principe

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin principium, « commencement, origine », de princeps, « qui occupe la première place ». En allemand : Prinzip, « principe ».


Le « principe », ou arkhè, est ce par quoi commence une science dans le style aristotélicien. Distinct de la loi comme la cause première l'est de la cause seconde, chez Descartes, l'usage des principes dans la constitution d'un système de pensée, qu'il relève de la philosophie ou d'une science quelle qu'elle soit, pose le problème suivant : soit un principe « régule » le système des lois, soit il le détermine. Dans le premier cas, le principe est hypothèse, organon neutre destiné à donner un sens non réaliste à la description des phénomènes physiques. Dans le second cas, la transcendance s'insère dans le jugement. C'est, selon Kant, lorsque la raison fait usage de principes déterminants qu'elle entre en conflit avec elle-même. Par sa nature, le principe est donc toujours tendu entre la synthèse des lois et la production de leurs conditions de possibilité.

Philosophie Générale

Commencement de l'être d'une chose, en tant qu'il conditionne aussi la possibilité d'une connaissance adéquate de la chose.

Le principe est le terme que l'on saisit en premier. Il est donc immédiatement conçu en rapport à une série (un ensemble, une collection) qui s'ordonne par rapport à lui selon deux modalités : le principe est à la fois ce qui est le plus vieux, le plus ancien ; et ce qui est le plus, éminent, le plus important. Le principe est donc ce qui commence comme ce qui commande. Ainsi Platon souligne dans le Phèdre que « tout doit naître d'un principe », mais qu'« un principe ne peut prendre naissance »(1). Le principe que définit Platon est un commencement temporel lui-même non commencé, une condition inconditionnée. Dans cette perspective, le principe s'assimile à la cause, comme origine d'une chose ou d'une série de choses. Dès lors il ne s'agit plus seulement de commencement de l'être, mais aussi de fondement de la connaissance : « sous le terme de “sagesse” (sophia), chacun entend communément ce qui traite des premières causes et des [premiers] principes »(2). Le principe est donc ce par quoi tout le reste est connu, parce que c'est aussi ce par quoi tout le reste est produit, de sorte que le principe enveloppe potentiellement la série des principiés. Mais si le principe est ce par quoi l'on connaît la chose, par quoi connaît-on le principe lui-même ? Il semble que, chaque fois que la connaissance vise le principe par excellence, elle le disperse dans les régions de son opération : ainsi on peut appréhender les divers sens du principe (Aristote en donne sept(3)), mais c'est une connaissance qui vise la relation du principe au principié, et pas le principe lui-même. La connaissance peut donc être « depuis » les principes, mais pas « des » principes, sauf à penser une connaissance immédiate et parfaite, une pure saisie intellective (« c'est l'intuition (noûs) qui doit connaître les principes [...] [parce que] le principe de la démonstration n'est pas lui-même une démonstration, ni par suite une science de science »(4)), qui saisisse le principe au point exact de conversion de la source de la connaissance en source de l'être.

Il nous faut alors distinguer entre commencer dans l'être et commencer dans la connaissance, parce que nous ne sommes pas susceptibles de la science divine : ce qui est premier par soi n'est pas premier pour nous, et l'ordre des raisons n'est pas celui des essences : il nous faut alors déterminer nous-mêmes un principe comme commencement concret de notre pensée. C'est le rôle du cogito chez Descartes(5), qui est principe de la pensée sous l'ombre du principe divin (lequel garantira l'être des objets de la pensée). Deux principes s'articulent donc toujours dans deux domaines hétérogènes : mais, pris comme commencement pour nous, le principe se trouve là où nous entrons dans la connaissance. Un tel principe tient sa puissance de son caractère inaugural (en choisissant de chercher un principe, Descartes rompt avec les principes préjudiciels dont nous sommes nourris « pour ce que nous avons été enfants avant que d'être hommes »(6), et passe de l'ordre des principes reçus aux principes construits).

