futurisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Ce courant esthétique et littéraire parcourut l'Europe de l'avant-Première Guerre mondiale, entre deux pôles privilégiés, l'Italie et la Russie. S'il fut fondé à Milan, son acte de naissance est constitué par le Manifeste du futurisme publié dans le Figaro par Filippo Tommaso Marinetti le 20 février 1909, avant d'être traduit en italien dans l'un des derniers numéros de la revue milanaise Poesia. Ce premier manifeste exprime essentiellement un état d'esprit, autour de onze propositions exaltant pêle-mêle l'amour du danger, l'instinct de révolte, la beauté du mouvement et de la vitesse, « la ferveur des éléments primordiaux », la guerre, « seule hygiène du monde », la révolution, l'énergie des foules et toutes les formes les plus avancées de la civilisation industrielle. Dans les manifestes suivants, Marinetti s'attachera à définir la rhétorique de cette idéologie du dynamisme : « mots en liberté », simultanéité de la sensation et de l'expression, subversion systématique de la prosodie, de la syntaxe, de la ponctuation et de la typographie traditionnelles (Manifeste technique de la littérature futuriste, 1912). Si l'on excepte quelques romans (Mafarka le futuriste, 1910, de Marinetti ; le Code de Perelà, 1911, d'Aldo Palazzeschi), la poésie fut de loin le laboratoire le plus inventif de l'expérimentation futuriste avec, outre Marinetti lui-même, Enrico Cavacchioli, Paolo Buzzi, Luciano Folgore, Francesco Cangiullo, Giuseppe Ungaretti, Aldo Palazzeschi, Corrado Govoni et Ardengo Soffici. Ce dernier fut, avec Giovanni Papini, de 1913 à 1915, l'animateur de la revue futuriste florentine Lacerba à laquelle succéda, toujours à Florence, en 1916, l'Italie futuriste réunissant Bruno Corra, Aldo Ginna, Mario Carli, Primo Conti et Remo Chiti. L'idéologie futuriste, que Marinetti devait ensuite gauchir au service du fascisme, plonge ses racines à la fois dans le naturalisme, le symbolisme et l'unanimisme, ainsi que dans la pensée de Nietzsche, de Bergson et de Georges Sorel. Elle s'annonce également, en Italie même, dans le culte de la machine et de la vitesse théorisé par Mario Morasso et à travers les idées développées dans la revue Leonardo (1903-1907) par G. Papini et G. Prezzolini, tandis que l'esthétique des « mots en liberté » a sans doute été influencée par les recherches de Gian Pietro Lucini (Raison poétique et programme du vers libre, 1908), dont se réclament les néo-avant-gardes italiennes à qui l'on doit, depuis les années 1960, l'initiative d'une réévaluation, théorique et historiographique, du futurisme. La vitalité du mouvement futuriste gagna bientôt la peinture, la musique, la sculpture, l'architecture et tous les arts du spectacle, tandis que fleurissaient les manifestes (dont on peut dire que les Italiens ont fait un genre littéraire particulier). Dans le Manifeste technique de la littérature futuriste (1912), et sous sa forme illustrée, les Mots en liberté futuristes (1919), Marinetti prône le désordre formel, la destruction de la syntaxe, l'abolition des adjectifs, des adverbes, de la ponctuation, l'emploi du verbe à l'infinitif. L'obsession lyrique de la matière débouche sur l'imagination sans fils qui, à l'instar du cinéma, présente de nouvelles relations entre les objets. En complément de la théorie viennent l'orthographe libre, la révolution typographique de la page, insistant sur la verbalisation abstraite et l'onomatopée. Ce « style télégraphique » a été critiqué comme manquant la substance du réel (A. Döblin), comme ignorant la nature du langage en général et abolissant le rythme du langage poétique en particulier (Apollinaire), et comme fondé sur « la croyance enfantine à l'existence réelle et indépendante des mots » (A. Breton).
Le futurisme russe naît de la réunion de quatre groupes, indépendamment de son équivalent italien : Hyléa (le groupe des « cubofuturistes ») – qui compte parmi ses membres le peintre David Bourliouk (1882-1967), les poètes Vassili Kamenski (1884-1961), V. Khlebnikov, Alexeï Kroutchionnykh (1886-1968), V. Maïakovski – est apparu le premier, et c'est aussi le plus radical ; l'Association des égofuturistes, dirigée par I. Severianine, s'en distingue par son refus de l'engagement politique ; la Mezzanine de la poésie, avec Vadim Cherchenevitch (1893-1942), et Tsentrifuga, avec Sergeï Bobrov (1899-1971), Boris Pasternak, Nikolaï Asséiev (1899-1963), plus modérés, revendiquent une tradition poétique. Les recueils (le Jardin des juges, 1910 ; Une gifle au goût public, 1912...) et les interventions des cubofuturistes définissent les grandes lignes du mouvement. Guidés par la conviction que le passé est condamné à disparaître, ils attendent l'avènement de l' « homme nouveau », auquel l'œuvre d'art sous tous ses aspects doit participer. Le système ancien des genres et des styles est déclaré caduc, les futuristes tentent un retour à une langue originelle, s'intéressent à la langue parlée, à la création de néologismes... La parole poétique a en effet le pouvoir de transformer l'existence même. Les œuvres futuristes reposent sur des contrastes, des glissements du tragique au comique, du lyrisme à la platitude du quotidien. On a pu parler à leur sujet d'anti-esthétisme : refusant la hiérarchisation des valeurs induites par le symbolisme, ils se tournent vers le réel dans sa plus grande concrétude, vers la modernité incarnée par la ville. Entrent dans le poème des matériaux hétérogènes, graphiques en particulier : le sens n'est plus au premier plan, le signe comme tel, le son, revêtent une égale importance. Les cubofuturistes font de leur engagement poétique un mode de vie, d'où des manifestations spectaculaires (« épatage »), mais aussi une participation active à la Révolution de 1917, au sein du LEF.