De grand art populaire, le plus souvent anonyme, la chanson est devenue une industrie. On fabrique et lance une chanson – ou même, un chanteur ou une chanteuse – comme on fabrique et lance un produit.
Journal de l'année Édition 1967
Chansons Pendant des siècles, la chanson a été un grand art populaire, le plus souvent anonyme. Elle est devenue ensuite un art personnel, puis un artisanat. Elle est aujourd'hui une industrie.
Journal de l'année Édition 1968
Chansons La vogue d'une chanson est étroitement liée à celle de sa version enregistrée en disque. Le disque fait le succès par la fréquence de ses passages sur les ondes radiophoniques et à la télévision, par son essaimage dans les juke-boxes et les Scopitones, par son achat enfin, purement et simplement, et son audition dans l'intimité d'une chambre ou la frénésie des surprises-parties.
Journal de l'année Édition 1969
Chansons Où en sont les grands de la chanson ? Le tour de chant de l'auteur-compositeur-interprète continue à remplir les salles. Le passage de Félix Leclerc à Bobino coïncide avec la réédition en sept microsillons de ses belles chansons d'air pur et de lyrisme viril. Dans la même salle, Léo Ferré se trouve un public furieusement enthousiaste parmi les « enfants du mois de mai » en célébrant les Anarchistes et l'Été 68. Ses disques apportent aussi ses mélancolies : la Nuit, les couplets dédiés à Pépée, la guenon disparue, et l'éternelle chanson d'amour, À toi.
Journal de l'année Édition 1970
Chansons Un phénomène capital bouleverse le monde de la chanson : la révolution de la pop'music. On ne peut faire le bilan des variétés sans l'évoquer : c'est un énorme déplacement d'intérêt du jeune public vers de nouveaux thèmes, vers une nouvelle expression musicale et vers une nouvelle forme de spectacle.
Journal de l'année Édition 1971
Chansons Le disque traditionnel continue à se vendre très bien et les firmes annoncent des chiffres en hausse sur 1969. On note, en particulier, une nette progression dans la vente des 30 cm au cours du second semestre 1970.
Journal de l'année Édition 1972
Journal de l'année Édition 1973
Chansons La chanson semble retrouver sa forme la meilleure après quelques années noires. Le texte (ou souvent l'absence de texte !), trop souvent assujetti au rythme et à la musique, reprend une place prépondérante.
Journal de l'année Édition 1974
Chansons La relève des vétérans est assurée avec Michel Fugain, nettement en tête après deux passages à l'Olympia (décembre 1973 et avril-mai 1974), et, à sa suite, Michel Sardou, Serge Lama s'installent parmi les grands de la chanson.
Journal de l'année Édition 1975
Journal de l'année Édition 1976
Chansons Année d'attente, de remise en cause et de rapprochement : on se rend compte qu'une politique de diffusion presque entièrement liée à la radio n'est pas la panacée, qu'il faut tenir compte de l'enracinement de la chanson dans les lieux vivants de la diffusion populaire et que la coupure nette entre deux mondes dont l'un serait celui du show-business, de la chanson qui marche, et l'autre celui de la marginalité, de la chanson qui ne marcherait pas, est un résultat manichéen en définitive mal adapté aux réalités du marché de la chanson.
Journal de l'année Édition 1977
Chansons Fallait-il craindre l'inondation ? C'est la question que l'on se pose à la fin de la saison 1976-1977 de la chanson française. Le marché du disque s'accroît sans cesse, surtout dans le secteur de pointe dit « de variétés ». Mais il semble bien que le public lui-même s'élargisse. Plus de spectacles, plus d'enregistrements, plus d'artistes, plus d'auditeurs aussi. La production dépasse tout de même de beaucoup la consommation, et ce n'est pas la moindre désillusion de nombreux talents naissants.
