Le Nautile

Le Nautile (ex-SM 97), petit sous-marin français de recherche dans les grandes profondeurs, entre en service le 1^er juin au large des côtes japonaises, où il doit effectuer une trentaine de plongées, parfois jusqu'à plus de 6 000 m. Il s'agit de l'instrument essentiel de l'« opération Kaiko » (fossé), consacrée à l'étude des mouvements de subduction des plaques tectoniques dans les fosses océaniques, et pour laquelle chercheurs français et nippons se sont associés. En effet, la zone proche des côtes orientales de l'archipel japonais est d'autant plus intéressante que trois plaques, celle du Pacifique, celle de l'Eurasie et celle des Philippines, se rencontrent à cet endroit, expliquant ainsi le volcanisme et les tremblements de terre auxquels les habitants de ces régions sont habitués. En 1984, les travaux avaient été préparés par des mesures physiques prises à partir de la surface. En 1985, la première plongée d'essai, effectuée le 15 mars, a amené le Nautile jusqu'à 6 600 m de profondeur.

Contrairement aux appareils antérieurs, l'Épaulard et la Raie, l'engin doit être normalement habité. Il est autonome et relié à la surface par des systèmes radio et acoustiques uniquement. Une navette est spécialement chargée d'assurer l'acheminement des outillages fournis par le navire de soutien logistique, le Nadir.

Les premières plongées opérationnelles, qui ont lieu entre les mois de juin et d'août, permettent de placer dans les grands fonds les sismographes et les inclinomètres qui sont destinés à y demeurer. Elles révèlent la présence, dans la fosse de Nankai, au large de Shikoku, de zones obscures, mais peu étendues, dans lesquelles se trouvent des sources hydrothermales fournissant minéraux divers et chaleur qui ont permis à la vie marine (poissons, coquillages, crustacés, vers, etc.) de se développer sous 4 km d'eau.

L'Histoire en boîte

Le 3 juin, à l'Assemblée nationale, la majorité adopte en première lecture le projet de loi sur « l'enregistrement audiovisuel ou sonore des audiences de juridiction », qui autorise sous certaines conditions l'enregistrement intégral des procès, dans le but de constituer des archives judiciaires historiques. Ces archives pourront être immédiatement consultées par les chercheurs, mais leur diffusion auprès du public ne sera possible qu'au bout de vingt ans, avec l'accord du président du tribunal de grande instance compétent, et leur consultation totalement libre cinquante ans seulement après leur enregistrement.

Aux critiques formulées par les adversaires du projet, M. Robert Badinter, ministre de la Justice, répond que la retransmission d'un procès ne saurait être qu'incomplète, et donc partiale, et qu'elle risquerait ainsi de « dénaturer la publicité des débats », la présence des caméras pouvant en outre inciter certains accusés à jouer les « vedettes » ou « glacer » les témoins qu'il est déjà bien difficile de faire parler. C'est pourquoi, à l'inverse des Israéliens qui ont eu la possibilité d'assister en direct au procès Eichmann, les Français ne pourront pas voir celui du criminel nazi Klaus Barbie.

Jankélévitch

Intellectuel prestigieux, le philosophe français Vladimir Jankélévitch est décédé le 6 juin à Paris. Né à Bourges en 1903, d'un père qui fut l'un des premiers traducteurs de Freud en France, il poursuit ses études secondaires au lycée Montaigne, puis à Louis-le-Grand, et entre à l'École normale supérieure en 1922. Agrégé de l'Université en 1926, il travaille à l'Institut français de Prague jusqu'en 1932. Docteur ès lettres l'année suivante, il donne des cours à Caen, Lyon, Toulouse et Lille. Blessé en 1940, à la fin des combats, il est soigné à l'hôpital de Marmande, où il apprend sa révocation en vertu des lois d'exception frappant les fils d'étrangers. Il s'engage aussitôt dans la Résistance, expérience qui le marquera à tout jamais. À la Libération, il est chargé des émissions musicales de Toulouse-Pyrénées. Trois ans plus tard, il se retrouve à l'université de Lille, avant d'être nommé professeur à la Sorbonne en 1951. Son cours lui vaut l'admiration et la reconnaissance de plusieurs générations d'étudiants ; en 1968, il n'hésite pas à les suivre dans les manifestations du Quartier latin. Il se met aussi au service des causes qui mobilisent les intellectuels, de la défense des Juifs d'URSS au soutien de l'initiative de Mendès France et de Nahum Goldmann en faveur d'une reconnaissance réciproque de l'OLP et d'Israël. Dans son œuvre, il s'est consacré à l'étude de Bergson (1931) et de Schelling (1933), mais sa réflexion porte surtout sur une vue existentielle de l'âme : la Mauvaise Conscience (1933), l'Ironie (1936), l'Alternative (1938), Du mensonge (1942), le Mal (1947), Traité des vertus (1949), l'Austérité et la Vie morale (1956), le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien (1957 ; nouv. Éd. augmentée 1980), le Pur et l'Impur (1960), la Mort (1966), le Pardon (1967), Pardonner ? (1971), l'Irréversible et la Nostalgie (1974). Mélomane averti, il publie également : Musique et l'Ineffable (1961) et De la musique au silence (1974-1979).

