urbanisme
(de urbain)
Art, science et technique de l'aménagement des agglomérations humaines.
1. La science de l’aménagement du territoire urbain
1.1. L'organisation urbaine
L'urbanisme peut être défini comme l'action réfléchie visant à disposer, à aménager ou à restructurer physiquement et socialement l'espace (urbain, voire rural) en vue d'assurer l'unification la plus harmonieuse et la plus efficace des fonctions que remplit un site donné, singulièrement l'habitation et la circulation. Il est inséparablement une théorie et une pratique dont l'exercice entraîne le recours à une technique.
S'efforçant de penser, de planifier et d'organiser concrètement la mise en forme de l'espace des agglomérations, l'urbanisme intervient dans la disposition des bâtiments, la structure des réseaux de communication et des équipements publics, et, plus généralement, dans l'aménagement du territoire urbain. Il n'a été constitué comme discipline relativement autonome – affaire de professionnels dont l'action est inséparable de celle de la puissance publique et, partant, d'une réglementation juridique – qu'à partir de l'urbanisation intense consécutive aux progrès de l'industrialisation.
1.2. Le rôle de l'urbaniste
1.2.1. Introduction
Historiquement, les premiers urbanistes au sens moderne du mot sont, en France, des spécialistes de compétences diverses qui ont fondé, les uns, l'Association générale des hygiénistes et techniciens municipaux (1905), les autres, la section d'hygiène urbaine et rurale du Musée social (1908), d'autres enfin, la Société française des architectes-urbanistes (1912), devenue en 1919 la Société française des urbanistes. Administrateurs municipaux, architectes, ingénieurs, voyers ont joué un rôle essentiel comme urbanistes dans l'entre-deux-guerres, mais l'appellation d'urbaniste tend surtout à devenir un appendice du titre d'architecte, qui, pour sa part, est légalement protégé.
Aujourd'hui, le métier d'urbaniste est exercé par des architectes, des ingénieurs, des administrateurs, des sociologues, des géographes et des économistes.
1.2.2. Une spécificité discutée
En ouverture de Manière de penser l'urbanisme, publié en 1946, l’architecte Le Corbusier (de son vrai nom Charles Édouard Jeanneret) soutient que « l'urbaniste n'est autre chose que l'architecte ». Cependant, l'ouverture de l'urbanisme à la sociologie et à l'économie, notamment, contraint à remettre en cause un tel formalisme. Dans une étude intitulée « L'urbanisme d'aujourd'hui : mythes et réalités », le sociologue Henri Lefebvre soutient que « l'architecture et l'urbanisme doivent être distingués avec soin » en tant qu'ils se situent à « deux niveaux de la réalité sociale » : l'architecture est au niveau « microsociologique », tandis que « l'urbanisme est un problème macrosociologique », posé au niveau de « la société dans son ensemble ». Il affirme aussi que l'urbanisme est une idéologie.
L'urbaniste n'a pas le pouvoir de décider des transformations de l'ordre spatial, et il ne réalise pas les travaux, mais il est à la fois le concepteur (ce qui implique le maniement d'abstractions) et l'organisateur de ces transformations dans le cadre des procédures administratives et des réglementations juridiques relatives à l'acquisition et à l'utilisation du sol.
1.2.3. Le souci de l'embellissement
La définition de l'urbanisme comme théorie et pratique de l'aménagement urbain serait toutefois incomplète si elle n'intégrait la dimension esthétique. Il n'est pas d'ordonnancement de l'urbanisation qui n'obéisse à des canons esthétiques, quelle que soit la valeur de ceux-ci, leur filiation culturelle, leur degré d'académisme ou d'audace innovante. Grand ordonnateur de la ville, l'urbaniste pense et projette sur le tissu urbain un réseau de rapports entre les surfaces pleines (bâties ou à bâtir) et les surfaces vides (jardins, places, voies), entre la largeur des voies et la hauteur des constructions, entre les caractéristiques architecturales des bâtiments eux-mêmes, etc. : cet ensemble de rapports est réfléchi, selon l'expression de Jean-François Tribillon, comme un « système d'effets plastiques et émotionnels » dont le souci confère à l'urbaniste, outre le statut de planificateur du développement de la ville et de programmateur de son équipement, celui de metteur en scène de son paysage.
