architecture
Art de construire les bâtiments.
BEAUX-ARTS
L'architecture correspond à l’art de bâtir. C’est un art savant et complexe dont une des fonctions majeures est de donner des repères spatiaux et symboliques, qui varient d'une civilisation à l'autre. Reflet d'une époque, d'une culture, d'une société, l’architecture modèle les hommes et agit sur leur mode de vie : chacun, en effet, y est perpétuellement confronté.
On considère parfois que l'architecture intègre tous les autres arts, par le fait qu’elle concerne à la fois le champ pictural – les façades sont des plans à organiser selon les ouvertures, les ornementations, les proportions –, le champ sculptural – les bâtiments sont des volumes et des masses à équilibrer, à contraster, à rythmer – et le champ de l'espace interne construit, c'est-à-dire l'espace délimité par des murs et un toit. De fait, l'architecte est le maître d'œuvre, sinon d'un art total, du moins d'un art synthétique par excellence.
1. Une ou des définitions de l'architecture ?
La grande diversité des définitions de l'architecture – données depuis des siècles par les architectes eux-mêmes – reflète la difficulté de cerner cet art multiple : comment trouver un dénominateur commun à tout ce qui est construit ?
Au ier s. avant J.-C., l'architecte romain Vitruve est le premier à définir l'architecture, par ses finalités, qu'il tient pour être la solidité, l'utilité et l'élégance. Cette définition, si elle n'épuise pas le sujet, prend en compte la complexité de l'architecture, qui doit embrasser à la fois des aspects techniques (fermeté, sécurité de la construction), fonctionnels (destination, réponse à un programme) et esthétiques (harmonie, équilibre, beauté). Selon les civilisations, les époques, les courants stylistiques ou simplement la fantaisie des architectes, l'un ou l'autre de ces aspects se trouvera privilégié.
Plus récemment, la définition donnée par l’architecte Le Corbusier au début des années 1920 – « l'architecture est le jeu savant, correct et magnifique, des volumes sous la lumière » – reste tout aussi fragmentaire dans le sens où elle n'exclut pas la conception, avancée par le même architecte, de l'immeuble comme « machine à habiter ». C’est entre ces différentes approches que se situent sans doute, au moins dans la civilisation occidentale moderne, les dilemmes de l'art de bâtir.
De fait, la finalité de tout édifice est la réalisation d'un lieu qui isole ses occupants (hommes et/ou biens matériels, divinités) tout en ménageant des échanges (locomoteurs, thermiques, optiques) avec le milieu extérieur. Le type de l'édifice (parti, matériaux, structure, éventuel décor) est conditionné par les ressources techniques de chaque civilisation (mises en relation avec les conditions physiques du lieu) et par le programme (destination) qui lui est assigné, lequel inclut non seulement des données rationnelles, mais aussi les valeurs symboliques que lui confère la vision spirituelle et cosmique des hommes : ainsi, l'interaction du mythe et de la matière conduit à des solutions qui échappent parfois au raisonnement analytique. De ces valeurs mythiques ne subsistent guère en Occident, depuis l'époque classique, que celles de beauté ou d'ostentation, mais bien d'autres sont décelables chez les peuples, anciens ou actuels, de cultures dites prélogiques.
Pour en savoir plus, voir l'article architecture : styles et courants.
2. Le rôle de l’architecte
L'architecte est la personne qui établit les plans d'un bâtiment et en surveille la construction. Sa tâche comprend la création du projet, l'établissement des devis descriptifs et des plans d'exécution détaillés. Il lui revient de vérifier et de régler les mémoires des entrepreneurs, et de veiller à ce que ceux-ci, chargés de l'exécution, respectent les prescriptions qu'il a données ainsi que les réglementations législatives.
Au Moyen Âge, l'architecte est un maître d'œuvre. Au xiie s., il travaille encore de ses mains parmi les ouvriers. C'est au cours du siècle suivant que le maître d'œuvre prend conscience de sa valeur et que, son état se modifiant, il cesse de travailler de ses mains. La plupart sont restés anonymes. Cependant, les archives et des inscriptions gravées dans la pierre des cathédrales ont transmis les noms de quelques-uns de ces grands bâtisseurs. Les noms des architectes commencent à être connus dans l'Italie de la Renaissance, aux xve et xvie s.