Journal de l'année Édition 1978
Chansons Tout ronronne aimablement dans le petit monde de la chansonnette avant l'été 1977, quand un air pas-comme-les-autres sort, un beau matin, des transistors : une collection de succès du rock anglo-américain d'il y a quinze ans, une chanson de onze minutes gravée, pour la circonstance, sur un super 45 tours.
Journal de l'année Édition 1979
Chansons L'affiche de la saison 1978-1979 est significative et originale sur bien des points. On retient entre autres une nouvelle offensive de la comédie musicale en France. Ce genre, très apprécié dans les pays anglo-saxons, n'a jamais eu beaucoup de chance au pays de Descartes où l'on n'accepte que rarement le mélange des genres. Mais le succès, naguère, de produits d'importation comme Hair ou Godspell a laissé plus d'un compositeur français sur ses envies. Le tout étant de se risquer dans ce genre avec prudence, c'est par le disque que le goût du public se voit testé.
Journal de l'année Édition 1980
Chanson La SACEM, société civile chargée de défendre la propriété artistique française, enrichit chaque année à son répertoire de quelque 30 000 titres, de la plus audacieuse composition symphonique à la plus modeste chansonnette. La SACEM, qui recense toutes les œuvres étrangères diffusées en France, fait part, à l'automne 1979, de son inquiétude aux stations de radio et de télévision et aux firmes de disques : la vague disco a largement favorisé les auteurs et compositeurs anglo-saxons.
Journal de l'année Édition 1981
Chanson Quand la chanson se met à être mélancolique, elle l'est pour de bon. À peine a-t-on appris que les Frères Jacques, ces inséparables, mettaient pied à terre au bout de 35 ans de chevauchées communes, que les Compagnons de la chanson, nés en 1942, décidaient à leur tour de ne pas entrer en quarantaine. Les troubadours de tant de succès populaires (L'ours, Les trois cloches, Viens voir les comédiens, Alors raconte) font de leur tournée 1981-82 celle de leurs adieux.
Journal de l'année Édition 1982
Chanson Deux affiches et trois noms dominent la saison 1981-82 : la rentrée d'Yves Montand et le spectacle du couple Lewis Furey-Carole Laure ont surpris tous les publics par la perfection technique qui accompagne leur inspiration et leur talent. Juste retour des choses : en ces temps de changement, de réflexion et de recherche, la chanson découvre qu'elle n'est pas seulement affaire d'alchimistes de mots et de notes, mais aussi le métier délicat de professionnels rigoureux.
Journal de l'année 1er juillet - 31 décembre 1982
Chanson Variétés, music-hall, chanson, show-business : des mots bien moroses en cette rentrée 82. La vie d'artiste devient plus que jamais très difficile en ces temps de crise. Beaucoup de chanteurs, et pas seulement des débutants, se retrouvent trop souvent sans engagement, ou devant des publics clairsemés.
Journal de l'année Édition 1984
Chanson Elle n'en a peut-être pas l'air, elle se veut avenante, voire souriante, mais la chanson souffre de la crise comme tout le monde. On a prévu pour elle des dispositions pour lui faire retrouver sa bonne santé d'antan, au temps où l'on sifflait L'hymne à l'amour et Les feuilles mortes dans les rues de Tokyo ou de Buenos Aires, mais le moral semble atteint.
Journal de l'année Édition 1985
Chanson Le vidéo clip au secours de la chanson : le monde du disque, un peu amer sur ses chiffres de vente malgré la multiplication des radios et la lutte contre le piratage, caresse un nouvel espoir. Certes, ce n'est guère une nouveauté et les États-Unis ont élevé depuis plusieurs années cette technique au niveau d'un art original. Et la visualisation des chansons enregistrées sur un scénario fantastique ou surréaliste, à la fois spectacle et publicité, a marqué quelques bons résultats : l'exemple du Thriller de Michaël Jackson fait faire de beaux rêves à plus d'un éditeur.
