critique littéraire
La critique littéraire est proprement un effort de discernement qui s'applique aux œuvres des écrivains, soit pour les juger, soit pour expliquer leur formation, leur structure, leur sens. Ainsi, elle peut aussi bien être pure création (Pensées de Blaise Pascal, Examens de Pierre Corneille) qu'interrogation sur le fonctionnement de l'activité spirituelle (Introduction à la méthode de Vinci, de Paul Valéry) ou commentaire-absence devant l'affirmation mystérieuse de l'œuvre (Hölderlin, de Martin Heidegger).
La critique littéraire en France a d'abord été le fait d'auteurs d'arts poétiques : Vauquelin de La Fresnaye, Pierre de Deimier ; de grammairiens : Vaugelas, Gilles Ménage ; d'écrivains qui ont touché à un assez grand nombre de questions : Jean Chapelain, Charles de Saint-Évremond, Edme Boursault, Charles Perrault, Théophile de Viau.
Pierre Corneille a écrit les Examens de ses tragédies. Blaise Pascal, les Pensées. Nicolas Boileau a formulé la doctrine classique. Il est le théoricien le plus absolu du dogmatisme littéraire. Molière a écrit les Précieuses ridicules, la Critique de l'École des femmes, pour attaquer des ridicules littéraires ou défendre son art. Jean Racine a écrit la Lettre à Nicole, ses Préfaces. Jean de La Fontaine, son Discours à Madame de La Sablière, son Épître à Huet. Le comte de Buffon a été le théoricien du style dans son Discours de réception à l'Académie française. Voltaire, par son Temple du goût, où il trouve maint passage à retrancher dans les plus grands auteurs, a été avec Nicolas Boileau l'initiateur de la « critique des défauts ». Denis Diderot s’est fait critique dramatique et critique d'art. Jean-Jacques Rousseau a écrit la Lettre à d'Alembert sur les spectacles.
Les premiers pas de la critique analytique
Madame de Staël (De l'Allemagne) et François-René de Chateaubriand (le Génie du christianisme) sont des précurseurs de la doctrine critique qui s’est établie avec le romantisme. En 1800, Madame de Staël définit déjà la méthode critique historique (De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales). C'est dans le cénacle de Charles Nodier (1823), puis dans celui de Victor Hugo (1829) et aussi dans les cafés littéraires et les journaux (le Conservateur littéraire, la Muse française, les Annales de la littérature et des arts, le Mercure du XIXe siècle, le Globe) que s'élaborent les idées nouvelles.
Le plus retentissant manifeste de l'école nouvelle fut la Préface de Cromwell (1827), que d'autres précédèrent ou suivirent (Stendhal : Racine et Shakespeare ; Alfred de Vigny : Préface du More de Venise) ; mais l'événement le plus marquant fut la violente bataille d'Hernani, au Théâtre-Français (1830), querelle divisant les classiques et les romantiques.
La critique historique est née du conflit des doctrines esthétiques. L'idée s'est fait jour peu à peu qu'il n'y avait pas une forme d'art unique et que la critique avait moins à juger les doctrines qu'à rendre compte de la manière dont les œuvres s'étaient formées. Madame de Staël et Chateaubriand, d'autre part, avaient signalé ou montré le prix des sources d'inspiration (la poésie populaire, la Bible, l'enthousiasme) que le classicisme repoussait.
Sainte-Beuve élargit la critique
Charles Augustin de Sainte-Beuve est celui qui a apporté le plus de clarté et le plus de richesse à l'analyse des problèmes de la critique en distinguant la critique des œuvres passées et celle des œuvres nouvelles, la critique polémique, la critique objective, la critique impressionniste, la critique scientifique (« l'histoire naturelle des esprits »), et en pressentant de nouvelles formes de critique, y compris la critique que l’on dira plus tard psychanalytique.
Hyppolite Taine est historien. La critique est pour lui une forme de l'histoire. Il croit réussir en cherchant à dégager la faculté maîtresse de l'auteur qu'il étudie, en expliquant celle-ci par l'influence de la race, du milieu, du moment. Taine ne semble pas s'apercevoir que ses analyses ne peuvent expliquer ce qu'est proprement le génie. C'est qu'en réalité il faut commencer par distinguer entre l'histoire littéraire, qui peut être scientifique et impersonnelle, qui étudie les conditions d'existence des œuvres littéraires (matérialité du texte, sources, genèse psychologique ou historique, etc.), et la critique littéraire, qui s'efforce d'apprécier et de juger les œuvres pour éclairer les choix du public. Ernest Renan (1823-1892), par exemple, s'efforça d'appliquer à l'histoire des religions les méthodes scientifiques de la philologie et de la linguistique (Histoire des origines du christianisme, 1863-1881). Ces critiques représentent à des degrés divers l'esprit positiviste et scientiste.
La critique des créateurs
Ces différentes formes de la critique ne doivent pas faire oublier la critique des créateurs, souvent plus perspicace que celle des doctes. Déjà, dans la première moitié du siècle, Gérard de Nerval avait fait connaître Goethe et les romantiques allemands ; Théophile Gautier avait réhabilité des « grotesques » (Paul Scarron, Saint-Amand, Théophile de Viau) ; Stendhal et Hugo avaient redécouvert William Shakespeare.
