Les morts de Gibraltar

Le 6, à Gibraltar, trois Irlandais du Nord, membres de l'IRA, sont tués par des agents des forces spéciales de l'armée britannique.

Dès le lendemain, le secrétaire au Foreign Office, sir Geoffrey Howe, déclare que les victimes préparaient un « épouvantable acte de terrorisme » ; mais le fait que celles-ci, qui ne portaient pas d'armes aient été abattues sans sommation provoque une explosion de colère en Ulster, où de violentes manifestations contre ce qui est dénoncé comme « une exécution » sont organisées pendant la nuit du 9 au 10 dans plusieurs quartiers catholiques de Belfast.

Chaque jour qui passe accroît la tension ; du 13 au 15, on déplore ainsi un assassinat quotidien. Les autorités redoutent le pire à l'occasion des obsèques des trois morts de Gibraltar, qui ont lieu le 16 à Belfast, et choisissent la discrétion ; aucun soldat ni policier n'est visible près de l'église où la cérémonie, à laquelle participent 10 000 personnes environ, se déroule sans incident. Mais le drame se produit au cimetière de Milltown, au cours de l'inhumation : un protestant isolé sème la panique en lançant des grenades et en tirant sur la foule. Trois catholiques sont tués ; les blessés, au nombre d'une soixantaine, doivent être évacués à l'aide des corbillards qui viennent de transporter les cercueils...

Le 17, jour de la Saint-Patrick, patron des Irlandais reste calme, et rien ne trouble l'enterrement d'un autre membre de l'IRA ; mais l'horreur réapparaît deux jours plus tard, lors des funérailles de l'une des victimes du 16. Deux soldats britanniques en civil se trouvent bloqués par le cortège ; ils sont immédiatement pris à partie par la foule, tirés de force de leur automobile, lynchés et finalement achevés par des membres de l'IRA.

Ce double assassinat, que l'IRA revendique, soulève l'indignation en Grande-Bretagne, où Mme Thatcher dénonce cette « sauvagerie révoltante ». L'émotion est d'autant plus vive que des photos sont publiées dans la presse et des films diffusés par la télévision. Leur violence est insoutenable. Le 21, M. Tom King, ministre chargé de l'Irlande du Nord, annonce un réexamen des dispositifs de sécurité, tandis que les gouvernements anglais et irlandais (du Sud) conviennent de se réunir afin de relancer l'accord qu'ils avaient conclu en 1984, et qui était quelque peu tombé dans l'oubli.

Le droit de regard qu'il donne au gouvernement de Dublin sur le sort de la minorité catholique d'Ulster devrait pourtant être un des moyens de rompre l'infernal engrenage de la violence.

La trêve de Sapoa

Le 6, l'armée sandiniste lance une vaste offensive contre les bastions de la Contra dans la région de Bocay, au nord-est du pays et à proximité de la frontière avec le Honduras.

Cette opération militaire a été décidée afin de permettre aux dirigeants de Managua de se trouver en position de force lorsque s'ouvriront avec la Contra les négociations directes dont le principe a été accepté le 16 janvier ; elle intervient aussi au moment où les rebelles sont privés de l'aide américaine que la Chambre des représentants a refusé de renouveler le 3 février, repoussant même, le 3 mars un autre projet d'assistance, strictement humanitaire cette fois.

Chaque jour, les combats prennent de l'ampleur ; le 15, l'armée nicaraguayenne pénètre au Honduras où les forces de la Contra se sont repliées ; le 16, le président hondurien José Azcona, cédant à la pression de Washington, demande l'assistance des États-Unis pour faire face à l'incursion nicaraguayenne. Le président Reagan, qui souhaite manifester son soutien aux « combattants de la liberté », décide aussitôt l'envoi au Honduras de 3 200 militaires pour un « exercice de déploiement d'urgence ». Bien qu'il soit exclu que les soldats américains participent à des combats cette initiative provoque une brusque effervescence dans la région. À Managua, les autorités procèdent au rappel de 15 000 réservistes et demandent à la population de se préparer à l'« agression imminente » des États-Unis.

Le 21, cependant, la rencontre qui était prévue entre les sandinistes et la Contra a lieu à Sapoa, ville du sud du Nicaragua proche de la frontière du Costa Rica. C'est la première fois que la négociation a lieu sur le sol nicaraguayen et à un aussi haut niveau : la délégation sandiniste est dirigée par le ministre nicaraguayen de la Défense, M. Humberto Ortega, frère du chef de l'État, et celle de l'opposition, par M. Adolfo Calero, un des principaux dirigeants de la Contra. Une trêve est conclue pour la durée des discussions qui commencent dans un « climat de franchise et de respect ».