Dès lors le principe semble désigner un événement de la connaissance, qui en fonde le caractère ordonné : ainsi Kant, dans l'Analytique des principes(7), définit le principe comme fondement de toute légalité formelle des jugements : ces derniers sont alors réputés ne pouvoir saisir que des grandeurs extensives (axiomes de l'intuition) ou intensives (anticipations de la perception) ordonnées dans le temps (analogies de l'expérience) et prises comme contingentes (postulats de la pensée empirique en général). Mais si, de ces principes pris comme lois de l'entendement, on cherche à tirer une connaissance des commencements de l'être, on tombe dans les antinomies(8) : la question du principe réel de l'être est une question insoluble parce que la série réelle dont on cherche alors le principe n'est jamais donnée totalement. Les quatre antinomies, qui portent sur quatre formes du principe de l'être (le commencement du monde, l'existence d'éléments simples, l'existence d'une causalité libre, l'existence d'une cause inconditionnée hors du monde), reposent sur l'argument dialectique selon lequel le conditionné renferme la série des conditions. Or si le conditionné propose une régression vers la condition, prise comme réelle, cette régression n'est qu'en puissance : la totalisation de la série est théoriquement possible, et les antinomies possèdent donc des solutions réelles, mais cette réponse qui saisirait le principe absolu nous échappe. Nous ne pouvons qu'y substituer la décision de la volonté, c'est-à-dire cette constitution du sujet lui-même en principe, qui se dessinait déjà chez Descartes : le seul véritable principe (par où la solution des antinomies, et en particulier de la troisième, dans la 9e section, rejoint la préface de la Critique de la Raison pratique(9)), c'est la décision de considérer la liberté comme réelle. Dans l'indéfinité de la série, qui ne connaît que des relations d'ordre locales (décrites par le système des principes de l'entendement), quelque chose intervient comme une rupture et, enfin, une position de principe. Ce quelque chose est la liberté. Ce principe est réel, mais indéductible : par où l'on retrouve, si l'on peut dire, sa disparition. On sait cependant désormais qu'il ne nous échappe pas parce qu'il nous excède, mais parce qu'il nous précède.

Laurent Gerbier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Phèdre, 245d, tr. Cl. Moreschini et P. Vicaire, Les Belles Lettres, Paris, 1995.
  • 2 ↑ Aristote, Métaphysique, A, 2, 982b1-5, tr. J. Tricot, Vrin, Paris, 1986, p. 15.
  • 3 ↑ Aristote, Métaphysique, 1, tr. J. Tricot, p. 245-247.
  • 4 ↑ Aristote, Secondes Analytiques, II, 19, 100b10-13, tr. J. Tricot, Vrin, Paris, 1995, p. 247.
  • 5 ↑ Descartes, R., Discours de la méthode, III, édition Adam & Tannery, Vrin-CNRS, Paris, 1996, vol. VI.
  • 6 ↑ Descartes, R., ibid., II, p. 13.
  • 7 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, « Analytique des principes », ch. II, 3e section, tr. Barni & Archambault, Garnier-Flammarion, Paris, 1987, p. 203-219.
  • 8 ↑ Kant, E., ibid., « Antinomie de la raison pure », 2e section, p. 369-397.
  • 9 ↑ Kant, E., ibid., 9e section, p. 428-457 ; Critique de la raison pratique, « préface », tr. F. Picavet (1943), PUF, Paris, 1989, p. 1.

→ archétype, axiome, cause, fondement, loi, origine, raison

Logique, Philosophie Cognitive

En logique et en mathématiques, proposition admise sans démonstration, dont on déduit des théorèmes. Le statut épistémologique de la notion de principe d'une théorie déductive a grandement changé de l'Antiquité à nos jours. Aristote, dans les Seconds Analytiques, caractérise les principes comme des vérités évidentes, immédiates, premières et causes de ce dont elles sont principes. Euclide, dans ses Éléments, distingue trois sortes de principes, les définitions, les notions communes, ou axiomes, les postulats. Les axiomes sont des propositions dont la vérité est évidente ; les postulats, au nombre de cinq, sont des « demandes » ou propositions que le mathématicien demande qu'on lui accorde pour pouvoir développer la géométrie. Ne pas tenter de démontrer ces postulats ni les considérer comme évidents est l'indice d'une difficulté intrinsèque qu'Euclide légua à la postérité.

Le postulat le plus célèbre est le cinquième ; son énoncé correspond à la proposition suivant laquelle, par un point extérieur à une droite, il passe une et une seule parallèle à cette droite. Après que des mathématiciens eurent tenté pendant plus de deux millénaires de démontrer ce postulat, on s'aperçut qu'il était indépendant de l'ensemble des autres axiomes de la théorie : J. Bólyai et N. Lobatchevsky inventèrent ainsi les géométries non euclidiennes qui admettent parmi leurs axiomes une négation du postulat des parallèles. D'une façon générale, au xixe s., l'attention des mathématiciens se porte à nouveau sur la structure déductive des théories, comme au temps d'Aristote et d'Euclide. Mais la formalisation plus poussée des concepts et des méthodes mathématiques ainsi que leur indépendance déclarée par rapport à la métaphysique et à la philosophie conduisent à formuler des théories axiomatiques abstraites, dans lesquelles il n'y a plus lieu de faire de distinction entre axiomes et postulats, tous les principes ayant le statut des postulats euclidiens. Nos axiomes d'aujourd'hui ne sont plus considérés en effet comme des vérités évidentes, immédiatement accessibles à l'intellect, mais simplement comme des principes premiers, c'est-à-dire des propositions admises au départ pour dériver d'autres propositions, appelées alors théorèmes.