Journal de l'année Édition 1993
La chanson française Dans l'espoir d'acquérir un précieux passeport international, rêve de tant d'artistes français, on a vu Vanessa Paradis s'acoquiner avec Lenny Kravitz. Ce grand nostalgique ne nous a jamais habitués à beaucoup d'originalité, mais, avec l'album de Paradis – qui, cela dit, se vend comme des petits pains, en France du moins –, il atteint le sommet de son art : on peut quasiment affirmer qu'il n'y a pas une note à lui, c'est un savant mélange d'une partie du hit-parade américain des années Kennedy qui défile...
Journal de l'année Édition 1994
Chanson française : à marée basse La chanson française va de plus en plus mal : cette année, elle ne représente plus que 39,9 % des parts du marché sur son propre territoire. Au-delà des lamentations sur la perte éventuelle de l'identité culturelle et des flèches en chute libre sur les graphiques du marché, il y a les artistes français. Et certains d'entre eux portent une part de responsabilité dans l'invasion sonore anglo-américaine en refusant de considérer le côté financier de leur métier, par peur d'être accusés de mercantilisme. Ce refus prend des formes diverses suivant le genre musical : avec la vague du rock alternatif des années 80, nous avons frôlé l'absurdité totale. Il n'y a qu'en France où un groupe aussi talentueux que les Bérurier Noir, qui reflétaient profondément l'esprit d'un renouveau musical et étaient suivis par un public grandissant, a choisi de s'autodétruire – tout en condamnant à mort les autres groupes dans son sillage – plutôt que d'assumer le succès pour des raisons idéologiques peu convaincantes. L'argent est l'un des derniers tabous, quasiment infranchissable dans notre pays traumatisé par le syndrome du poète maudit. Mais tant que la réussite financière sera symbolisée par les bébés Jordy et que le talent sera salué par l'incompréhension du public, nous n'aurons jamais des Prince ni des Madonna. Tant mieux, peuvent penser hâtivement certaines personnes... Mais à tort, car 80 % du marché du disque concerne les 12-20 ans. Et ne nous leurrons pas : la majorité des kids ne considéreront jamais la plupart des lauréats des Victoires de la musique comme de la musique écoutable. Car l'équation entre la jeunesse et la musique comprend avant tout comme facteurs une certaine révolte, une identité propre à une génération et une façon de se démarquer par rapport au monde des adultes.
Journal de l'année Édition 1995
Chanson française : métis or not métis ? Dans les années 70-80, la promotion d'un disque passait par les émissions de variétés à 20 h 30, et les Drucker de ce monde se voyaient courtisés, flattés et sollicités car ils étaient le passage obligatoire vers le succès. Hormis cette tranche horaire (aujourd'hui pompeusement baptisée « prime time »), point de salut. Et l'artiste rejeté était condamné à la marginalité. Certains en étaient fiers et se comportaient comme des réfugiés politiques. Être persona non grata à l'ex-ORTF, comme sur les radios périphériques, était signe d'intégrité, et l'on était alors digne du label de qualité « NF » décerné par l'intelligentsia. Mais, concrètement, cela a aussi condamné les Catherine Ribeiro et autres Jean Vasca à une certaine clandestinité. Parmi les artistes « élus » des médias de l'époque, certains étaient des produits « porteurs », qui généraient des ventes considérables, alors que d'autres ne devaient leur survie qu'à la SACEM et ses droits de diffusion. Aujourd'hui – mais pour des raisons tout à fait différentes –, on constate le même phénomène. Les droits générés par la chanson française sont majoritaires dans la répartition des droits de diffusion, mais ils ne reflètent pas la vente de disques en France qui, elle, est toujours dominée par les Anglo-Américains. En clair, on ne vend pas ce que l'on diffuse... Cette constatation est d'autant plus vraie que les grandes émissions de variétés ont été tuées par l'audimat. Pascal Sevran a récolté le fonds de commerce des 20 h 30, c'est-à-dire le public qui écoute mais n'achète pas, celui toujours prêt à se faire bercer par Gloria Lasso mais qui ne supportait pas les passages promotionnels des artistes « label jeune ». Et les efforts pour rester « jeune » de la part des programmateurs et présentateurs de ce type d'émissions ont définitivement achevé le genre, si l'on excepte des programmes méritoires comme « Megamix » sur Arte... Avec la nouvelle loi dite, des « quotas », qui vise à imposer 40 % de chanson francophone et qui doit entrer en vigueur dès 1996, le schisme entre les droits de diffusion et le marché risque fort de s'agrandir. Pourtant, la chanson française va mieux, mais là nous sommes face à une autre sorte de dilemme.
