utopie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Nom d'une île lointaine dans l'œuvre éponyme de Thomas More. Du grec ou, « non », et topos, « lieu ».
Politique
1. Récit d'un voyage imaginaire dans un monde meilleur. – 2. Ce monde en lui-même.
Avec le dialogue sur la meilleure forme de gouvernement de l'Utopie(1), dont le livre second décrit en détail l'organisation de la vie communautaire des habitants d'une île imaginaire qui se présente comme un contre-modèle aux monarchies du début du xvie s., More créait, en plus du mot lui-même, à la fois l'image d'une société idéale, un genre littéraire, un procédé philosophique et un nouveau philosophème.
Si la réception du terme a évolué(2), l'utopie, comme genre philosophico-littéraire, enrichie de perspectives scientifique (avec la Nouvelle Atlantide de Bacon(3)), historique (aux xviiie et xixe s.) et critique (au xxe s.), présente une relative continuité(4), dans ses thèmes et dans sa construction.
On a donc pu en dégager des invariants (fermeture, différence avec le monde connu, gestion communautaire)(5), et mettre en évidence, par l'analyse structurale des textes utopiques, l'agencement des différents niveaux de discours, l'importance de la notion d'espace(6) et le mode fictif d'application d'une théorie sociale(7).
« Exercice mental sur les possibles latéraux »(8), l'utopie constitue une méthode philosophique qui se caractérise par le recours à l'imagination, par des « expériences contre-factuelles »(9), par un effort de reconstruction rationnelle de la société.
D'un côté, l'utopie reste ancrée dans le texte délibérément ouvert de l'Utopie. De l'autre, par-delà les recherches sur les critères de sa définition (le contenu, la forme, la fonction), elle est comprise comme l'expression générale de « l'aspiration au mieux-être »(10). L'utopie, qui désigne la « conjonction de la philosophie ou du concept avec le milieu présent »(11), peut jouer un grand rôle dans la pensée politique, et mérite d'être prise au sérieux.
Antoine Hatzenberger
Notes bibliographiques
- 1 ↑ More, T., De optimo reipublicae statu deque nova insula Utopia, 1516, trad. l'Utopie, GF-Flammarion, Paris, 1987.
- 2 ↑ Hölscher, L., « Utopie », 1990, Utopian Studies, vol. VII, no 2, 1996, pp. 1-65.
- 3 ↑ Bacon, F., New Atlantis, 1627, trad. la Nouvelle Atlantide, GF-Flammarion, Paris, 1995.
- 4 ↑ Trousson, R., Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, 1975, Éditions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1999.
- 5 ↑ Moreau, P.-F., le Récit utopique. Droit naturel et roman de l'État, PUF, Paris, 1982.
- 6 ↑ Marin, L., Utopiques. Jeux d'espace, Éditions de Minuit, Paris, 1973.
- 7 ↑ Le Dœuff, M., « Dualité et polysémie du texte utopique », in M. de Gandillac et C. Piron (éd.), le Discours utopique, UGE, Paris, 1978, pp. 326-334.
- 8 ↑ Ruyer, R., l'Utopie et les utopies, PUF, Paris, 1950, p. 9.
- 9 ↑ Goodwin, B., et Taylor, K., The Politics of Utopia. A Study in Theory and Practice, Hutchinson, Londres, 1982, p. 211.
- 10 ↑ Levitas, R., The Concept of Utopia, Hemel Hempstead, Allan, 1990, p. 8.
- 11 ↑ Deleuze, G., et Guattari, F., Qu'est-ce que la philosophie ?, chap. 4, Éditions de Minuit, Paris, 1991, p. 96.