Hourya Sinaceur

Notes bibliographiques

  • Aristote, Seconds Analytiques, Vrin, Paris, 1970.
  • Euclide, Éléments, éd. du CNRS, Paris, 1978.

→ axiomatique, déduction, indépendance, théorème

Physique

Énoncé de caractère très général, servant de point de départ à une théorie, et dont la validité n'est acceptée que par l'accord entre l'expérience et toutes les conséquences que l'on peut tirer du principe sous la forme de lois et de théorèmes.

On parle ainsi des principes de la thermodynamique, du principe variationnel en mécanique comme en optique, etc. Certains principes peuvent intervenir dans toutes les branches de la science ; par exemple, le principe de simplicité ou le principe de continuité, qui a joué un rôle déterminant dans la constitution de la science classique, en particulier avec Leibniz.

Michel Blay

Psychanalyse

Modes de gestion de l'économie psychique, ainsi que leurs relations avec les sensations de plaisir-déplaisir. Les uns, principes d'inertie puis de plaisir, décrivent la tendance du psychisme à se débarrasser de toute excitation et à obtenir la satisfaction selon les voies courtes du processus primaire : hallucinations, rêves, symptômes, etc. Les autres, principes de constance puis de réalité, signifient la tolérance d'une certaine quantité d'excitation – nécessaire à la survie –, du délai et du détour. Ils permettent de « transformer le monde externe, de sorte qu'apparaisse la perception réelle de l'objet de satisfaction »(1), selon le processus secondaire.

Dans la lignée des travaux de Fechner, Freud a élaboré ses principes en s'inspirant de la thermodynamique. Outre la satisfaction hallucinatoire, deux phénomènes l'ont guidé vers les principes d'inertie puis de plaisir : la neurophysiologie de l'arc réflexe et la satisfaction du coït. Les principes de constance puis de réalité constituent une adaptation secondaire, nécessaire à la survie autonome, mais la tendance à désinvestir les représentations déplaisantes persiste : refoulement, déni, rejet, etc.

L'antagonisme entre, d'un côté, une homéostasie continue, conforme à l'autoconservation et à la pulsion de vie, et, de l'autre, la discontinuité d'une décharge conforme à la pulsion sexuelle inéducable, puis à la pulsion de mort, structure la dynamique freudienne(2).

Liant la confrontation à la réalité et le désir, Freud brise l'opposition classique entre sujet et objet, et préfigure la pensée de Merleau-Ponty étudiant la « fiction » de l'hallucination psychotique, qui « ne peut valoir comme réalité que parce que la réalité elle-même est atteinte chez le sujet normal dans une opération analogue »(3).

Michèle Porte et Benoît Auclerc

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Die Traumdeutung, 1900, G.W. II-III, « L'interprétation des rêves », chap. VII, PUF, Paris, 1999, p. 509.
  • 2 ↑ Freud, S., Jenseits des Lustprinzips, 1920, G.W. XIII, « Au-delà du principe de plaisir », O.C.F.P. XV, chap. III, PUF, Paris, 1996, p. 293.
  • 3 ↑ Merleau-Ponty, M., Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, 1945, p. 394.

→ déni, économie, Éros et Thanatos, liaison, plaisir, processus primaire et secondaire, pulsion, refoulement, rejet