La fonction constitutive de cette exigence esthétique a été très tôt formulée par l'un des plus grands théoriciens de l'histoire de l'urbanisme (ou plus exactement de l'art urbain), l'humaniste Leon Battista Alberti (1404-1472), qui en énonce le principe dans son De re aedificatoria, publié en 1483 ; il compose cet ouvrage dans une référence explicite à Vitruve, l'architecte romain du Ier s. avant notre ère, dont les Dix Livres d'architecture, redécouverts en 1415, constituent sans doute la plus grande théorie systématique de l'espace produite par l'Antiquité. Alberti identifie ce qu'aujourd'hui nous nommons urbanisme avec l'architecture elle-même, et réfléchit l'espace urbain dans la métaphore de l'édifice, comparant la ville à une grande maison et la maison à une petite ville. Trois principes doivent selon lui présider à l'économie générale de la ville-maison : la loi qui est au fondement de la vie sociale, à savoir la nécessité naturelle (necessitas) ; l'exigence d'une adaptation de l'ordre urbain aux usages de la vie courante et aux usagers eux-mêmes, la commodité (commoditas) ; enfin un idéal de beauté, voire de « volupté » (voluptas), entendu comme parfaite justesse des proportions.
2. Évolution de l'art urbain vers l’urbanisme
2.1. Antiquité et Moyen Âge
Au regard d'une histoire de l'urbanisme, l'intérêt que présentent les cités de la Grèce antique, communautés de citoyens englobées dans un site proprement urbain, réside autant dans la réflexion sur l'art urbain dont elles ont été l'objet chez les premiers philosophes, et même dans la formation, selon Jean-Louis Harouel, d'« un véritable droit de l'urbanisme », que dans deux caractéristiques notables de la structuration de l'espace de la ville : d'une part, la division entre la ville haute, portant l'acropole, et la ville basse, où se situe l'agora ; d'autre part, l'invention du plan orthogonal, dit « en échiquier » ou « en damier », ou encore « hippodamique », du nom d'Hippodamos de Milet.
Les villes de la Rome antique adoptent à leur tour des plans réguliers, divisés selon deux perpendiculaires, le decumanus dans l'axe est-ouest et le cardo dans l'axe nord-sud, à l'intersection desquels se situe souvent le forum, l'équivalent de l'agora grecque ; cependant, il s'agit plus d'une structure essentiellement liée au rite de la fondation de la ville que d'un plan.
Sous l'effet de l'évolution démographique et de l'expansion économique, l'essor urbain médiéval est déterminé par des questions d'ordre pratique : le quadrillage régulier des Romains cède la place à un tissu urbain composé de rues étroites autant que tortueuses, qui n'exclut pas une organisation des quartiers, différenciés notamment selon les métiers. Établies le long des routes ou des rivières, ou autour de noyaux constitués souvent par des églises, des monastères ou des châteaux, les villes médiévales sont soit d'anciennes cités romaines, soit, pour un grand nombre, des villes nouvelles, créées pour des raisons économiques ou militaires.
2.2. Renaissance et âge classique
La Renaissance est le temps où la ville devient l'objet d'une représentation globale projetée sur l'espace et d'un discours propre qui en pense et en planifie l'ordonnancement, tandis que des artistes, travaillant sous l'autorité de princes et l'impulsion des papes, la transforment en « espace savant ». Concrétisée notamment par les réalisations architecturales de Brunelleschi à Florence et de Bramante à Milan et à Rome, cette rupture avec les pratiques du Moyen Âge se produit d'abord essentiellement dans l'ordre de la pensée, singulièrement dans l'œuvre d'Alberti, mais aussi dans le Traité d'architecture de Filarete, dont l'apport sans doute majeur est la conception du plan radioconcentrique : un polygone ordonné autour d'une place centrale d'où rayonnent dans une parfaite symétrie des rues rectilignes. L'avènement de cette figure géométrique est inséparable de la grande invention technique et conceptuelle de la Renaissance : la perspective monumentale, qui consiste à lier en un tout indivisible la rue droite et son édifice terminal. À l'« espace de contact » solidaire d'une vision théocentrique produit par le Moyen Âge commence alors à se juxtaposer un « espace de spectacle ».