Journal de l'année Édition 1996
Chanson « Les vrais rebelles du rock sont aujourd'hui des rappeurs. » Pour beaucoup d'adolescents, cette formule expéditive a relégué le rock – tous styles confondus – dans la catégorie « musique pour cartes vermeilles ». Non content d'avoir enfin obligé la génération des baby-boomers à assumer son âge en lui fournissant une musique qu'elle déteste, l'avènement du rap marque aussi celui de la francophonie. Le rap français, de par sa diversité ethnique (black, blanc, beur), son authenticité et sa richesse, n'a pas hérité de l'a priori péjoratif qui accompagnait systématiquement le rock hexagonal. L'hebdomadaire Time Magazine, la plupart du temps peu loquace, voire même ironique quant à la scène musicale française, écrit dans son numéro du 21 août « [...] plus le rap voyage et s'éloigne des ghettos nord-américains, plus il perd la colère crue qui en fait la force, exception faite pour les rappeurs français [...] ». Avec des ventes dépassant les 60 000 exemplaires, l'album la Haine – qui n'est pas la bande musicale du film de Mathieu Kassovitz mais qui y fait référence par des extraits de dialogues – a effectivement transporté le rap de la rue des grands centres urbains dans les foyers douillets du Français moyen. MC Solar, Alliance Ethnik, NTM et IAM en sont toujours les figures de proue, et Akhenaton – le leader des derniers cités – vient de signer un très bel album solo salué par toute la presse.
Journal de l'année Édition 1997
Chanson L'année chanson restera sans nul doute marquée par l'affaire NTM (Nique Ta Mère), le groupe de rap français le plus connu de l'Hexagone. Le 14 novembre, Kool Shen et Joey Starr, les deux chanteurs, sont condamnés par le tribunal correctionnel de Toulon à six mois de prison, dont trois fermes, et une interdiction de chanter en public pendant six mois. Les deux artistes étaient poursuivis pour « outrages par paroles à l'égard de l'autorité publique ». Il leur était reproché de s'en être pris verbalement, lors d'un concert à La Seyne-sur-Mer, en juin 1995, aux policiers présents dans la salle. Ce jugement, prononcé par un magistrat ancien fonctionnaire de police, suscite une forte émotion. C'est la première fois depuis très longtemps que des artistes sont condamnés pour l'exercice de leur art (même si les faits incriminés ne visent pas directement le texte d'une chanson). Par ailleurs, cette décision de justice intervient dans un département marqué par une forte présence du Front national, et quelques semaines après que le gouvernement a constaté son incapacité juridique à poursuivre Jean-Marie Le Pen pour des propos ouvertement racistes. Le garde des Sceaux, Jacques Toubon, qui demande au parquet de faire appel contre le jugement, et le ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, expriment leur embarras et rappellent leur attachement à la liberté d'expression, tout en reconnaissant aux policiers le droit de protester contre toute forme d'agression verbale. L'affaire NTM en est une parce qu'elle exprime les contradictions d'une époque difficile et le fossé qui sépare souvent les jeunes, notamment ceux des banlieues, des adultes et des autorités. Tout cela n'empêche pas, au contraire, le groupe de vendre plus de CD que jamais...