Erreur sur la cible

Le 3 juillet, au-dessus du détroit d'Ormuz, un Airbus A-300 d'Iran Air, qui venait de décoller de l'aéroport de Bandar-Abbas et volait vers Dubayy, est abattu par un missile Standard lancé par le croiseur américain Vincennes. 290 passagers et membres d'équipage se trouvaient à bord. Tous périssent dans l'accident. L'appareil, qui n'avait pas répondu aux demandes d'identification, a été pris à tort pour un avion de combat iranien F-14 Tomcat se dirigeant vers le navire américain.

Après plusieurs déclarations contradictoires faites par le Pentagone, le président Ronald Reagan intervient dans la soirée et exprime ses « regrets » pour « cette terrible tragédie humaine » arrivée « au cours d'une action défensive appropriée ». Depuis 48 heures les attaques contre des pétroliers avaient repris dans le Golfe. Quelques minutes avant l'accident, un hélicoptère américain avait essuyé les tirs de vedettes iraniennes. La tension dans le Golfe était extrêmement vive. Pour Téhéran, il s'agit là d'un « acte de sauvagerie », qui « révèle la vraie nature du Grand Satan », el l'imam Khomeyni annonce immédiatement une guerre à outrance contre « l'Amérique et ses laquais ». L'Iran demande la réunion extraordinaire du conseil de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). car, aux termes de l'amendement 3 bis (adopté en 1983) de la convention de Chicago, l'utilisation de la force contre un aéronef civil est interdite.

À Washington, le président Reagan et le vice-président Bush entérinent la version du commandant du Vincennes, le capitaine de vaisseau Rogers : l'avion était en descente, à 450 nœuds et se trouvait en dehors du couloir aérien. Mais le Pentagone relève en même temps plusieurs contradictions dans les témoignages des marins. La menace apparente qui a poussé le croiseur à tirer semble avoir été grandement surestimée.

Le 5 juillet, l'Iran demande une réunion urgente du Conseil de sécurité des Nations unies pour examiner l'affaire. Le 15 juillet, dans une résolution très modérée adoptée à l'unanimité, celui-ci exprime sa « profonde consternation ». Il s'agit de trouver un compromis qui satisfasse les deux parties et surtout ne nuise pas aux négociations menées dans le but de mettre fin à la guerre.

Le 18 juillet, alors que l'Iran vient d'annoncer que le cessez-le-feu était accepté, l'ayatollah Rafsandjani révèle que la destruction de l'Airbus a été l'un des éléments déterminants de cette décision.

Le 20 juillet, les résultats de l'enquête américaine confirment qu'au moins deux erreurs ont été commises dans la salle de contrôle du bâtiment ; elles expliquent la mauvaise estimation des événements et la destruction de l'Airbus. La première a été de conclure que l'appareil descendait alors qu'il montait et la deuxième de croire que l'Airbus émettait un signal l'identifiant comme un avion militaire.

La plate-forme infernale

Pour avoir une chance de survivre, le 6 juillet, sur Piper Alpha, il fallait appartenir à l'équipe de nuit, faire partie de ceux qui avaient rejoint leur poste en fin d'après-midi et auxquels les événements laissèrent quelques précieuses minutes pour se jeter à la mer, seul moyen d'échapper aux flammes gigantesques.

Ce soir-là, il est 21 h 30 lorsqu'une terrible déflagration, suivie d'un incendie extrêmement violent, ravage la plate-forme pétrolière franco-britannique de 34 000 tonnes construite en mer du Nord, à 193 km d'Aberdeen, en Écosse. 167 techniciens qui travaillaient à bord, ainsi que deux sauveteurs périssent dans la catastrophe. Celle-ci a été provoquée par une fuite de gaz qui a entraîné une violente explosion. De grandes quantités de pétrole ont été alors libérées et ont immédiatement pris feu.