L'esthétique urbaine de la Renaissance évolue dans toute l'Europe principalement sous deux formes : d'une part, le style baroque, notamment à Rome à la fin du xvie s. sous le pape Sixte Quint et au xviie s. avec les réalisations du Bernin, mais aussi en France (Louis Le Vau) et jusqu'à Prague et Cracovie ; d'autre part, le style classique – le symbole sans doute le plus marquant en est la création des places royales, en particulier la place Dauphine et la place Royale (aujourd'hui place des Vosges) sous Henri IV, la place des Conquêtes (ou place Vendôme) sous Louis XIV, et sous Louis XV, qui lui donne son nom, la future place de la Concorde.
L'art urbain durant ces siècles s'exerce de multiples façons : réordonnancement partiel de Rome, Paris, Amsterdam, Bruxelles, etc. ; extension de villes, comme Nancy, Londres et la ville d'eaux de Bath ; reconstructions d'envergure, comme à Lisbonne après le tremblement de terre de 1755 ; enfin, création de villes nouvelles telles que Versailles, Mannheim, Karlsruhe, Saint-Pétersbourg, Washington.
2.3. De l'art urbain à l'urbanisme
L'urbanisme est la forme propre au xxe s. d'un art urbain aussi ancien que les premières villes. Le terme, construit à partir du latin urbs, la « ville », est récent : dans le Bulletin de la société de géographie de Neufchâtel, Paul Clerget le définit en 1910 comme l'« étude systématique des méthodes permettant d'adapter l'habitat, et plus particulièrement l'habitat urbain, aux besoins des hommes ». Selon Françoise Choay, pionnière des études d'histoire de la pensée urbanistique, le véritable créateur du terme est Ildefonso Cerdá y Suñer (1815-1879), responsable du plan de l'extension de Barcelone (1860) et auteur de la Théorie générale de l'urbanisation (1867, première traduction française en 1979). Le néologisme de urbanización y désigne une « matière neuve, intacte et vierge » à laquelle Cerdá entend conférer un statut scientifique : il s'agit déjà de l'urbanisme, plutôt que de l'urbanisation, laquelle est l'objet propre des politiques urbaines.
Soulignant son articulation essentielle avec l'industrialisation ainsi que sa prétention à s'ériger en science autonome, Françoise Choay en conclut que « dans son acception originelle, l'urbanisme est la pratique sociale spécifique qui, après la révolution industrielle, cherche à fonder sur un discours (théorie) scientifique la construction d'un ordre spatial urbain adapté à la nouvelle société économique et technologique ». S'il convient donc de réserver le terme d'urbanisme aux théorisations et aux réalisations qui ont commencé à l'époque d'Haussmann et de Cerdá, il est permis de considérer rétrospectivement, et très schématiquement, l'évolution de l'art urbain.
Acte de naissance de l'urbanisme moderne, la révolution haussmannienne à Paris coïncide avec les prémices des théories du xxe s. que Françoise Choay, en 1965, a regroupées en différents courants, qui sont moins des écoles que des tendances, traversant parfois l'œuvre d'un même auteur.
3. Les théories de l'urbanisme
3.1. Le courant progressiste
3.1.1. Introduction
Par sa puissance conceptuelle, sa diversité doctrinale, son caractère international, l'ampleur de ses réalisations, sa reconnaissance officielle aussi dans certains pays (telle la France), sa réception critique enfin par le grand public, le principal des courants urbanistiques est celui qui peut être nommé « progressiste ».
Les théoriciens de ce mouvement entendent planifier l'organisation et la réorganisation des villes en les adaptant le plus efficacement possible aux conditions nouvelles de leur fonctionnement, dont ils anticipent l'évolution dans leurs plans. Intégrant dans leur modélisation de l'espace urbain les données relatives aux techniques et aux matériaux de construction nouveaux (acier, béton, verre), ils élaborent une esthétique d'allure « futuriste » adéquate aux normes utopiques de leur « cité radieuse » et qui ordonne la typologie des logements et des bâtiments ainsi que la morphologie des villes à un idéal d'austérité formelle.
