Luigi Nono
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Compositeur italien (Venise 1924 – id. 1990).
Il commença le piano dès l'âge de douze ans pour l'abandonner deux ans plus tard. Ce n'est qu'à dix-sept ans, grâce à sa rencontre avec Malipiero, que s'ouvrirent à lui « tous les horizons de la musique ». Ses véritables études musicales débutèrent en 1941. Nono n'a guère gardé de souvenirs de son passage en « auditeur libre » au conservatoire Benedetto-Marcello de Venise. Cinq années passèrent avant sa rencontre décisive avec Bruno Maderna, avec qui il reprit ses études « depuis leurs débuts ». En 1946, il obtint, en outre, ses diplômes de droit à l'université de Padoue.
Devenu élève de Scherchen à Zurich en 1948, Nono découvrit Schönberg et Webern, deux compositeurs qui exercèrent alors sur lui une grande influence. En témoigne sa première œuvre, les Variations canoniques sur la série de l'opus 41 (Ode à Napoléon). L'œuvre, créée en 1950 par Hermann Scherchen, fit scandale. Nono venait pourtant de signer là une page transparente et lumineuse, d'une expressivité toute méditerranéenne. Suivirent plusieurs œuvres se réclamant de ce style, tôt qualifié par la critique de pointillisme postdodécaphonique : Polifonica-monodica-ritmica (1951), Composizione per orchestra I (1951), España en el corazón, pour soprano, baryton, petit chœur mixte et orchestre (1952), Y su sangre ya viene cantando, pour flûte, cordes et percussions (1952), Romance de la guardia civil española, pour récitant, chœur parlé et orchestre (1953), Due espressioni per orchestra (1953), la Victoire de Guernica, pour chœur mixte et orchestre (1954), Canti, pour 13 instruments (1955), Incontri, pour 24 instruments (1954). Autant d'œuvres usant d'une technique sérielle souple qui ne renonce jamais ni à l'expressivité ni au lyrisme lumineux et ensoleillé qui sont les marques stylistiques du langage de Nono. Déjà, on peut remarquer son intérêt pour l'instrument le plus humain, le plus direct, le plus brut : la voix. Cette passion ne devait jamais le quitter. Toujours dans l'esprit de Webern, Il Canto Sospeso (1955) marqua cependant un tournant à la fois esthétique et idéologique dans la démarche de Nono, qui, désormais, allait plier son art aux exigences de son engagement social et politique comme membre du P. C. I.
En 1955, Nono épousa Nuria, fille d'Arnold Schönberg. Pendant deux années consécutives (1958 et 1959), il donna des cours à Darmstadt, puis, après 1959, à Darlington (Angleterre). En 1960 eut lieu la création d'Intolleranza, action scénique (opéra) en 2 actes et 11 tableaux ayant pour sujet l'histoire d'un émigrant, qui, aux prises avec l'oppression fasciste, découvre à la fois l'horreur et l'amour dans les camps de concentration. L'œuvre fut diversement accueillie.
Or, si Nono n'est ni « un compositeur à manifestes, ni un musicien politique » (Martine Cadieu), il se veut témoin, et témoin à charge, d'une société corrompue, injuste, violente et destructrice. Aussi s'insurgea-t-il aussi bien contre l'antisémitisme et les camps de la mort que contre les guerres d'Algérie, du Viêt-nam et contre les dictatures d'Amérique latine. Il fut actif aussi sur le terrain, apportant le concert dans les usines, la musique contemporaine dans les halls ou les grands magasins, et il lui arriva de refuser les circuits de diffusion officialisés (par ex. les festivals), ce qui, par exemple, le conduisit en 1968 à décliner l'invitation qui lui était faite de participer à la Biennale de Venise. Cette prise de position caractérisa surtout les années 60. C'est pourquoi Nono consacra alors une grande partie de son activité créatrice à la musique électroacoustique, celle-ci, une fois réalisée sur bande, étant facilement transportable dans la rue ou dans les usines. Nono n'en continua pas moins à pratiquer un art sans concessions. D'où un hiatus, absurde mais logique, entre utopie et pratique concrète. Dans ce contexte idéologique se situent notamment Un volto del mare, pour 2 voix, chant et bande magnétique (1968), et Non Consumio Marx, montage de non-musique avec slogans et sons électroniques (1969), diptyque écrit contre la Biennale de Venise de 1968 à laquelle il avait refusé de participer.
En rapport avec ses conceptions politiques apparaît son traitement des masses chorales. Pour lui, un chœur n'est pas fait de musiciens réunis pour chanter « de concert », mais représente plutôt des individualités soudées en une équipe de travail et dont les différences font la richesse de l'expérience vécue par le collectif ainsi formé. Ainsi faut-il percevoir déjà Cori di Didone, pour chœur et percussion (1958). En 1964, Nono dédia sa Fabricca Illuminata aux ouvriers en grève de l'Italsider de Gênes, affirmant par ce geste son désir de demeurer de plain-pied dans la vie sociale de son propre pays. Refusant l'élitisme, il tenta d'insérer sa musique dans le tissu social, dans les lieux non sacralisés par la notion de concert-spectacle. Dans Ricordi cosa ti hanno fatto in Auschwitz, pour bande magnétique, il fit un usage poétique et lyrique d'un matériau ingrat préenregistré en studio. En 1966, A Floresta e Jovem e cheja de Vida, pour bande magnétique, voix, clarinette et percussion, fut dédié au Front national de libération du Viêt-nam, et, en 1971, Ein Gespenst geht um die Welt (Un fantôme rôde de par le monde), pour soprano, chœur et orchestre, le fut à Angela Davis.
Depuis la fin des années 60, Nono a donné une série de partitions de grande envergure, qui le font apparaître, envers et contre tous, comme un créateur puissant, profondément humain et chaleureux. Citons : Como Una Ola de Fuerza y Luz, pour soprano, piano, orchestre et bande magnétique (1972) ; Canto per il Viet-Nam, pour chœur mixte (1972) ; Al Gran Sole Carico d'Amore, action scénique (1975) ; Sofferte Onde Serene, pour piano « live » et enregistré (1976) ; Con Luigi Dallapiccola, pour percussion (1979) ; Fragmente Stille an Diotima, pour quatuor à cordes (1980) ; Das atmende Klarsein, pour flûte basse, petit chœur et live électronique (1981) ; Io, Frammento dal Prometeo, pour 3 sopranos, petit chœur, flûte basse, clarinette, contre-basse et live électronique (1981) ; Diarao Polacco no 2, pour voix, instruments et amplification électronique (Venise, 1982), l'opéra Verso Prometeo (créé à Venise en 1984), Découvrir la subversion, hommage à Edmond Jabès (1987).