Et il n'y a aucune raison pour que le phénomène d'osmose régresse : les amateurs vieillissants restent fidèles à la musique (et aux idoles) de leur jeunesse. Et les nouvelles vagues, tout en soutenant des valeurs différentes, se reconnaissent encore dans les anciennes.

Réédition

Un ex-Beatle comme Paul McCartney a gardé le public de ses années de gloire mais en a aussi conquis un nouveau. Des phénomènes comme le rock des années 50 ou la Beatlemania réapparaissent à intervalles réguliers, glanant à chaque fois de nouveaux adeptes. Pour les grandes maisons de disques, c'est l'aubaine. Elles rééditent les artistes de leur catalogue. Certaines mettent un point d'honneur à reproduire exactement l'œuvre déjà publiée, jusque dans ses moindres détails, comme la pochette qui sera identique à l'originale. On peut citer en exemple la très belle série consacrée au grand rocker Gene Vincent.

Mais c'est aussi une entreprise financière et les mêmes albums sont réédités plusieurs fois, avec des couplages de titres et une apparence extérieure variant légèrement de l'une à l'autre. Jimi Hendrix, l'un des héros de la pop, est ainsi constamment pillé depuis sa mort survenue en septembre 1970. On exhume ses plus mauvaises bandes et on les vend comme des originaux, que l'artiste n'aurait certainement pas voulu laisser passer. L'amateur doit alors courageusement explorer les bacs des disquaires à la recherche de la perle aujourd'hui disparue, ou se contenter des importations de disques américains, dont le marché est très florissant, malgré des prix élevés.

Marché

Les choses se passent ainsi, les quelques arbres qu'on fait pousser à grand renfort de promotion et d'assistance technique cachant une forêt de talents qui ne peuvent plus trouver de moyens de se faire entendre. Comme beaucoup de grandes marques se bouchent les oreilles, il s'en crée des petites. Cela démarre souvent sous la forme d'une association régie par la loi de 1901 qui prend ensuite de l'ampleur, constitue un catalogue, se fait distribuer, offre à des groupes inconnus la chance de pouvoir se faire entendre. Une démarche en apparence toute simple ne s'accomplit qu'au prix d'un combat quotidien pour s'imposer sur un marché très surveillé.

Néanmoins, un espoir se fait jour. Non seulement parce que de bonnes volontés ont réussi à réaliser ce que l'on croyait impossible, mais aussi parce que le public, qui finalement décide, se laisse de moins en moins leurrer par les grandes machines promotionnelles et devient de plus en plus exigeant. Son oreille s'est affinée depuis l'époque héroïque des premiers festivals. À Amougies, en octobre 1969, la musique de Terry Riley était saluée à coups de bouteilles et de mottes de terre. Maintenant, elle remplit les plus grandes salles et la plupart des musiciens s'en inspirent. Évolution du goût, mais aussi élargissement de la curiosité d'une très grande partie des jeunes semblent être les tendances marquantes d'un mouvement qui fait tache d'huile. De quoi s'abandonner à un certain optimisme.

Chansons

La frontière entre le show-business et les marginaux

Année d'attente, de remise en cause et de rapprochement : on se rend compte qu'une politique de diffusion presque entièrement liée à la radio n'est pas la panacée, qu'il faut tenir compte de l'enracinement de la chanson dans les lieux vivants de la diffusion populaire et que la coupure nette entre deux mondes dont l'un serait celui du show-business, de la chanson qui marche, et l'autre celui de la marginalité, de la chanson qui ne marcherait pas, est un résultat manichéen en définitive mal adapté aux réalités du marché de la chanson.

Mais, il faut le dire, on ne fait ni volontiers ni rapidement ce genre de réflexion, et l'observation ne permet pas d'affirmer, même en s'appuyant sur certains signes révélateurs, qu'il y a décision commune, de la part du show-business et de la marginalité, de marcher dorénavant main dans la main...

Marginaux

Non, on ne recolle pas ainsi les oppositions de fond. Quand Jacques Bertin, vedette du marginal (voilà deux mots qu'il faudrait mettre entre guillemets) chante Besançon dans une émission de Chancel à la télévision (Le grand échiquier), c'est tout à la fin de l'émission, le plus tard possible. Quand Gérard Manset, chanteur et créateur réputé peu commercial, fait un succès inespéré avec Il voyage en solitaire, ce n'est pas un nouveau disque qu'on propose à Michel Zacha, jeune créateur original qui se trouve depuis plusieurs années sous contrat dans la même firme, mais une nouvelle sortie de son premier 30 cm : La nuit des cigales. Quand Jean Sommer, cette année, à la fois signe un contrat et se voit attribuer un prix de l'académie Charles-Cros, sa firme de disques, une des deux plus importantes en France, reconnaît avoir ainsi fait son effort, sa recherche, et ne pas désirer aller plus loin. Enfin CBS lance la collection Marginal, mais avec un répertoire qui ne prend pas trop de risques de ce côté-là.