israël doit d'abord se comprendre par cette formidable histoire. Et sans doute aussi par l'espoir que cet État incarne aux yeux du peuple juif. Il y a moins de cinquante ans, dans les rues de Paris, on pouvait voir l'Étoile de David : noire sur fond jaune, signe d'humiliation sur fond de tristesse. En octobre 1988, pour la première visite du chef de l'État d'Israël, les Champs-Élysées reverront la même Étoile, mais elle sera resplendissante : bleue sur fond blanc. Lumière d'espoir sur clarté d'avenir, elle est un peu le testament laissé par les disparus qui auraient tant voulu la voir briller en ces lieux.

Israël n'est pas parfait, loin de là, mais son projet est grandiose et ses aspirations légitimes. Les prophètes bibliques disent qu'un jour Jérusalem sera capitale universelle, par la force de sa justice et par le rayonnement de son esprit. Car, pour nous, la grandeur d'un État ne se mesure pas à sa puissance de destruction, à la force de son économie ou à l'étendue de son territoire, mais à la fécondité de son imagination, à sa capacité à maintenir en vie son idéal et à sa détermination à espérer et à construire envers et contre tout.

Voilà pourquoi nous souhaitons à l'État d'Israël, tout jeune plant posé sur une terre aride, de grandir dans la justice et dans la dignité, dans la sérénité et dans la paix. Comprendre ces aspirations, c'est mieux comprendre le vrai combat du peuple juif ; il n'est pas celui des armes mais celui de l'esprit.

Ce combat débouchera sur la fraternité entre les hommes, telle est notre prière.

Joseph Sitruk
Grand rabbin de France