3.1.2. Une utopie
Les premières représentations de cette cité de l'avenir ont été élaborées par certains utopistes du xixe s., rétrospectivement dénommés « préurbanistes progressistes », dont les uns prônent la vie communautaire, les autres le logement individuel : ainsi, Charles Fourier préconise l'organisation de phalanstères, que tente de réaliser au Texas son disciple Victor Considérant ; Robert Owen conçoit et tente de concrétiser des « villages de coopération » ; Étienne Cabet imagine une ville communiste modèle où prévalent de strictes conditions d'hygiène ; Pierre Joseph Proudhon esquisse un modèle rationnel d'habitation ; Benjamin Ward Richardson donne dans sa ville utopique un rôle prépondérant aux espaces verts et aux hôpitaux.
Pour l'essentiel ces théorisations demeurent à l'état de projet ; c'est paradoxalement le patronat qui réalise, selon une logique de fermeture, lisible dans les modèles progressistes utopiques, les premières cités ouvrières, telles celles des Schneider au Creusot, des Wendel à Stiring, de Krupp à Essen, ou encore, dans la région de Mons, le Grand Hornu construit par Bruno Renard sous la direction de Henri-Joseph de Gorge.
3.1.3. L'invention de l'espace urbain
S'il découvre sa première assise théorique dans l'œuvre de l'architecte Tony Garnier, urbaniste en chef de la ville de Lyon – qui conçoit au début du siècle le plan d'une « cité industrielle » composée de constructions standardisées et fondée sur le principe d'une stricte partition de l'espace selon ses fonctions –, l'urbanisme progressiste ne se constitue vraiment qu'à partir de 1928, avec la fondation des Congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM), qui sont probablement le principal catalyseur des pratiques urbanistiques dans le monde entier.
Les CIAM réunissent des architectes qui ont, dans leur propre pays, initié une pensée novatrice sur l'espace urbain, articulée à une réflexion sur des recherches plastiques d'avant-garde, tel le cubisme, et sur la portée des nouvelles techniques : ainsi, pour l'Allemagne, Ludwig Mies van der Rohe et Walter Gropius, ce dernier par ailleurs fondateur en 1919 du Bauhaus ; pour les Pays-Bas, Cornelius Van Eesteren, Jacob Oud, Gerrit Rietveld ; pour la Suisse, Le Corbusier, qui anime à Paris la revue l'Esprit nouveau ; pour la Belgique, Victor Bourgeois ; pour le Brésil, Lúcio Costa (qui plus tard remportera le concours du plan de Brasília, qu'il réalisera avec la collaboration d'Oscar Niemeyer) ; pour l'Espagne, José Lluis Sert ; pour l'Union soviétique, les architectes du groupe du constructivisme.
3.1.4. Urbaniser les villes
De leurs premiers travaux théoriques émane, en 1933, un document majeur de l'urbanisme contemporain, la Charte d'Athènes, collectivement rédigée durant une croisière en Méditerranée mais dans laquelle prédominent les thèses de Le Corbusier, qui, sous son nom, le publie en 1942.
Tel qu'il se dégage de ce texte programmatique et de toute l'œuvre de théoricien accomplie sans grande variation doctrinale par Le Corbusier pendant une quarantaine d'années, le projet des CIAM consiste à répondre au défi soulevé par le développement chaotique des espaces urbains en rompant avec des politiques impuissantes à « tenir tête à la bête », c'est-à-dire à la puissance de la grande ville. Pour assurer la victoire de cette « formidable bataille » que constitue le projet de « vouloir urbaniser une grande ville contemporaine », plusieurs principes sont énoncés dans la Charte d'Athènes, dont les articles 77, 78 et 79 formulent sans doute la thèse essentielle (qui vaut au mouvement le nom de fonctionnalisme), celle relative au zonage (ou « zoning »), c'est-à-dire le partage de l'espace urbain − conceptualisé déjà par Tony Garnier − selon une distinction nette de quatre fonctions fondamentales, véritables « clés de l'urbanisme » : habiter, travailler, se récréer, circuler. Outre son caractère rudimentaire, cette quadripartition des fonctions de la ville présente deux traits notables.
