action

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin actio, de agere, agir.


Tendue entre la description simple du processus par lequel un agent effectue ou déploie ses dispositions internes, et l'attribution d'un critère moral aux conduites proprement humaines, l'action ne se constitue comme concept autonome que grâce au travail notionnel accompli par les philosophes des Lumières. Certes, le contexte théologique de la Réforme a contribué à poser, puis à nier, la question du salut par les œuvres. Certes, les auteurs renaissants ont donné à l'action humaine un cadre conceptuel inédit, délivrant la théorie morale de tout rapport nécessaire à une phraséologie du destin ou de la fatalité. Mais c'est à la suite des Lumières, dans les textes kantiens, qu'ont pu être dégagées les conditions d'une lecture purement morale de l'action, tandis que les différentes occurrences d'un principe physique de moindre action ont contribué à renouveler l'idée de nature en un sens finaliste qui ne sera pas dénoncé par la Critique de la faculté de juger de Kant.

Philosophie Générale

D'une façon générale, opération d'un agent matériel ou spirituel ; mais il est essentiel de comprendre l'action dans la spécificité de sa manifestation humaine.

L'action, pour être réelle et non simplement apparente, doit être comprise comme une réalisation du sujet auquel on l'attribue : c'est lui qui agit en propre et génère ainsi les déterminations qui le manifestent dans le monde. Selon la formule de Leibniz, actiones sunt suppositorum, les actions supposent toujours un sujet, ce qui a pour corrélat immédiat l'affirmation que toute substance agit et contient la raison de ses actions. Ainsi Leibniz conçoit-il que les vraies substances, celles que Dieu fait passer à l'existence, produisent de leur propre fond toutes leurs perceptions et toutes leurs actions : « [...] puisque Jules César deviendra dictateur perpétuel et maître de la république, [...] cette action est comprise dans sa notion, car nous supposons que c'est la nature d'une telle notion parfaite d'un sujet de tout comprendre, afin que le prédicat y soit enfermé »(1). La différence entre les substances brutes (matérielles) et les esprits tiendra uniquement au fait que ceux-ci sont conscients de leurs déterminations et, en quelque sorte, assument leurs actions.

Le problème vient de ce que, dans cette perspective, la réalisation d'une action n'est pas foncièrement différente de la production des modes d'une substance. Or, telle que nous la vivons, l'action n'est pas simplement un mouvement, elle s'organise toujours autour d'une intention. Il en résulte qu'elle a pour condition fondamentale la liberté, qui permet à la conscience humaine de s'écarter tout à la fois du monde et de son propre passé, pour se saisir comme projet : « [...] toute action, si insignifiante soit-elle, n'est pas le simple effet de l'état psychique antérieur et ne ressortit pas à un déterminisme linéaire, mais [...] elle s'intègre, au contraire, comme une structure secondaire dans des structures globales et, finalement, dans la totalité que je suis »(2).

Aussi l'action échappe-t-elle au régime de la série logique intégralement déterminante retenu par Leibniz, qui ne voit dans le temps que l'ordre des possibilités inconsistantes. Cette lecture peut bien être celle que nous produisons rétrospectivement de notre histoire, des actions que nous avons réalisées, mais elle est en décalage par rapport à la temporalité de l'action en train de se faire, qui est continue et ne se saisit pas comme un enchaînement logique : « La durée où nous nous regardons agir, et où il est utile que nous nous regardions, est une durée dont les éléments se dissocient et se juxtaposent ; mais la durée où nous agissons est une durée où nos états se fondent les uns dans les autres »(3). Cette description échappe tout à la fois au déterminisme lié à l'inclusion de toutes les actions dans le sujet et à l'illusion de la nouveauté absolue. Le problème est qu'elle ne permet pas de caractériser concrètement l'action comme la production d'une liberté typiquement humaine. Ce n'est pas que Bergson ramène la liberté « à la spontanéité sensible » ; mais il doit considérer l'action comme la « synthèse de sentiments et d'idées », comme une affaire toute intérieure dont l'extériorisation doit encore être questionnée.

Il est donc nécessaire de comprendre finalement l'action comme une modalité spécifiquement humaine de l'insertion du sujet dans le monde. Par l'action, comme par le langage, l'homme se révèle au-delà de sa simple présence physique ou biologique – il prend sa part du monde qu'il change du même coup : « C'est par le verbe et l'acte que nous nous insérons dans le monde humain, et cette insertion est comme une seconde naissance dans laquelle nous confirmons et assumons le fait brut de notre apparition physique originelle »(4). Ce n'est donc pas seulement, comme l'établissait Leibniz, que chaque série d'actions constitue l'individualité de n'importe quelle substance, mais bien qu'à travers l'action, l'homme conquiert une individualité propre qui n'est pas donnée au départ : « La parole et l'action révèlent cette unique individualité. C'est par elle que les hommes se distinguent au lieu d'être simplement distincts ».

André Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Leibniz, G.W., Discours de métaphysique, art. 13, Vrin, Paris, 1993, p. 48.
  • 2 ↑ Sartre, J.-P., L'Être et le néant, Gallimard, Paris, 1991, p. 514.
  • 3 ↑ Bergson, H., Matière et mémoire, chap. IV, PUF, Paris, 1993, p. 207.
  • 4 ↑ Arendt, H., La Condition de l'homme moderne, Calmann-Lévy, Paris, 1983, chap. V, p. 233.

→ déterminisme, individu, liberté, sujet

Philosophie de la Renaissance

L'action devient un thème central dans la réflexion humaniste à partir de F. Pétrarque(1) au xive siècle et tout au long des xve et xvie siècles. Elle se caractérise par la mise en avant des capacités inventives et productrices de l'homme, notamment dans les domaines artistique et politique. G. Manetti(2), dans son De dignitate et excellentia hominis, fait l'éloge de l'architecte Ph. Brunelleschi pour avoir projeté et bâti la Coupole du dôme de Florence, exprimant remarquablement les possibilités propre à l'action humaine. Car les humanistes considèrent l'action surtout comme production, fabrication, transformation de la matière par l'alliance de la main et de l'intellect, comme le souligne, dans ses Carnets, Léonard de Vinci(3). L'homme actif est donc l'homo faber. Mais le terrain privilégié de l'action devient la vie politique : l'homme peut être le démiurge, à savoir l'artisan du monde politique et social de même que le démiurge platonicien l'est du monde naturel. Pour G. Manetti, De dignitate, le propre de l'homme est agere et intelligere, agir et comprendre, pour gouverner le monde terrestre, qui lui appartient. Ainsi l'action s'identifie-t-elle progressivement avec l'efficacité, voire la force, en particulier chez N. Machiavel, Le Prince (1513)(4) ou Les Discours (1513-1521)(5) : une action politique doit être évaluée par sa réussite et ses effets, non par sa qualité morale. Ce qui importe est « ce qu'on fait », « comment on vit » et non comment on devrait vivre ou être. L'action est ainsi vue comme une intervention dans le cours des choses ; on recherche les meilleures stratégies, à savoir les plus efficaces et les plus économiques, pour atteindre un but déterminé. C'est la rationalité propre au rapport entre les moyens et le fins qui caractérise alors l'action.

Fosca Mariani Zini

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Pétrarque, F., Opera, Bâle, 1581.
  • 2 ↑ Manetti, G., De dignitate et excellentia hominis, éd. E.R. Leonard, Padoue, 1975.
  • 3 ↑ Vinci, L. (de), Carnets, Paris, 1942.
  • 4 ↑ Machiavel, N., Opere, éd. C. Vivanti, Turin, 1997.
  • 5 ↑ Machiavel, N., Oeuvres, trad. C. Bec, Paris, 1996.
  • Voir aussi : Baron, H., In Search of florentin civic Humanism, Princeton, 1988.
  • Kristeller, P.O., Studies in Renaissance Thought and Letters, 1956-1985.
  • Rabil, A. jr. (éd.), Renaissance Humanism. Foundations, Form and Legacy, Philadelphie, 3 vol., 1988.
  • Trinkaus, Ch., The Scope of Renaissance Humanism, Ann Arbor, 1973.

→ active / contemplative (vie), bien, bonheur, cosmologie, éthique, humanisme, libre arbitre

Métaphysique, Philosophie de l'Esprit

Ce que fait quelqu'un pour réaliser une intention.

La question de savoir comment caractériser l'action humaine apparaît déjà clairement dans la réflexion d'Aristote sur le volontaire et l'involontaire(1).

On distingue ce qui nous arrive (comme être mouillé par la pluie) et ce que nous faisons (comme sortir nous promener). Mais tout ce que nous faisons (comme ronfler) n'est pas intentionnel. Si en levant le bras, Pierre heurte le lustre qui tombe sur la tête de Charles et le tue, Charles a tué Pierre : on pourra hésiter à dire qu'il s'agit d'une de ses actions. Tout dépend du genre de description qu'on croit devoir donner de l'action, comme l'ont montré des philosophes comme Anscombe(2) et Davidson(3). Une action peut-elle être expliquée par ses causes ou doit-elle être plutôt comprise en fonction de ses raisons ?

Pour traiter de tels problèmes, une philosophie de l'action entremêle des considérations métaphysiques (différence entre événement et action), épistémologiques (problème de la causalité et particulièrement de la causalité mentale) et morales (responsabilité, nature de la volonté).