L'affaire Manouchian

Jean-Claude Héberlé, P-DG d'Antenne 2, se retranchant derrière un jury d'honneur composé de cinq anciens résistants, a refusé de retransmettre le documentaire Des Terroristes à la retraite, programmé pour le 2 juin. Consacré au groupe Manouchian, ce film retrace le combat de jeunes immigrés, juifs pour la plupart et tous communistes, qui, en 1942 et 1943, multiplièrent les attentats dans les rues de Paris contre les Allemands. Cette décision est l'aboutissement d'une polémique entre le parti communiste et les scénaristes du documentaire qui reprennent la thèse selon laquelle le groupe Manouchian aurait été envoyé sciemment à la mort par « Roger », l'un des responsables de la direction du PC clandestin. Dans cette affaire, M. Georges Marchais parle d'une « attaque abjecte » du pouvoir contre son parti. Le 11 juin, Antenne 2 fait volte-face ; son conseil d'administration arrête à l'unanimité les nouvelles conditions de la diffusion du film dans le cadre de l'émission « les Dossiers de l'écran » prévue le 2 juillet. La projection doit être précédée d'une présentation faite par le sénateur communiste Charles Lederman et suivie d'un débat avec tous les partis concernés. Le 14 juin, Mélinée Manouchian, veuve du résistant, accuse un général roumain, Boris Holban, l'un des chefs des réseaux communistes en zone nord, d'être le responsable de la chute du groupe. L'émission, qui voit chacun rester sur ses positions, ne permet malheureusement pas d'éclaircir ce point d'histoire.

Otages des chiites

Le 14 juin, des chiites libanais détournent vers Beyrouth un Boeing 727 de la TWA assurant la liaison Athènes-Rome et exigent la libération de tous « les Arabes détenus dans les prisons israéliennes », ainsi que la « condamnation des agissements américains dans le monde arabe ». Sur l'aéroport libanais, ils relâchent 17 femmes et 2 enfants, avant de s'envoler pour Alger, d'où ils renouvellent leurs exigences, avant de libérer 22 nouveaux passagers. Revenus à Beyrouth, ils abattent un de leurs otages, un militaire américain.

Le 15, l'appareil se pose pour la deuxième fois à Alger. Un complice des terroristes, arrêté la veille à Athènes, est alors échangé contre 19 passagers grecs ou américains et 5 hôtesses. Peu après, une cinquantaine d'autres otages sont libérés.

Le 16, le Boeing atterrit pour la troisième fois à Beyrouth, avec 40 personnes à son bord. M. Nabih Berri, chef de la milice chiite Amal et ministre libanais de la Justice, déclare se charger des négociations et décrète une « mobilisation générale » de son mouvement. Au cours de la nuit, les otages sont répartis dans plusieurs maisons de Beyrouth.

Le 18, M. Ronald Reagan exclut toute concession. Trois otages, dont le chanteur grec Demis Roussos, sont libérés.

Le 20, Nabih Berri, médiateur entre les États-Unis et les ravisseurs, obtient que ces derniers limitent leurs exigences à la libération des 766 chiites encore détenus à Atlit (Israël).

Le 24, l'État hébreu relâche 31 prisonniers libanais et Nabih Berri demande que la flotte américaine s'éloigne des côtes libanaises.

Le 26, le ministre libanais propose de libérer les Français Jean-Pierre Kaufmann et Michel Seurat avec les 39 Américains restants, à condition qu'une ambassade occidentale accepte d'accueillir les otages jusqu'au retour des prisonniers d'Atlit.

Le 27, M. Roland Dumas, ministre français des Relations extérieures, répond que la libération des passagers du Boeing doit être inconditionnelle.

Les 28 et 29, les tractations diplomatiques se poursuivent.

Le 30, M. Nabih Berri affirme que la Syrie a obtenu de M. Ronald Reagan des garanties quant au sort des prisonniers libanais détenus en Israël. Les 39 otages américains sont alors libérés ; ils quittent Beyrouth pour Damas, d'où ils s'envolent pour Francfort (RFA).