Le premier est l'indépendance conférée à la circulation, c'est-à-dire au tracé des voies, localisées à l'écart des habitations et hiérarchisées elles-mêmes selon la vitesse. Un parti pris géométrique conduira par ailleurs Le Corbusier à soutenir que « la circulation exige la droite », laquelle est aussi « saine à l'âme des villes » que la courbe lui est « ruineuse, difficile et dangereuse ». Après avoir tranché dans le vif de l'esthétique du Moyen Âge en affirmant que « la rue courbe est le chemin des ânes » et « la rue droite le chemin des hommes », Le Corbusier radicalise encore sa position en énonçant un ultime verdict : « La rue-corridor à deux trottoirs, étouffée entre de hautes maisons, doit disparaître. »
Le second trait remarquable réside dans le privilège attribué à l'habitation au détriment du lieu de travail, lequel est réduit à une logique productiviste. L'urbanisme des CIAM est principalement un urbanisme du logis, et pour l'essentiel un urbanisme de masse, ou « urbanisme populaire ». Si certaines de ces composantes optent pour l'habitat individuel, Le Corbusier, les théoriciens du Bauhaus allemand et ceux du constructivisme russe plaident pour la construction en hauteur d'immeubles géants, distants les uns des autres, entourés de verdure afin de rompre avec l'opposition de la ville et de la campagne. C'est ce principe qui a présidé à la réalisation par Le Corbusier de la Cité radieuse, immeuble de dix-sept niveaux abritant près de 2 000 personnes, construit en 1947 à Marseille et reproduit notamment à Nantes. Cependant, l'édification des grands ensembles dans la France de l'après-guerre, qui a beaucoup contribué au désaveu du style international des CIAM, ne répond pas exactement aux normes de celui-ci, qui servit plutôt, spécieusement, de caution.
3.2. Le courant culturaliste
3.2.1. Respect de l’héritage urbain
À l'opposé de ce modernisme extrême, une autre tendance s'est développée dans le même temps autour du thème du respect de la ville, de la fidélité à ses traditions (singulièrement à son héritage médiéval) et de la nécessité pour un urbanisme de se fonder sur une connaissance préalable et visant à l'exhaustivité des données démographiques, géographiques, sociales et, plus généralement, culturelles. Elle est identifiable dans le courant dit « culturaliste », dont l'audience, qui a été moindre que celle de son rival progressiste et qui, sans pouvoir être accusé de passéisme, a conduit à l'élaboration de modèles urbains empreints de nostalgie et dans lesquels on pourrait déceler une méconnaissance relative du temps présent.
Ses précurseurs en sont notamment, au xixe s., John Ruskin et William Morris : vitupérant la logique urbaine de la société industrielle, ils prônent un retour à l'esthétique médiévale des rues serpentines et conçoivent des villes de petites dimensions capables de satisfaire aux droits de la vie spirituelle et à l'ordre de la nature.
3.2.2. Organiser la vie dans la ville
C'est à la fin du xixe s. que paraissent les deux ouvrages qui orientent de manière décisive au siècle suivant le développement du courant culturaliste. En 1889 paraît l'Art de bâtir les villes (Der Städtebau) de Camillo Sitte ; hostile à l'aménagement de Vienne selon les principes haussmanniens, Sitte oppose à ceux-ci d'autres principes, patiemment dégagés de l'étude des villes anciennes, selon lesquels le plan urbain doit être considéré comme une œuvre d'art et privilégier les rues et les places, désignées comme les lieux de passage et de rencontre par excellence. Le livre d'Ebenezer Howard (Tomorrow, 1898) réfléchit dans le concept de « cité-jardin » (garden-city) le projet d'une ville ceinturée d'une bande de verdure, dont les habitations sont prolongées par un jardin et occupées par une population limitée à 30 000 personnes : les premières réalisations en sont, au nord de Londres, les cités de Letchworth et de Welwyn.