principe espérance

Philosophie Contemporaine

Conformément au fondement à la fois ontologique et anthropologique de l'« utopie concrète », le « principe Espérance » de E. Bloch reprend à son compte la conception aristotélicienne du principe, la conception kantienne, celle de F. Hegel et même la doctrine des principes de F.WJ. Schelling. De la Physique d'Aristote il retient la notion d'un principe dynamique animant la matière, dont il fait le fondement de la « possibilité réelle ». « Aristote a le premier conçu la possibilité sur un mode réaliste, comme appartenant à l'ordre du monde »(1). Bloch oppose à la « droite » néo-aristotélicienne, représentée par la scolastique chrétienne, les « aristotéliciens de gauche », c'est-à-dire les néo-aristotéliciens arabes du Moyen Âge, Avicenne et Averroës, mais aussi G. Bruno, qui tend à substituer les potentialités d'une matière active à la puissance divine ; ils ont selon lui poussé « l'être selon la possibilité » jusqu'à l'idée d'une « matrice contenant en puissance les formes et les figures qu'elle engendre [...] et les portant au jour en vertu de sa propre puissance ». Bloch vise ainsi à subvenir l'ontothéologie d'Aristote dans le sens d'un matérialisme qui ne considère pas la matière comme une masse morte mais comme un « sujet naturel »(2). C'est ce qu'Avicenne aurait découvert. Car, si chez Aristote la matière est bien le fondement de toutes choses, elle est « un simple être en puissance, une substance sans détermination recevant passivement la forme qui lui est imprimée »(3). De Hegel, Bloch reprend le « principe de la liberté » qui se réalise dans l'histoire(4). Mais il en fait dès lors non plus la réalisation de l'esprit qui reconnaît la réalité comme son « pour soi », mais une véritable dialectique entre possibilité matérielle et projet humain. Son recours à la doctrine des principes de Schelling conforte cette conception d'une « coproductivité naturelle ». L'enjeu est en l'occurrence d'hériter de la philosophie de l'identité(5) en concevant l'unité du savoir comme le résultat d'une dialectique entre le sujet et l'objet et non comme fondée dans leur indistinction originaire. Il s'agit de fonder un « co-savoir » (Mitwissen)(6), qui permette un « nouveau réalisme » dépassant l'opposition kantienne entre principes constitutifs et principes régulateurs (« regarder toute liaison dans le monde comme si elle dérivait d'une cause nécessaire absolument suffisante(7) »). Ce faisant, la volonté de système qu'exprime le « comme si » kantien revêt une importance cruciale pour le « principe Espérance », car, fondant le domaine de la morale et de la foi, le « comme si » n'exprime rien moins que l'espérance de la raison. Bloch s'efforce d'ancrer le pouvoir d'orienter propre aux principes de la raison dans la connaissance des tendances du monde lui-même(8).

Gérard Raulet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Bloch, E., Das Prinzip Hoffnung (le Principe espérance), Francfort, 1959, t. i, p. 271.
  • 2 ↑ Bloch, E., « Avicenna und die Aristotelische Linke », in Das Materialismusproblem, seine Geschichte und Substanz, Francfort, 1972, p. 500.
  • 3 ↑ Bloch, E., Das Materialismusproblem, op. cit., p. 493.
  • 4 ↑ Hegel, F., Die Vernunft in der Geschichte, éd. Hoofsmeister, Hambourg, Meiner, 1955, trad. la Raison dans l'histoire, Plon, Paris, 1965.
  • 5 ↑ Schelling, F.W.J., « Darstellung meines Systems der Philosophie » (« Exposition de mon système philosophique », 1801), in Werke, éd. K. F. A. Schelling, Stuttgart, Cotta 1856-1861, t. iv, pp. 105-212.
  • 6 ↑ Bloch, E., Das Materialismusproblem, op. cit., p. 216.
  • 7 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, éd. Weischedel, t. ii, p. 547, PUF, Paris, 1944, p. 440.
  • 8 ↑ Bloch, E., Experimentum mundi, Francfort, 1975, p. 180.

→ dialectique, identité, matérialisme, matière, ontologie, possibilité, substance, utopie




principe vital

Philosophie des Sciences

Réalité énergétique distincte de la matière d'où émaneraient selon les vitalistes tous les phénomènes de la vie.

P.J. Barthez, en employant l'expression de « principe vital », cherche à isoler des fonctions et des processus propres à la vie par rapport aux autres mécanismes physico-chimiques. Il s'oppose donc aussi bien aux conceptions mécanistes qu'aux conceptions animistes. Ainsi il écrit : « Je prouverai que le principe vital doit être conçu par des idées distinctes de celles qu'on a du corps et de l'âme. »(1). Le principe vital est la cause qui produit les phénomènes de vie et c'est dans l'observation de ces phénomènes, donc dans ses effets, que l'on peut le caractériser. Puisqu'il est un nom posé sur un phénomène dont la nature est en définitive inconnue, le principe vital, de même le concept de « force vitale » formulé par X. Bichat(2), semble bien être une « notion purement verbale »(3), une qualité occulte dont on ne mesure que les effets.

Elsa Rimboux

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Barthez, P.-J., Nouveaux éléments de la science de l'homme, J. Martel, Montpellier, 1778.
  • 2 ↑ Bichat, X., Recherches physiologiques sur la vie et la mort, Flammarion, Paris, 1994.
  • 3 ↑ Canguilhem, G., La connaissance de la vie, III, « Aspects du vitalisme », Vrin, Paris, 1989, p. 91.

→ vitalisme




principe de moindre action

Philosophie Générale

→ action




principe de raison suffisante

Philosophie Générale

→ raison