Par leur personnalité, par leurs recherches et leurs écrits, certains architectes ont marqué l'histoire de l'architecture d'une empreinte durable. On s'est référé, pendant des siècles, aux principes de l'Antiquité grecque consignés par Vitruve. Les recherches de Brunelleschi et d'Alberti ont marqué la Renaissance. Les traités de Palladio et de Vignole, inspirés des principes de l'Antiquité gréco-romaine, ont orienté l'architecture jusqu'à la fin du xixe s. L'obstination de quelques novateurs de génie, tels que Van de Velde, Mies van der Rohe, Le Corbusier, Neutra, Wright, Gropius, Niemeyer, a réussi à vaincre les usages traditionnels et à faire naître l'architecture moderne.
L'idée de l'architecte professionnel, ayant une formation et des diplômes, ne se fait jour qu'au xixe s. En 1819, à Paris, s'ouvrent des cours d'architecture à l'École des beaux-arts. En 1847 commence à se tenir un cours du soir à l'Architectural Association de Londres. Puis des cours d'architecture s'ouvrent au Massachusetts Institute of Technology, en 1868, et à l'université de l'Illinois, en 1873. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, la plupart des architectes sont formés « sur le tas » dans des agences d'architectes, et les gouvernements sont lents à définir des diplômes d'État (État de l'Illinois aux États-Unis en 1897, Royaume-Uni en 1931, etc.).
3. Le lien étroit entre l'architecture et la société
3.1. Expression d'un pouvoir politique
L'architecture, art complexe aux déterminations multiples, est tributaire de nombreux composants du champ social, sur lesquels elle agit en retour.
De tout temps, l'architecture a permis d'exprimer un pouvoir politique, depuis les imposants palais de l'Égypte antique, qui marquent la puissance du pharaon, jusqu'au fastueux château de Versailles, qui assoit celle du Roi-Soleil. Elle peut aussi faire référence à un certain type de gouvernement : le style néoclassique du Capitole, à Washington, construit au xixe s., renvoie à la démocratie de l'Antiquité, tandis que son gigantisme impose la grandeur et la force des États fédérés ; le style néogothique du palais du Parlement de Londres, commencé en 1840, est un rappel de la permanence de la monarchie dans le système parlementaire britannique ; de la même façon, en France, le style troubadour du xixe s. contribue à légitimer tant la Restauration que le Second Empire en les insérant dans une artificielle continuité historique.
3.2. Expression d'une société
Les conditions économiques et sociales agissent également inévitablement sur l'architecture. Ainsi, la Florence du xve s. traduit la montée d'une nouvelle classe, celle des banquiers et des marchands issus des grandes familles patriciennes : c'est la période de la construction de grands palais (palais Médicis, palais Strozzi, etc.). Au xvie s., dans l'arrière-pays vénitien, des terres jusqu'alors impropres à l'agriculture sont mises en valeur : l'aristocratie vénitienne et vicentine s'y fait alors bâtir les célèbres villas palladiennes (construites par l'architecte Palladio, ou se rattachant à son style) ; leur parfaite ordonnance jouant sur la symétrie et leur gracieuse théâtralité se prêtent à de brillantes réceptions. De même, la florissante aristocratie terrienne dispersée dans toute l'Angleterre des xviie et xviiie s. va faire construire de nombreux manoirs à l'architecture élégante. Au début du xixe s., aux États-Unis, les planteurs du Sud manifestent leur récente richesse en élevant sur leurs propriétés des demeures à la fois raffinées et cossues. Toujours aux États-Unis, le gratte-ciel, qui multiplie l'espace à partir d'une parcelle de sol réduite, joue comme symbole de la rentabilité de l'investissement ; il est également emblématique, par l'augmentation constante de sa hauteur, de la concurrence effrénée entre les entreprises. L'architecture de style Art nouveau des hôtels particuliers construits autour de 1900, par Victor Horta en Belgique et par Hector Guimard en France, exprime à la fois l'hégémonie économique de la bourgeoisie de la fin du xixe et du début du xxe s., et son désir de trouver une esthétique qui lui soit propre.
Si l'architecture témoigne fréquemment des différences entre classes sociales, l'organisation de celles-ci est parfois à la base même du type d'habitat, voire d'urbanisation. Ainsi, au xixe s., dans le nord de la France, les logements ouvriers s'organisent en corons, qui deviennent caractéristiques des régions minières ; le plan du centre de Noisiel, en Seine-et-Marne, ville qui s'est développée autour de la chocolaterie Menier, constitue une sorte de schéma des divisions sociales de cette cité.