Proche de ce culturalisme prend corps un urbanisme « anthropologique » soucieux de penser l'espace de la ville comme lieu d'accueil d'une communauté humaine toujours singularisée par son histoire et sa culture : les théoriciens les plus féconds de ce courant sont l'Écossais Patrick Geddes (Cities in Evolution, 1915), son disciple américain Lewis Mumford (les Cités à travers l'histoire, 1965) et l'historien de Paris Marcel Poète, qui publie en 1929 une Introduction à l'urbanisme.
3.3. L'option naturaliste
Enfin, irréductible à tous ces courants et cherchant parfois à en concilier les enseignements, l'important ouvrage de Franck Lloyd Wright, The Disappearing City, dont la première version date de 1932, est au principe d'un urbanisme « naturaliste », dont l'originalité est d'être fondamentalement anti-urbain : telle qu'elle s'exprime dans le projet de la « Broadacre City », cette pensée d'une « cité naturelle de la liberté dans l'espace et du réflexe humain » qui doit être aussi « optimiste, non politique, non urbaine, campagnarde » conduit à dissoudre la ville dans la nature, à référer les unités d'habitation à une fonctionnalité moderne, et la circulation à l'usage de l'automobile et de l'avion.
4. Les champs d'application de l’urbanisme
4.1. Création, restructuration, extension
L'urbanisme est directement impliqué dans trois cas de figure, affrontés de longue date par l'art urbain :
– la création de villes nouvelles, qu'il s'agisse de villes industrielles (Nowa Huta en Pologne, Mourens dans les Pyrénées-Atlantiques), de nouvelles capitales (Brasília ou Yamoussoukro), de créations destinées à décongestionner les grandes villes (cités-jardins de Howard, villes nouvelles de la région parisienne) ou de cités scientifiques (Akademgorodok en Sibérie). La reconstruction consécutive à une guerre ou à une catastrophe naturelle entre parfois dans ce cas de figure, qu'elle vise à restituer à la ville sa morphologie ancienne (Saint-Malo sous la responsabilité d'Arretche) ou obéisse à un plan nouveau, soit sur un site différent (Agadir), soit sur le même site (Maubeuge) ;
– la restructuration d'ensemble de la ville, telle la recomposition de Paris par Haussmann, ou le projet de rééquilibrage de l'agglomération lyonnaise baptisé « Lyon 2010 » ;
– l'extension planifiée des villes existantes, illustrée notamment en France par la politique de construction des grands ensembles après la Seconde Guerre mondiale.
4.2. Rénovation et réhabilitation
À l'échelle du quartier, les problèmes d'inadaptation aux conditions de la vie moderne – exiguïté et inconfort des logements, insuffisante occupation du sol, inadéquation de la voirie à l'usage de l'automobile, etc. – motivent l'action de l'urbanisme, qui peut choisir des solutions différentes.
La rénovation, radicale sinon brutale, consiste en une démolition du quartier, souvent pour cause d'insalubrité, et en constructions nouvelles. Très coûteuse, impliquant un usage important de la procédure d'expropriation, objet d'opérations spéculatives, cette méthode provoque également le départ, pour des raisons financières, de l'ancienne population, et entraîne par définition une modification de la typologie des bâtiments et de la morphologie des quartiers.
La réhabilitation adapte le domaine bâti aux exigences du confort moderne en préservant la structure. Toutefois, lorsque la pression foncière est forte, ce qui est le cas notamment dans les centres-villes, cette solution conduit également les ménages modestes à quitter les lieux. Parfois, les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de mener une politique active de réhabilitation des habitats anciens qui, par une modération de l'évolution des prix fonciers et immobiliers, assure le maintien sur place de ses occupants.
Il reste que l'urbanisme est impuissant à régler le problème de l'accroissement considérable de certaines mégapoles, telle la ville de Mexico, « capitale qui avale le Mexique ». C'est à la condition que la ville devienne l'affaire des citadins eux-mêmes, qui sont aussi citoyens, que chaque habitant pourra se voir reconnaître un véritable droit de cité.