En moins d'une heure, la quasi-totalité de la plate-forme est détruite ; au petit matin, les trois quarts des structures normalement émergées ont coulé. Impuissants les sauveteurs assistent au plus grand désastre de l'histoire de l'exploitation pétrolière. Il faudra onze jours à Paul (dit Red) Adair, « le pompier volant » texan, et à son équipe, arrivés sur les lieux le 9, pour parvenir à éteindre le premier des cinq puits en feu, sur les trente-six que compte la plate-forme. Et il faudra attendre le 29 pour que l'incendie soit totalement circonscrit.

Construite à Dumbarton, en Écosse, par un consortium franco-britannique (la société UIE de Cherbourg et Mc Dermott Engineering), Piper Alpha est l'une des plus anciennes mais aussi des plus productives des plates-formes opérant en mer du Nord. Entrée en service en décembre 1976, elle a produit, en 1987, 125 000 barils par jour de brut – soit 10 % de tout le pétrole extrait en mer du Nord – et 620 000 m³ de gaz. Elle appartient à la compagnie américaine Occidental Petroleum, dont le président n'est autre qu'Armand Hammer (89 ans), magnat américain du pétrole. Surnommé « le milliardaire-ami du Kremlin », il est présent depuis l'époque de Lénine dans la plupart des tractations américano-soviétiques. Selon le ministre britannique de l'Énergie, la destruction de Piper Alpha représente, pour la Grande-Bretagne, un manque à gagner de près de 300 millions de livres (3 milliards de F environ).

Le 8 juillet, à Aberdeen, Mme Thatcher rencontre M. Hammer ; ils annoncent ensemble la création d'un fonds d'aide aux victimes de la catastrophe et à leurs familles auquel ils versent un million de livres chacun (onze millions de F) ; mais ils parlent surtout de l'avenir de l'exploitation pétrolière et des mesures de sécurité à développer. Hantise de tous les responsables d'installations de ce type, ce drame devrait au moins permettre l'accélération des études en faveur de systèmes d'extraction entièrement automatisés, ou même télécommandés.

Sanglante croisière

Lundi 11 juillet, 18 h 00. Sur le pont du bateau grec City of Poros, qui croise au large de l'île d'Égine, à quelques dizaines de milles au sud d'Athènes, 150 touristes, français pour la plupart, prennent un bain de soleil. Brusquement, c'est le drame. Un commando armé de mitraillettes et de grenades attaque le navire, tue neuf personnes, dont trois Français, en blesse 80 autres et disparaît. Quelques heures plus tôt, une voiture stationnée près de l'embarcadère habituel du navire avait explosé : ses deux occupants étaient morts sur le coup. Dans les deux cas, les motifs des attentats sont restés ignorés.

Trois jours après l'attaque du City of Poros, la plus grande confusion règne encore à Athènes. La rivalité qui oppose la police des ports, dépendant du ministère de la Marine marchande, à la police nationale aboutit à une grossière erreur : deux jeunes touristes français. Isabelle Bismuth et Laurent Vigneron, portés disparus après l'attaque, sont soupçonnés d'avoir participé à l'attentat. « Erreur » des policiers comme le suggère Athènes ou manœuvre destinée à détourner les regards du Proche-Orient, où la tuerie a pu être organisée ? Les deux hypothèses sont plausibles la Grèce n'ayant jamais caché qu'elle était favorable à la cause palestinienne.