Le 23, un accord est signé, qui prévoit l'entrée en vigueur, le 1^er avril, d'un cessez-le-feu d'une durée de 60 jours. Chaque partie a accepté de faire des concessions ; conformément au plan de paix régional conclu le 7 août 1987, le gouvernement sandiniste s'engage à respecter la liberté de la presse et à décréter une amnistie totale en faveur des 3 000 prisonniers politiques tandis que la Contra accepte que ses forces (environ 12 000 hommes) soient regroupées dans des enclaves où elles ne pourront recevoir aucune aide autre qu'humanitaire. À Washington, les réactions officielles à cet accord expriment surprise et scepticisme Le secrétaire d'État George Shultz, après avoir estimé qu'il s'agissait d'« un important pas en avant », rappelle que « l'histoire récente du Nicaragua est celle des promesses que les sandinistes n'ont pas tenues ».

Le 30, se termine le rapatriement des 3 200 soldats américains qui, du 18 au 28, ont participé aux « manœuvres Faisan doré » avec l'armée hondurienne. Le même jour, par 345 voix contre 70, la Chambre des représentants vote l'attribution de nouveaux crédits américains à la Contra. Cette aide humanitaire, d'un montant total de 48 millions de dollars est approuvée le 31 par le Sénat. Elle comporte notamment une allocation de 17,7 millions au profit des enfants blessés durant les sept années de guerre civile et une somme équivalente pour permettre aux guérilleros de se procurer de la nourriture, des vêtements et des médicaments pendant six mois.

Opération Hydra VIII

Les limites de la plongée humaine reculent. Le 1^er mars trois plongeurs participant à l'opération Hydra VIII, au large de Cassis (Bouches-du-Rhône), nagent et travaillent à la profondeur de 531 mètres Cette expérience vise à tester en vraie grandeur l'efficacité d'un mélange respiratoire composé d'hydrogène, d'hélium et d'oxygène, l'hydréliox, déjà expérimenté dans les caissons pressurises du Centre national d'essais hyperbares à Marseille.

La plongée profonde a beaucoup progressé depuis vingt ans sous l'impulsion de l'industrie pétrolière offshore. L'« ivresse des profondeurs », causée par l'azote de l'air, l'apparition, avec le mélange hélium-oxygène (héliox), du syndrome nerveux des hautes pressions (SNHP), les limites enfin, du mélange hydrogène-oxygène (hydrox) ont conduit à l'utilisation de l'hydréliox qui procure aux plongeurs un confort jusqu'alors inconnu à des pressions dépassant 50 atmosphères. Entre le 26 février et le 22 mars les six hommes d'Hydra VIII – quatre plongeurs de la Comex et deux de la marine nationale – séjournent à bord du navire spécialisé Orelia, dans un « caisson-vie » où règne la même pression qu'à la profondeur où ils vont devoir évoluer. Ils descendent, par équipe de trois et par six fois dans la tourelle-ascenseur pressurisée, à la profondeur de 520 mètres – et même à 531 mètres pendant deux heures – pour y effectuer un total de 27 heures de travail, ce qui représente autant de « premières » mondiales.

CEE : l'automobile privatisée

En 1988, face à la concurrence très rude de l'industrie japonaise, les États européens choisissent de jouer la carte du libéralisme en privatisant les entreprises ou en vendant les participations qu'ils possèdent dans ce secteur.

Ainsi, le 24 mars M. Gerhard Stoltenberg, ministre ouest-allemand des Finances décide de mettre en vente les 16 % du capital de Volkswagen que l'État fédéral détient encore. Initialement prévue en juin 1987, l'opération avait été repoussée une première fois pour cause d'escroquerie sur les changes, puis une seconde fois en raison du krach boursier d'octobre 1987. Mais la troisième tentative remporte un grand succès ; proposées au prix unitaire de 238 DM (800 F environ), les 4 800 000 actions sont souscrites dans la journée. Le Land de Basse-Saxe, où la firme a son siège, conserve toutefois sa participation de 20 %.