Jumelage

Ouvrant les débats organisés le 17 juin au centre Thomson-CSF de Jouy-en-Josas par des chefs d'entreprise, M. Laurent Fabius a dressé un premier bilan des jumelages école-entreprise, inaugurés le 27 septembre 1984 par le rapprochement du LEP (lycée d'enseignement professionnel) de Bourgoin-Jallieu et de quatre entreprises de l'Isère. 5 000 conventions similaires ont été signées depuis. Une première tentative de jumelage école-entreprise avait été effectuée en 1979 par le ministre de l'Éducation d'alors, M. Christian Beullac, qui avait instauré des stages encadrés dans les entreprises pour les élèves des LEP, prenant ainsi modèle sur les méthodes appliquées dans les grandes écoles d'ingénieurs, plus proches du milieu du travail. Après la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans et la création des collèges techniques, ces jumelages répondent ainsi aux besoins créés par les changements de structures dans l'industrie, la modernisation des moyens de production et les nouvelles technologies qui réclament maintenant un personnel mieux formé.

Paul Colin

Mort le 18 juin à Nogent-sur-Marne, le peintre et dessinateur français Paul Colin était l'auteur d'une affiche connue dans le monde entier, celle de la Revue nègre (1925) de Joséphine Baker. Né à Nancy en 1892, il y étudie l'architecture et les arts appliqués à l'école des beaux-arts, puis continue ses études à Paris. Après la guerre, au début de laquelle il est mobilisé, il rencontre Rolf de Maré, qui lui commande des affiches pour le théâtre des Champs-Élysées. Il exerce alors son sens de l'architecture cubisante et son goût des rythmes syncopés. De cette époque datent ses premiers décors (Sculptures nègres, Donogoo, Dante n'avait rien vu, Rugby, Jazz). Tout en continuant la peinture, sa véritable passion, il se consacre au cinéma, pour lequel il emploie ses talents de décorateur, notamment dans Carnet de bal, les Misérables et Liliom. Sa principale production reste néanmoins l'affiche publicitaire (Loterie nationale, Félix Potin, Vichy) et l'affiche promotionnelle des divers spectacles (Revue nègre, Siegfried, Pelléas).

Mengele

Le 6 juin, la découverte, au cimetière d'Embu au Brésil, du cadavre présumé de Joseph Mengele, l'homme le plus recherché dans le monde et dont la prime de capture avait fini par atteindre 35 millions de F, met un terme à une traque de 40 ans. Le 21 juin, le prérapport d'enquête sur l'identification du corps confirme que les ossements déterrés sont bien ceux du bourreau d'Auschwitz, retrouvé noyé le 7 février 1979 sur la plage de Bertioga et inhumé sous le nom de Wolfgang Gerhard, son protecteur en Amérique du Sud.

Prisonnier des Anglais au printemps de 1945, Joseph Mengele est relâché peu après et ne fait l'objet d'aucun avis de recherche. Il se réfugie dans sa famille à Günzburg (Bavière) et quitte l'Allemagne en 1949, lorsque son pays se met à poursuivre les criminels de guerre. Ses proches le font alors passer en Italie où la Croix-Rouge internationale lui délivre un titre d'émigration pour l'Argentine. À Buenos Aires, il ouvre un cabinet médical sous son vrai nom. Repéré, en 1959, par le chasseur de nazis Hermann Langbein et menacé d'extradition, il émigre l'année suivante au Paraguay où il bénéficie de hautes protections. Craignant encore d'être retrouvé, il se fixe au Brésil à la fin de l'année 1961 et devient gentleman-farmer, successivement à Araqaruara, Serra Negra et Caireras, avant de devoir se retirer dans une maison de la banlieue pauvre de São Paulo.

La mort du vampire

Un biochimiste canadien, M. David Dolphin, découvre que le vampirisme est tout simplement une maladie. Mieux : une maladie déjà connue, la porphyrie, dont ce serait une forme complexe. Il s'agit essentiellement d'une anomalie du sang, caractérisée par une carence d'hématies et s'accompagnant d'urine rouge. Ses manifestations sont impressionnantes : allergie à la lumière, coloration de la peau et hyperpilosité, déformation des doigts et du nez. Bref, tout pour faire du malade une sorte de monstre. La thérapeutique est à base de saignées et de transfusions, alors que la consommation d'ail aggrave les symptômes. Le tableau clinique évoque très exactement les vampires de la légende, leur aspect et leur comportement. M. Dolphin estime que la maladie, héréditaire, s'est répandue en Transylvanie, pays traditionnel des vampires, à la faveur des mariages consanguins. Les histoires à dormir debout de ce pays perdent ainsi l'essentiel de leur étrangeté.