Roger Pouivet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, VII.
  • 2 ↑ Anscombe, G.E.M., Intention, Blackwell, Londres, 1957.
  • 3 ↑ Davidson, D., Essays on Actions and Events, trad. Actions et événements, PUF, Paris, 1993.

→ causalité, intention, raison, volonté

→  « expliquer et comprendre »

Psychanalyse

→ acte




action communicationnelle


De l'allemand kommunikatives handeln, « agir communicationnel ».


Concept central chez Habermas, développé dans la Théorie de l'agir communicationnel(1).

Linguistique, Politique, Sociologie

Type d'activité orientée vers l'intercompréhension (verständigungsorientiertes Handeln), en opposition au type d'activité orientée vers le succès (erfolgsorientiertes Handeln). Cette distinction a remplacé, chez Habermas, l'opposition entre interaction et travail qu'il reprenait de Hegel(2). L'action communicationnelle possède une rationalité fondée sur des présupposés empruntés à la pragmatique universelle.

Pour Habermas, les normes doivent être le résultat de débats constants et argumentés, et dont les conditions mêmes d'exercice soient dégagées de toute contrainte. Ainsi, l'action communicationnelle est un type d'interaction s'inscrivant dans une éthique de la discussion et mue par un principe d'universalisation. Cette rationalité, présente dans les différents sous-systèmes sociaux comme dans les actes de langage les plus quotidiens, est censée garantir une stabilité et un mode de reproduction de la société fondés sur le consensus.

Alexandre Dupeyrix

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Habermas, J., Theorie des kommunikativen Handelns (1981), trad. Théorie de l'agir communicationnel, t. I et II, Fayard, Paris, 1987.
  • 2 ↑ Habermas, J., « Travail et interaction » (1967), in la Technique et la science comme « idéologie » (1968), Gallimard, Paris, 1973.

→ espace public, raison communicationnelle

→  « raison et communication »




principe de moindre action

Philosophie des Sciences

Forme intégrale des équations de la mécanique analytique.

La formulation du principe de moindre action, qui joue un rôle central dans l'expression de la mécanique classique, trouve son origine dans le débat qui oppose Descartes et Fermat à propos des lois de la réfraction. À cette occasion, Fermat, en s'appuyant sur sa méthode d'adégalisation, affirme que, lors de la réfraction, la lumière suit toujours la trajectoire qui minimise le temps du déplacement. Cette approche est reprise sous des formes diverses, entre autres par Leibniz, dans son mémoire de 1682, Unicum opticae, catoptricae et dioptricae principium, ainsi que par Jean Bernoulli, à l'occasion de son étude de la courbe brachystochrone, en 1696 – celle que décrit un point pesant pour descendre sans vitesse initiale d'un point A à un point B dans le temps le plus bref. Quelques années plus tard, Maupertuis (1698-1759) énonce effectivement le principe de moindre action dans un mémoire lu à l'Académie royale des sciences de Paris, le 15 avril 1744, et intitulé Accord de différentes lois de la nature qui avaient jusqu'ici parues incompatibles. Cependant, c'est Lagrange qui va en donner, indépendamment des enjeux métaphysiques, la formulation quasi définitive, sous la forme d'une simple loi d'extremum : « De là résulte donc ce théorème général que, dans le mouvement d'un système quelconque de corps animés par des forces mutuelles d'attraction, ou tendantes à des centres fixes, et proportionnelles à des fonctions quelconques de distances, les courbes décrites par les différents corps, et leurs vitesses, sont nécessairement telles que la somme des produits de chaque masse [m] par l'intégrale de la vitesse [u] multipliées par l'élément de la courbe [ds] est un maximum ou un minimum [mʃuds] pourvu que l'on regarde les premiers et les derniers points de chaque courbe comme donnés, en sorte que les variations des coordonnées répondantes à ces points soient nulles.(1) »

Un élargissement du principe de moindre action est introduit au début du xixe s. par Hamilton, qui transforme la notion d'action de telle sorte que le principe considéré est susceptible alors de s'appliquer à des systèmes dynamiques dont les liaisons peuvent dépendre du temps. Le principe de Hamilton permet de déterminer les mouvements ; celui de Maupertuis ne concernait que les trajectoires, la loi du temps étant alors fournie par l'intégrale première des forces vives.

Michel Blay

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Lagrange, L. (de), Mécanique analytique (1788), t. I.
  • Voir aussi : Actes de la journée Maupertuis, Vrin, Paris, 1975.
  • Dugas, R., Histoire de la mécanique, Éditions du Griffon, Neuchâtel, 1950.

→ adégalisation, force