Sous le Second Empire, Charles Baudelaire est peut-être le meilleur des critiques littéraires et artistiques ; ses articles sur Choderlos de Laclos, Victor Hugo, Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Eugène Delacroix, Richard Wagner, réunis dans Curiosités esthétiques et l'Art romantique, sont des chefs-d'œuvre d'intelligence et de clairvoyance. Émile Littré (1801-1881), médecin, philosophe, historien, s'est illustré par un Dictionnaire de la langue française (1863-1873), chef-d'œuvre d'érudition scrupuleuse. La critique littéraire, à la fin du siècle, est surtout œuvre d'universitaires : Ferdinand Brunetière (1849-1906), Gustave Lanson (1857-1934), etc. La critique des « créateurs » est particulièrement riche au xxe s., où des écrivains tels que Charles Péguy (Victor-Marie, comte Hugo, 1910), André Gide (Prétextes, 1903, Nouveaux Prétextes, 1911) et Paul Valéry (Variété, 1924-1944) n'ont cessé de s'interroger sur les livres qu'ils lisaient et sur le sens de la littérature. Marcel Proust affirme avec force l'originalité absolue de chaque écrivain de génie et proteste contre la confusion du moi social et du moi créateur (Contre Sainte-Beuve, 1954). Son œuvre romanesque tout entière peut aussi bien être considérée comme l'approfondissement de la question critique par excellence : Qu'est-ce qu'une œuvre d'art ? Paul Claudel a écrit des pages pleines de verve sur la prosodie classique (Positions et Propositions, 1928-1934), et a su parler avec une fraternelle clairvoyance d’Arthur Rimbaud, Paul Verlaine (Contacts et Circonstances, 1940).
Dans la critique des « critiques », il faut retenir Jacques Rivière (1886-1925), qui « découvrit » Antonin Artaud et dont les Études (1912) ont le mérite de défendre André Gide et Paul Claudel ; Julien Benda (1867-1956), qui fait, au nom de l'intellectualisme le plus virulent, le procès de la littérature moderne ; André Suarès, dont les portraits des grands hommes qu'il admirait (Léon Tolstoï, Blaise Pascal, Henrik Ibsen) sont pleins d'enthousiasme. Les Propos d'Alain (1868-1951) ont également nourri toute une génération.
La critique engagée
Le xxe s. est aussi le siècle des idéologies, et certains essayistes sont des écrivains « engagés ». Le catholicisme a inspiré les travaux ou les études critiques de Simone Weil (l'Enracinement, 1950 ; l'Attente de Dieu, 1950), de Teilhard de Chardin (le Phénomène humain, 1955 ; l'Avenir de l'homme, 1959). Les marxistes ont tenté d'appliquer à l'étude des œuvres littéraires les lois du développement des sociétés. Lucien Goldmann (1913-1970), traducteur de György Lukács, est le meilleur représentant de cette tendance (le Dieu caché, 1956).
La critique existentialiste devient commentaire, interprétation, analyse ultime s'effaçant devant l'affirmation mystérieuse de l'œuvre, enfin discours sur un discours, langage secondaire dont le manque de réalité exile le dire dans une parole où s'épanouit l'intelligence intuitive : le critique fait œuvre.
Telles sont les pages profondes et originales consacrées à la littérature par Jean-Paul Sartre, Jean Paulhan, Maurice Blanchot, Georges Bataille.
Plus exclusivement littéraire, bien que quelques-uns de ses adeptes les plus célèbres aient adhéré au communisme, le surréalisme a défendu ces valeurs nouvelles et réhabilité des écrivains méconnus (Gérard de Nerval, le comte de Lautréamont, Arthur Rimbaud, Alfred Jarry, Raymond Roussel) dans les essais critiques d’André Breton. Il faut citer aussi le Traité du style (1928) de Louis Aragon et Poésie volontaire et poésie intentionnelle (1942) de Paul Éluard.
Les orientations de la nouvelle critique sont très diverses : psychanalytique chez Charles Mauron (Des métaphores obsédantes au mythe personnel, 1963) ; structuraliste, sous l'influence de l'ethnologue Claude Lévi-Strauss, chez Roland Barthes (Essais critiques, 1964) ; philosophique et sociologique chez Michel Foucault (Histoire de la folie, 1961 ; les Mots et les Choses, 1966). D'autre part, les analyses du Cercle linguistique de Prague (Théorie de la littérature, 1965) aboutissent, par la médiation des études de Leo Spitzer, à l'œuvre de Roland Barthes, qui, notamment dans son essai polémique Critique et Vérité (1966), se propose de traiter l'œuvre littéraire comme une immense phrase issue de la langue générale des symboles et dont il s'agit d'expliciter non plus les sens pleins mais « le sens vide qui les supporte tous ». Les approches psychocritique, sociocritique, de critique thématique, de critique formaliste ou structuraliste donnent lieu à de véritables expériences de laboratoire. Il n'y a presque plus de textes littéraires qui ne soient en même temps une réflexion sur la littérature, presque pas de textes critiques qui ne soient aussi une critique de la critique. En même temps, paradoxalement, le développement des livres à bon marché ouvre à un large public les domaines autrefois « réservés » de la critique et de l'écriture les plus contemporaines.