Hippolyte Adolphe Taine
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Philosophe, critique et historien français (Vouziers 1828 – Paris 1893).
En 1848, il est reçu premier à l'École normale. Outre la philosophie, qui constitue le pivot de ses intérêts, il y approfondit sa culture historique et scientifique. Cependant, sa carrière universitaire s'annonce mal : il échoue à l'agrégation. Suppléant en philosophie à Nevers, il est déplacé à Poitiers (1852). Son sujet de thèse pour le doctorat en philosophie n'est pas non plus agréé. Son exil provincial, amèrement ressenti, ne le paralyse pourtant pas, il s'enferme dans son travail. Parallèlement, il amasse des matériaux pour un Mémoire sur la connaissance, auquel il travaille jusqu'en 1856, et qui, profondément remanié, aboutira finalement au texte De l'intelligence. Lassé par les tracasseries de la bureaucratie impériale, il demande sa mise en congé. Il se détermine à présenter une thèse sur La Fontaine en vue du doctorat littéraire, qu'il passe avec succès en 1853. En 1855, il entre à la Revue de l'Instruction publique, puis à la Revue des Deux Mondes, l'année suivante au Journal des débats.
De juin 1855 à octobre 1856 paraît, dans la Revue de l'Instruction publique, une série d'articles consacrés à la philosophie officielle et à ses représentants, dont le texte paraîtra en volumes sous son titre définitif, les Philosophes classiques du xixe s. en France. L'ouvrage fait un petit scandale et asseoit la réputation de l'auteur, qui s'attaque à la philosophie éclectique accusée d'« étouffer toute invention et tout effort ». Cependant, son intérêt se tourne vers la littérature et la critique : en 1855, il a écrit une étude sur Macaulay, et une autre sur Shakespeare. Il va bientôt se rendre en Angleterre (1858), où il séjournera à plusieurs reprises et dont l'individualisme et le pragmatisme le séduisent. Les études anglaises couvrent la période 1855-1864 (date de publication de l'Histoire de la littérature anglaise) ; il consacre des textes à Dickens, à la comédie anglaise sous les derniers Stuart, et surtout à Macaulay, Carlyle, Stuart Mill et Buckle. En 1857, il publie les Essais de critique et d'histoire. Dans les années 1860, sa réflexion croise celle du positivisme : il pressent qu'un jour « les sciences régneront en souveraines sur toute la pensée ». Cependant l'Empire, qui l'avait inquiété à ses débuts, fait appel à lui dans sa phase libérale : en 1863, il est nommé examinateur à l'École militaire de Saint-Cyr, et succède à Viollet-le-Duc à l'École des beaux-arts l'année suivante, au cours de laquelle il effectue un voyage en Italie qui le conduit à Naples, Florence, Rome et Milan ; il consigne ses impressions de voyageur et d'esthète dans le Voyage en Italie qui paraît en 1866. De cette expérience, cruciale pour sa sensibilité, de ses cours, naissent la Philosophie de l'art en Italie, De l'idéal de l'art dans les Pays-Bas, la Philosophie de l'art en Grèce, De l'idéal dans l'art, où il met en place la notion d'idéal en art, thème repris et approfondi dans la Philosophie de l'art de 1880.
Désormais distingué par le régime (il reçoit la Légion d'honneur en 1866), il jouit d'une certaine notoriété ; en 1868, il épouse Mlle Denuelle, dont le père est un architecte connu. Pourtant ses préoccupations esthétiques et littéraires n'ont pas dissipé son intérêt pour la philosophie et la psychologie : en 1870 paraît, en deux volumes, De l'intelligence. L'ouvrage sera salué par Renan, Stuart Mill, puis Ribot. De nouveau en visite en Angleterre en 1871, il fait paraître l'année suivante les Notes sur l'Angleterre ; sa réflexion s'infléchit en direction de l'analyse historique et politique.
C'est dans ces années qu'il conçoit l'idée de son grand ouvrage, les Origines de la France contemporaine, dont le premier volume, l'Ancien Régime, sort en 1876 : il y esquisse un tableau du xviiie s. et tente de déterminer les causes de la Révolution ; la parution du second volume, qui comprend trois tomes – l'Anarchie, la Conquête jacobine, le Gouvernement révolutionnaire –, s'échelonne de 1878 à 1884. Dans ses développements ultimes, Taine essaye de cerner la nature de l'État moderne et napoléonien, dont il loue la tolérance mais déplore le manque de moralité. Son hostilité envers la Révolution surprend ses admirateurs, tandis qu'elle lui concilie la bienveillance des conservateurs : Taine est du reste maintenant un homme installé, à qui l'élection à l'Académie française en 1878 apporte la consécration. Il partage désormais son existence entre sa résidence de Menton, Saint-Bernard et Paris, où il meurt le 5 mars 1893.
Si l'œuvre a d'abord inspiré le Zola de Thérèse Raquin puis Bourget et Ribot, son influence ne s'est guère exercée au-delà ; sa réflexion, qui doit beaucoup à Sainte-Beuve, aboutit souvent à des formules générales où s'évanouit le relief de toute problématique. De même, les sciences humaines dégageront des déterminismes plus fins que la causalité induite par les notions de « race », de « milieu » et de « moment ».