Le 13 juillet, l'Organisation des martyrs de la révolution populaire en Palestine – unité Abou Jihad – revendique l'attaque du City of Poros, ainsi que l'explosion de la voiture piégée. Mais les enquêteurs restent sceptiques. Trois possibilités sont évoquées : on a voulu soit porter un coup à la Grèce au moment où elle accède à la présidence de la CEE, soit venger l'Iran après la destruction d'un Airbus iranien par la marine américaine dans le golfe Persique, soit enfin tenter de faire chanter les autorités grecques à la veille de l'ouverture du procès d'un jeune Palestinien, Mohamed Rachid, inculpé pour usage de faux papiers et dont les États-Unis réclament l'extradition. Cette version est la plus couramment admise. Le 20 juillet, le ministre grec de l'Ordre public rend publiques les conclusions de la police et met ouvertement en cause le groupe terroriste Abou Nidal. Le commando aurait été composé d'au moins cinq personnes et son chef serait un certain Khadar Samir Mohamad, alias Hedjab Djallaba, arrêté à Chypre en 1978. Le porte-parole du groupe dément toute implication dans l'attentat. Mais le 21, à Tunis, des Palestiniens accusent le groupe Abou Nidal et le Hezbollah d'obédience iranienne d'avoir commandité l'attentat pour venger la destruction de l'Airbus iranien.

Longtemps exempte des attaques du terrorisme proche-oriental, la Grèce vient d'entrer dans le camp des victimes. Qu'elle se résolve difficilement à l'admettre explique peut-être les nombreuses erreurs, bavures, maladresses et conclusions hâtives qui ont émaillé l'enquête. À Athènes on annonce déjà une politique moins laxiste à l'égard des ressortissants arabes et un renforcement de la sécurité.

Le mois de Georges Sarre

138 morts de plus qu'en juillet 1987, soit une progression de 14,5 %, 1 087 vies fauchées, juillet 1988 restera l'un des mois les plus meurtriers de ces dernières années. Le dernier week-end, celui des grands départs, sera terrible : 71 % de tués de plus. Depuis janvier, en effet, le nombre d'accidents s'est accru de plus de 10 % ; le nombre des tués de plus de 15 %. L'embellie de 1987 n'avait été qu'une rémission. La mort automobile n'avait pas désarmé.

Trois causes à ce bilan : la conduite en état alcoolique augmente ; les limitations de vitesse ne sont plus assez respectées ; la ceinture est oubliée. Il fallait de toute urgence créer un choc dans l'opinion, signifier la détermination du gouvernement.

Sur ma proposition, Pierre Joxe, Jean-Pierre Chevènement, Michel Delebarre et moi-même appelons les préfets à intervenir sans faiblesse sur le bord de nos routes.

Puissamment relayée par les médias l'opération est un succès. La progression du mal sera enrayée en août : 3,4 % de tués et 6,7 % de blessés seront épargnés, malgré une croissance de 6 % du trafic.

Mais le gouvernement est résolu à aller plus loin. Le comité interministériel du 27 octobre met en place un dispositif dont la cible principale est la conduite des Français sur la route, cause de 90 % des accidents. L'effort est avant tout pédagogique : enseignement de la sécurité routière à l'école, développement de l'apprentissage anticipé de la conduite. Toute pédagogie comporte des sanctions. Le gouvernement a décidé une mobilisation accrue des préfets, des parquets et des forces de Tordre dont les moyens sont renforcés.

Pour être efficaces, ces sanctions doivent en elles-mêmes être une pédagogie : c'est le rôle du permis à points, qui permettra d'agir avec vigueur contre les 100 000 récidivistes, et de la généralisation des peines de substitution.

Cette dissuasion doit être crédible. Tous les automobilistes doivent être égaux devant la Loi. Et le Premier ministre Michel Rocard donne les consignes les plus strictes pour que cessent les interventions.

La même volonté de crédibilité et de cohérence m'a conduit à réagir contre certaines publicités automobiles qui jouaient sur les thèmes de la vitesse et de la puissance. Je ne peux pas accepter que l'on incite à transgresser la Loi, d'autant que, comme le rappelait le président de la République. François Mitterrand, l'excès de vitesse est un « mal national qui ronge notre corps social ».

L'État ne peut pas tout et son effort doit être relayé par l'effort de la nation. Nous sommes peut-être au début d'une mobilisation contre la délinquance routière. Nul doute que les morts de juillet 1988 ont pesé lourd dans cette prise de conscience.

Georges Sarre
secrétaire d'État aux Transports