Enfin, religion et architecture ne sont pas sans entretenir des liens étroits. Le temple, l'église, le lieu sacré sont dès les origines le monument par excellence de la communauté dans de nombreuses civilisations. Le rapport de l'homme au sacré s'est fait très tôt par la délimitation d'un espace : le sacré s'opposant au profane (terme dont l'étymologie signifie « devant le temple »). Il faut attendre le début de la laïcisation de la société occidentale, qui intervient aux xve et xvie s., pour que l'église soit supplantée par d'autres monuments, comme le palais.
3.3. La détermination d'un environnement
Les matériaux, leur disponibilité dans une région et l'évolution des connaissances techniques ont à l'évidence une influence déterminante sur l'architecture. Si le nord de la France construit en brique, faute de pierre, la Scandinavie, riche en forêts, utilise largement le bois. Des audaces plastiques sont rendues possibles par la mise au point du béton armé au xxe s. ; néanmoins, on note généralement un temps de latence entre la découverte d'une nouvelle technique et la modification des formes de l'architecture : à Saqqarah, lieu d’érection de la première pyramide égyptienne, certaines constructions en pierre ne sont encore que la transcription dans la pierre des formes d'une construction de roseau et d'argile. Le temple grec dorique archaïque traduit lui aussi en pierre un assemblage d'éléments en bois. L'architecture du xixe s. est une alternance de rejet et de promotion de nouvelles techniques, qui ne seront réellement acceptées et mises en valeur qu'au xxe s. C'est ainsi que l'on voit la fonte, matériau contemporain, coulée en colonnes dans les églises néogothiques du xixe s. De la même manière, Auguste Perret appliquera au béton armé un vocabulaire stylistique traditionnel. L'architecture n'a jamais connu, au cours de son histoire, de détermination mécaniste par la technique.
4. L'étude et l’interprétation de l'architecture
C'est seulement lorsque l'hégémonie des styles de l'Antiquité classique a commencé à être remise en question, à la fin du xviiie s., que les architectes, les historiens et les théoriciens se sont ouverts à la totalité de l'histoire de l’art architectural. Ils se sont alors attachés à une observation minutieuse des styles architecturaux en soulignant particulièrement les différences de détails d'un pays à l'autre.
À la fin du xixe s., un groupe d'historiens et de théoriciens de langue allemande, dont notamment Jacob Burckhardt, Sigfried Giedion, Nikolaus Pevsner et Heinrich Wölfflin, ont interprété l'architecture comme l'expression de l'« esprit du temps » (Zeitgeist). Cette approche déterministe de l'architecture a été appliquée à l'architecture moderne par Nikolaus Pevsner dans Sources de l'architecture moderne et du design (1936) et par Sigfried Giedion dans Espace, Temps, Architecture (1942), deux ouvrages fondamentaux de l'historiographie contemporaine. Ces historiens retiennent avant tout de chaque période ses innovations ; l'architecture, par l'utilisation de nouvelles techniques et structures, se fait l'expression de l'épopée du progrès, de la modernité. C'est une histoire instrumentale, quasi militante de l'architecture, mise au service d'une sorte de vision héroïque de l'architecture moderne. Mais elle laisse dans l'ombre tout ce qui n'entre pas dans ce repérage des innovations, et escamote contradictions et piétinements.
Cette façon d'interpréter l'architecture est radicalement remise en question à partir de la fin du xxe s. L'étude historique actuelle cherche à montrer les éléments de continuité dans la production architecturale, et non plus les seuls éléments de rupture que la vision moderniste (en termes de Zeitgeist) privilégiait. Il s'agit aujourd'hui de retrouver le fil d'une tradition, et non de recenser systématiquement les innovations.
L'interprétation de l'architecture n'est donc pas neutre ; elle renvoie à des présupposés idéologiques, qui recouvrent soit une histoire conçue comme une suite de ruptures, ce qui sous-entend qu'il est possible de faire table rase du passé et qu'une révolution est possible, soit une histoire fondée sur l'idée d'une continuité et d'une tradition, au sens le plus complexe et le plus ouvert du terme.