Le 29, lord Young, ministre britannique du Commerce et de l'Industrie, annonce à son tour que la vente des actions détenues par l'État dans le groupe automobile Rover, nationalisé en 1975, a été conclue avec le constructeur aéronautique British Aerospace, privatisé en 1981. Les célèbres petites Austin et les véhicules tout terrain Land Rover, non moins renommés, sont ainsi cédés pour 150 millions de livres (1,5 milliard de F environ), prix jugé d'autant plus dérisoire par l'opposition travailliste que l'opération s'accompagne de mesures financières réduisant les dettes de l'entreprise à 500 millions de livres Pourtant, ce sont précisément ces pertes jugées trop lourdes, qui ont poussé Mme Thatcher à vendre Rover.

Le même jour, la Commission de Bruxelles examine si les aides versées par l'État français à Renault de 1984 à 1986 sont conformes aux dispositions de la réglementation communautaire. Les 8 milliards de dotation en capital sont tolérés mais il n'en est pas de même des 12 milliards de créances auxquels le gouvernement se propose de renoncer. La Commission demande alors que la Régie soit transformée en société anonyme, rejoignant sur ce point le souhait du ministre de l'Industrie, M. Alain Madelin, qui avait présenté au Parlement un projet de loi en ce sens en décembre 1987, abandonné bientôt en raison de la volonté d'obstruction de la gauche.

Ce débat sur l'éventuelle privatisation partielle de Renault intervient une semaine après la publication par le groupe automobile français du meilleur résultat de son histoire : pour 1987, et après six années déficitaires, la Régie présente en effet 3,7 milliards de F de bénéfices, ainsi qu'un chiffre d'affaires en hausse de 9,3 %.

L'homme-orchestre

Après une carrière politique et intellectuelle d'une exceptionnelle richesse, Edgar Faure meurt à Paris le 30 mars. Foisonnant d'idées et d'activités variées, il emmêlait en lui inextricablement le fil de l'histoire et celui des convictions personnelles faisant alors remarquer avec humour : « Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent qui change ».

Né à Béziers le 18 août 1908, agrégé des facultés de droit, spécialiste du droit romain et de l'histoire du droit, diplômé de l'École des langues orientales, c'est auprès du général de Gaulle, pendant l'Occupation, qu'Edgar Faure, orateur brillant et avocat déjà recherché, amorce sa longue carrière politique. Secrétaire général adjoint du Comité français de Libération nationale, puis du gouvernement provisoire à Alger en 1943-44, il est nommé en 1946 délégué adjoint de la France au ministère public du Tribunal international de Nuremberg ; la même année, il est élu député radical-socialiste du Jura, siège qu'il occupe jusqu'en décembre 1958. En 1959, il devient sénateur du même département et s'inscrit au groupe de la Gauche démocratique ; en 1967, il réintègre l'Assemblée nationale comme député du Doubs (groupe « V^e République » puis UDR, RPR et, enfin, non inscrit) et, de 1973 à 1978, il exerce la fonction de président de cette assemblée ; en 1980, il redevient sénateur.

Parallèlement à ses mandats électifs, et sans parler de ses fonctions locales à la mairie de Pontarlier, à la présidence du Conseil général du Jura ou à celle du Conseil régional de Franche-Comté, Edgar Faure occupe de nombreux postes ministériels, tant sous la IV^e République (sept portefeuilles et deux présidences du Conseil) que sous la V^e ; mais son nom reste surtout attaché à la grande réforme de l'enseignement supérieur. Il devient ministre de l'Éducation nationale le 13 juillet 1968, quelques jours à peine après la fin des événements qui ont secoué la France. La loi d'orientation, qu'il fait adopter à l'unanimité par le Parlement, établit un compromis entre les aspirations désordonnées des étudiants et le mur d'incompréhension que leur oppose une majorité conservatrice soudée par la peur d'un retour de l'anarchie.

Politiquement, celui qui crée en 1972 le « Nouveau Contrat social » milite, dans la famille radicale ou sur les marges du gaullisme, pour le compromis et contre les tensions de la bipolarisation. Mais il n'est pas seulement le marcheur infatigable des allées du pouvoir. Élu à l'Académie française en juin 1978, il compose des chansons, écrit, sous pseudonyme, des romans policiers, signe des ouvrages historiques (dont un Turgot en 1961 et un Law en 1977), publie ses Mémoires (1982) et termine sa longue carrière à la tête de la mission chargée de célébrer le bicentenaire de la Révolution française, ajoutant ainsi une dernière présidence à toutes celles qu'il a déjà assumées